Le Conseil d’État juge que le maintien de tarifs réglementés du gaz naturel est contraire au droit de l’Union.
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L’Essentiel :
Le Conseil d’État était saisi d’une requête de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) tendant à l’annulation du décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel. L’ANODE soutenait que cette réglementation tarifaire était contraire au droit de l’Union européenne.
Tirant les conséquences de la décision rendue dans cette affaire par la Cour de justice de l’Union européenne le 7 septembre 2016 en réponse à une question qu’il lui avait posée, le Conseil d’État, par la décision de ce jour, annule le décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel au motif que le maintien de tels tarifs est contraire au droit de l’Union européenne.
Compte tenu de l’incertitude grave qu’aurait fait naître une telle annulation sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et de la nécessité impérieuse de prévenir l’atteinte à la sécurité juridique qui en aurait résulté, il estime toutefois, à titre exceptionnel, que les effets produits pour le passé par le décret du 16 mai 2013, qui a cessé de s’appliquer le 1er janvier 2016, doivent être regardés comme définitifs.
Les faits et la procédure :
Le Conseil d’État était saisi d’une requête de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) tendant à l’annulation du décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel. L’ANODE soutenait que cette réglementation tarifaire avait été prise en application de dispositions législatives contraires au droit de l’Union européenne.
Par une première décision du 15 décembre 2014, le Conseil d’État avait sursis à statuer sur cette affaire, qui posait une difficulté sérieuse d’interprétation du droit de l’Union européenne, et posé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) plusieurs questions préjudicielles, afin que cette dernière précise l’étendue des exigences imposées par le droit de l’Union européenne pour la réalisation d’un marché du gaz concurrentiel. Elle y a répondu par une décision du 7 septembre 2016 (affaire C-121/15).
La décision du Conseil d’État :
Par la décision de ce jour, le Conseil d’État, tirant les conséquences de cette décision de la CJUE du 7 septembre 2016, a annulé le décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel au motif qu’il imposait à certains fournisseurs de proposer au consommateur final la fourniture de gaz naturel à des tarifs réglementés, ce qui constitue une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel du gaz, sans que cette restriction respecte les conditions qui auraient permis de la regarder comme admissible au regard du droit de l’Union européenne. La CJUE avait en effet posé trois conditions pour qu’une telle entrave puisse être admise :
- elle doit répondre à un objectif d’intérêt économique général, c'est-à-dire avoir pour objet de garantir la sécurité des approvisionnements, la cohésion territoriale ou le maintien des prix à un niveau raisonnable ;
- elle ne doit porter atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif, et durant une période limitée de temps ;
- elle doit être clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable.
En l’espèce, après une analyse approfondie et la tenue d’une audience d’instruction au cours de laquelle les parties ont pu s’exprimer, le Conseil d’État constate qu’à la date du décret attaqué, il n’était plus possible de se fonder sur un objectif d’intérêt général pour justifier le maintien de prix réglementés du gaz. Il prononce donc l’annulation du décret attaqué.
Une telle annulation a en principe un effet rétroactif.
Toutefois, compte tenu de l’importance des effets qui s’attachent à une annulation, les parties et les acteurs du marché du gaz naturel qui avaient produit des observations dans le cadre de l’instance demandaient au Conseil d’État que, dans une telle hypothèse, les effets de sa décision soient différés dans le temps. En effet, comme le précise la décision, plus de 9 millions de consommateurs se fournissaient en gaz à un tarif réglementé à la date du décret attaqué, et auraient ainsi pu contester la validité du contrat les liant alors à leur fournisseur.
En réponse à cette demande de modulation dans le temps des effets de sa décision, le Conseil d’État relève d’abord que les dispositions issues du décret attaqué ont été abrogées par un décret du 30 décembre 2015. Le Conseil d’État en déduit qu’il n’a pas à différer les effets de sa décision, car les dispositions qu’il annule ont déjà cessé de s’appliquer. En revanche, il estime qu’il y a lieu en l’espèce de consolider les effets passés du décret attaqué, dans le cadre défini par la Cour de justice qui a ouvert aux cours suprêmes nationales la possibilité, sous certaines conditions, de moduler dans le temps les effets de leurs décisions, même lorsqu’elles constatent une méconnaissance du droit de l’Union. Il juge ainsi qu’eu égard aux conséquences graves qu’une annulation rétroactive ferait naître sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et à la nécessité impérieuse de prévenir l’atteinte à la sécurité juridique qui en résulterait, il y a lieu, à titre exceptionnel, de prévoir que les effets produits pour le passé par le décret attaqué soient, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision, regardés comme définitifs. Cela signifie concrètement que les consommateurs ne pourront plus contester les effets déjà produits, pour ce qui les concerne, par le décret du 16 mai 2013.