Le Conseil d’État précise les modalités d’articulation des traités internationaux entre eux.
L'essentiel
A l'occasion d'un litige soulevant la question de la compatibilité des stipulations de l'accord du 27 mai 1997 conclu entre la France et la Russie pour régler la question des emprunts russes avec la Convention européenne des droits de l'homme (convention EDH), le Conseil d'État précise les modalités d'articulation dans l'ordre juridique interne des traités internationaux entre eux.
Il décide qu'il n'appartient pas au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'un recours contre un acte portant publication d'un traité ou d'un accord international, de se prononcer sur la validité de ce traité ou de cet accord au regard d'autres engagements internationaux de la France : il n'y a donc pas dans l'ordre juridique interne de hiérarchie entre les traités.
Il juge aussi que, lorsqu'est invoqué, à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative faisant application des stipulations inconditionnelles d'un traité ou d'un accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité de ces stipulations avec celles d'un autre traité ou accord international, il incombe au juge administratif :
1°) de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d'application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant, le cas échéant, au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d'ordre public.
2°) en cas de difficulté persistante de conciliation, de faire application de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer.
Un ressortissant portugais devenu, à la suite d'une succession, propriétaire d'emprunts russes auparavant détenu par un aïeul français, contestait devant la juridiction administrative la décision des autorités françaises lui refusant d'enregistrer ses titres afin de bénéficier d'une indemnisation au titre de l'accord du 27 mai 1997 conclu entre la France et la Russie, au motif que cet accord réservait une telle indemnisation aux personnes de nationalité française.
Devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel, le requérant avait contesté les stipulations de cet accord, en invoquant leur incompatibilité avec le principe de non discrimination posé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH, article 14 et article 1er du Premier protocole). La cour administrative d'appel avait écarté ce moyen en jugeant qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité des stipulations d'un engagement international au regard d'autres engagements internationaux souscrits par la France.
Saisi en cassation, le Conseil d'État a précisé les modalités d'articulation des traités internationaux entre eux.
Il a confirmé qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité d'un traité ou d'un accord international au regard d'autres engagements internationaux de la France.
Il a aussi jugé que, lorsqu'est invoqué, à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative faisant application des stipulations inconditionnelles d'un traité ou d'un accord international, un moyen tiré de l'incompatibilité de ces stipulations avec celles d'un autre traité ou accord international, il incombe au juge administratif, après avoir vérifié que les stipulations de cet autre traité ou accord sont entrées en vigueur dans l'ordre juridique interne et sont invocables devant lui :
1°) de définir, conformément aux principes du droit coutumier relatifs à la combinaison entre elles des conventions internationales, les modalités d'application respectives des normes internationales en débat conformément à leurs stipulations, de manière à assurer leur conciliation, en les interprétant le cas échéant au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle et des principes d'ordre public ;
2°) en cas de difficulté persistante de conciliation de ces conventions internationales, de faire application de la norme internationale dans le champ de laquelle la décision administrative contestée a entendu se placer, en écartant en conséquence le moyen tiré de son incompatibilité avec l'autre norme internationale invoquée, sans préjudice des conséquences qui pourraient en être tirées en matière d'engagement de la responsabilité de l'Etat tant dans l'ordre international que dans l'ordre interne.
En l'espèce, le Conseil d'État a censuré la cour administrative d'appel pour n'avoir pas procédé à cette vérification. Réglant ensuite l'affaire au fond, il a constaté qu'en signant avec la Fédération de Russie l'accord du 27 mai 1997, la France a mis un terme à un contentieux entre États en obtenant le versement d'une indemnité au profit des ressortissants français porteurs de titres d'emprunts russes en échange d'un abandon de sa protection diplomatique au soutien de la revendication de ces créances. Le Conseil d'État a jugé que, eu égard à l'objet de cet accord, à la contrepartie qu'il comporte, aux modalités pratiques de sa mise en œuvre et à l'impossibilité d'identifier les porteurs de titres à la date de la dépossession, la limitation de l'indemnisation aux seuls ressortissants français par l'article 1er de l'accord du 27 mai 1997 n'est, en tout état de cause, pas incompatible avec les stipulations de la convention EDH.
CE, Assemblée, 23 décembre 2011, M. P., n°303678.