L'Assemblée nationale a rendu public l'avis du Conseil d'État sur une proposition de loi visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte
Saisi par le Président de l’Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi organique n° 4375 présentée par MM. Sylvain Waserman, Patrick Mignola, Christophe Castaner, Olivier Becht, Raphaël Gauvain et les membres des groupes Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, La République en Marche et apparentés et Agir ensemble, députés, le Conseil d’État, après avoir examiné l’ensemble des articles de la proposition, formule les observations suivantes.
Objet de la proposition de loi organique
1. Le Défenseur des droits a été institué par la loi constitutionnelle n° 2008 724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. L’article 71 1 de la Constitution dispose qu’il « veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ». L’article 71 1 renvoie à la loi organique la définition « (…) des attributions et des modalités d’intervention du Défenseur des droits ».
Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur organique avait compétemment attribué au Défenseur des droits les missions et pouvoirs du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (Décision n° 2011 626 DC du 29 mars 2011). Ces missions figurent aux 1° à 4° de l’article 4 de la loi organique n° 2011 333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
2. La compétence du Défenseur des droits a été étendue à l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte par la loi organique n° 2016 1690 du 9 décembre 2016 qui a complété, à cette fin, l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 par l’ajout d’un 5° confiant à cette autorité la mission « d’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne ».
La proposition de loi organique dont le Conseil d’État est saisi modifie la loi organique du 29 mars 2011 afin de préciser et compléter les attributions du Défenseur des droits en matière de protection des lanceurs d’alerte.
Elle vise notamment à transposer les a et b du paragraphe 1 de l’article 20 de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.
Le Défenseur des droits a donné le 29 octobre 2021 un avis (Avis n° 21 16) sur la proposition de loi. Après avoir souligné les « avancées importantes » auxquelles aboutit le dispositif législatif envisagé, il se déclare favorable aux nouvelles missions que la proposition de loi lui confie tout en suggérant certaines précisions et souligne la nécessité de dégager des moyens humains et budgétaires suffisants comme celle de développer des actions de sensibilisation pour rendre le droit d’alerte effectif.
Conformité à la Constitution des nouvelles compétences confiées au Défenseur des droits
3. La loi organique du 9 décembre 2016 confiait initialement au Défenseur des droits la mission « d’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière ou un soutien financier ».
Dans sa décision n° 2016 740 DC du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que la mission conférée au Défenseur des droits par la Constitution ne comporte pas celle d’apporter lui-même une aide financière aux lanceurs d’alerte et a, en conséquence, déclaré ces dispositions de la loi organique contraires à la Constitution. Il a en revanche jugé conforme à la Constitution l’attribution d’une mission d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte au motif que les « dispositions de l’article 71-1 de la Constitution permettent au Défenseur des droits d’aider toute personne s’estimant victime d’une discrimination à identifier les procédures adaptées à son cas » et qu’il « était donc loisible au législateur organique, qui a estimé que les lanceurs d’alerte courent le risque d’être discriminés par l’organisme faisant l’objet de leur signalement, de charger le Défenseur des droits d’orienter ces personnes vers les autorités compétentes (…) ».
Le Conseil d’État constate que, ce faisant, le Conseil constitutionnel a fixé une limite à l’extension des compétences et des attributions du Défenseur des droits. Le législateur organique ne peut confier au Défenseur des droits une compétence nouvelle qui n’aurait pas une « large similitude » (commentaires aux Cahiers du Conseil constitutionnel sur la décision n° 2016 740 DC) avec celles que la loi organique du 29 mars 2011 lui a d’ores et déjà conféré, ni lui attribuer de pouvoirs qui n’entreraient pas dans ses attributions.
Extension du champ des personnes protégées au titre de l’exercice du droit d’alerte
4. Ainsi qu’il a été dit au point 2, la loi organique du 9 décembre 2016 a confié au Défenseur des droits une mission de protection des lanceurs d’alerte qui seraient victimes de représailles. La proposition de loi organique étend cette mission de protection à des personnes physiques et morales qui, sans être à l’origine d’un signalement, sont susceptibles de subir des représailles en raison de leur proximité avec un lanceur d’alerte. Le Conseil d’État estime que cette attribution entre dans les limites de la compétence conférée au Défenseur des droits par la Constitution.
Avis sur la qualité de lanceur d’alerte
5. La proposition de loi organique prévoit que le Défenseur des droits peut se prononcer sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne au regard des conditions prévues par la loi.
Le Conseil d’État constate qu’en l’état du droit applicable, avant d’orienter un lanceur d’alerte vers l’autorité externe compétente pour traiter son signalement, ou avant d’exercer sa mission de protection, le Défenseur des droits s’assure que la personne qui l’a saisi remplit les conditions de fond et de forme pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte et de la protection qui y est attachée. Il peut, une fois ces conditions vérifiées, faire usage, dans l’exercice de sa mission de protection, des pouvoirs que lui attribuent les articles 18 à 36 de la loi organique du 29 mars 2011. Ces pouvoirs comportent notamment celui de réaliser des auditions ou de recueillir des informations, éventuellement après mise en demeure, de procéder à des vérifications sur place, de saisir les autorités investies du pouvoir d’engager des poursuites, de communiquer et d’informer le public sur les sujets entrant dans sa compétence.
Le Conseil d’État estime en conséquence que rien ne s’oppose à ce que le Défenseur des droits formalise un avis sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne qui l’a saisi. Le lanceur d’alerte pourrait ensuite se prévaloir de cet avis devant les autorités administratives ou judiciaires. L’avis du Défenseur des droits ne s’imposerait pas au juge mais ferait partie des éléments qu’il prendrait en compte pour fonder sa décision. Le Conseil d’État considère que, sous ces réserves, ces dispositions de la loi organique ne sont pas contraires à la Constitution.
Rôle d’autorité externe subsidiaire confié au Défenseur des droits
6. La proposition de loi organique confie au Défenseur des droits une compétence subsidiaire en matière de traitement des alertes. Elle dispose que, lorsque le traitement d’un signalement ne relève de la compétence d’aucune autorité externe figurant sur une liste établie par décret en Conseil d’État, ou relève de la compétence de plusieurs d’entre elles, il incombe au Défenseur des droits de recueillir le signalement, de désigner l’autorité en charge de le traiter, puis d’informer son auteur des suites qui y sont données. Elle précise que, pour veiller au suivi du traitement du signalement par l’autorité externe qu’il aurait ainsi désignée, le Défenseur des droits peut faire usage des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi organique du 29 mars 2011.
Le Conseil d’État constate que le Défenseur des droits a, en l’état du droit, compétence pour orienter le lanceur d’alerte vers l’autorité externe la mieux à même de connaître du signalement. Il considère qu’en donnant au Défenseur la compétence nouvelle d’attribuer le traitement d’un signalement à une autorité externe qu’il désignerait par une décision qui s’imposerait à cette autorité et en lui permettant d’user des moyens et pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi organique afin de s’assurer de l’effectivité du traitement du signalement par l’autorité ainsi désignée, la proposition de loi encourt un risque d’inconstitutionnalité. Le Conseil d’État estime en effet que ces dispositions de la loi organique placeraient le Défenseur des droits dans un rôle de superviseur général du droit d’alerte que l’article 71-1 de la Constitution ne permet pas, en l’état, de lui confier.
En conséquence, le Conseil d’État ne retient pas cette compétence dans la rédaction du projet de loi organique qu’il propose en annexe du présent avis.
Sur la répartition des compétences entre la loi organique et la loi ordinaire
7. Le Défenseur des droits est compétent pour connaître des signalements qui entrent dans son champ de compétence propre, défini aux 1° à 4° de l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011. La proposition de loi dont le Conseil d’État est saisi concomitamment à la proposition de loi organique, fait obligation au Défenseur des droits d’établir une procédure pour recueillir et traiter ces signalements puis informer leurs auteurs des suites qui y sont données. Cette procédure est soumise au respect de certaines garanties, notamment en termes de délais et de confidentialité. Le Conseil d’État estime que ces dispositions, qui sont relatives aux attributions et modalités d’intervention du Défenseur des droits, doivent figurer dans la proposition de loi organique, qui peut renvoyer à un décret en Conseil d’État pour en préciser les modalités d’application.
8. La proposition de loi organique dispose que le Défenseur des droits publie annuellement un rapport sur son activité relative aux lanceurs d’alerte. Cette disposition est redondante avec le II de l’article 36 de la loi organique du 29 mars 2011 qui prévoit que le Défenseur des droits présente chaque année « un rapport qui rend compte de son activité générale et comprend une annexe thématique relative à chacun de ses domaines de compétences énumérés à l’article 4 ». La proposition de loi organique dispose également que le Défenseur des droits publie un rapport annuel sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d’alerte en France. Le Conseil d’État suggère que cette disposition soit insérée au II de l’article 36 de la loi organique du 29 mars 2011. Il souligne qu’il est nécessaire, pour permettre au Défenseur des droits d’élaborer ce rapport, de prévoir, dans la proposition de loi dont il est concomitamment saisi (Avis n° 404001 du 4 novembre 2021), que les autorités externes figurant sur la liste arrêtée par décret en Conseil d’État lui adressent chaque année un bilan de leur activité de traitement des signalements.
ANNEXE
Proposition de rédaction de la proposition de loi organique
Article 1er
Le 5° de l’article 4 de la loi organique n° 2011 333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits est remplacé par les dispositions suivantes :
« 5° De conseiller et d’orienter vers les autorités compétentes toute personne lui adressant un signalement dans les conditions fixées par la loi et de veiller aux droits et libertés des lanceurs d’alerte ainsi que des personnes protégées dans le cadre d’une procédure d’alerte. »
Article 2
Après l’article 35 de la même loi, il est inséré un article 35-1 ainsi rédigé :
« Art. 35 1. – I. – Lorsque le Défenseur des droits est saisi d’un signalement entrant dans le champ de ses compétences définies aux 1° à 4° de l’article 4, il recueille le signalement, le traite et informe son auteur des suites qui y sont données. Un décret en Conseil d’État précise les délais et les garanties de confidentialité applicables à cette procédure.
« II. – Lorsque le Défenseur des droits est saisi d’un signalement qui n’entre pas dans le champ mentionné au I, il oriente son auteur vers l’autorité compétente mentionnée sur la liste arrêtée par décret en Conseil d’État. Lorsque le signalement ne relève de la compétence d’aucune autorité mentionnée sur cette liste, il l’oriente vers l’autorité, l’administration ou l’organisme le mieux à même d’en connaître.
« III. – Le Défenseur des droits peut rendre un avis sur la qualité de lanceur d’alerte d’une personne au regard des conditions fixées par la loi. »
Article 3
Le II de l’article 36 de la même loi est ainsi modifié :
1° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° Un rapport sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d’alerte en France. » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « et 2° » sont remplacés par les mots : « à 3° ».
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 4 novembre 2021.