Le Conseil d’État admet la possibilité de tarifs réglementés de vente de l’électricité tout en annulant partiellement les tarifs adoptés en 2017
L’Essentiel :
• Par une décision du 27 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l’économie et des finances ont fixé les tarifs réglementés de vente de l’électricité à compter du 1er août 2017.
• La société ENGIE et l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) ont demandé au Conseil d’État d’annuler cette décision.
• Par la décision de ce jour, le Conseil d’État admet dans son principe l’existence de tarifs réglementés de vente de l’électricité, mais annule la décision attaquée en tant qu’elle est applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.
Les faits et la procédure :
Par une décision du 27 juillet 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l’économie et des finances ont fixé les tarifs réglementés de vente de l’électricité à compter du 1er août 2017. EDF, et dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution ont l’obligation d’assurer la fourniture d’électricité aux bénéficiaires de ces tarifs réglementés que sont les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, dont la puissance souscrite sur le site considéré est inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, ainsi que les consommateurs situés dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental.
Estimant l’existence de tels tarifs contraire à la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, les sociétés ENGIE et l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) ont demandé au Conseil d’État d’annuler cette décision du 27 juillet 2017. Leur requête avait en réalité pour objet de contester les dispositions du code de l’énergie sur le fondement desquelles cette décision avait été prise.
La décision de ce jour :
• Par la décision de ce jour, le Conseil d’État admet dans son principe la possibilité de tarifs réglementés de vente de l’électricité.
Faisant application du cadre de raisonnement posé par la Cour de justice de l’Union européenne, il juge d’abord que la réglementation des prix de vente de l’électricité figurant aux articles L. 337-4 à L. 337-9 du code de l’énergie doit être regardée comme constituant, par sa nature même, une entrave à la réalisation d’un marché de l’électricité concurrentiel prévue par cette directive 2009/72/CE, mais rappelle qu’une telle entrave peut néanmoins être regardée comme conforme à cette directive à la triple condition qu’elle réponde à un objectif d’intérêt économique général, qu’elle ne porte atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment durant une période limitée de temps et, enfin, qu’elle soit clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable.
En l’espèce, il estime que l’entrave que constitue la réglementation des prix de vente de l’électricité est justifiée, dans un contexte de forte volatilité et s’agissant d’une énergie non substituable constituant un bien de première nécessité, par la poursuite de l’objectif de garantir aux consommateurs un prix de l’électricité plus stable que les prix de marché. Ce seul objectif suffisant à justifier une entrave à la concurrence au regard du droit de l’Union européenne, il ne se prononce pas sur la question de savoir si la réglementation litigieuse peut être regardée comme poursuivant d’autres objectifs d’intérêt économique général.
Le Conseil d’État juge ensuite que cet objectif de stabilité des prix ne pourrait être atteint par une intervention étatique moins contraignante qu’une régulation générale du prix de vente au détail de l’électricité. La forte volatilité qui caractérise le marché de l’électricité est en effet due à des facteurs multiples et difficiles à anticiper, et elle est susceptible de se répercuter à tout moment sur les prix du marché de détail. En outre, les offres à prix fixe sur deux ou trois ans qui sont proposées aux consommateurs sont le plus souvent indexées sur les tarifs réglementés, qui permettent d’offrir une visibilité de long terme. Dans ces conditions, la suppression des tarifs réglementés risquerait d’entraîner une volatilité des prix qui ne pourrait être encadrée de manière appropriée par des mesures temporaires.
Enfin, le Conseil d’État estime que l’obligation d’assurer la fourniture d’électricité aux clients bénéficiaires des tarifs réglementés de vente, mise à la charge d’EDF et, dans leur zone de desserte, des entreprises locales de distribution, est précisément définie par le code de l’énergie, transparente et contrôlable. Il relève que cette réglementation ne peut être regardée comme discriminatoire dès lors que les fournisseurs alternatifs d’électricité sont libres de proposer les prix de leur choix et peuvent en conséquence proposer à leurs clients des tarifs alignés sur les tarifs réglementés de vente. Il estime que cette réglementation assure en outre l’égal accès des entreprises d’électricité aux consommateurs puisque ces derniers peuvent opter à tout moment et sans frais pour une offre de marché.
• Toutefois, le Conseil d’État estime que la réglementation des tarifs de vente de l’électricité est disproportionnée à l’objectif poursuivi sur deux points, ce qui le conduit à prononcer l’annulation partielle de la décision attaquée.
Il estime d’abord que l’argumentation présentée devant lui ne permet pas d’établir que le caractère permanent de tarifs réglementés de vente de l’électricité soit indispensable à la satisfaction de l’objectif de stabilité des prix, ni que la poursuite de cet objectif exclue toute possibilité d’une révision périodique du principe ou, à tout le moins, des modalités de l’intervention publique sur les prix en fonction de l’évolution sur le marché. Ce point n’affecte cependant pas la légalité de la décision du 27 juillet 2017 qui, conformément à l’article R. 337-21 du code de l’énergie, est prise pour une période déterminée d’un an maximum.
Par ailleurs, s’agissant des bénéficiaires des tarifs réglementés, le Conseil d’État juge que l’absence de distinction entre les professionnels ayant une faible consommation d’électricité, tels que les artisans, commerçants et professions libérales, et les sites non résidentiels appartenant à des grandes entreprises, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.
Au total, le Conseil d’État juge que les articles L. 337-5, L. 337-6 et R. 337-19 du code de l’énergie sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par la directive 2009/72/CE sur ces deux points, mais n’annule la décision du 27 juillet 2017 que dans la mesure où elle est applicable à tous les consommateurs finals pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères. Cette décision n’étant pas divisible en tant qu’elle réglemente également les prix dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain, cette réglementation se trouve du même coup annulée bien que sa conformité aux objectifs poursuivis par la directive 2009/72/CE n’ait été pas contestée devant le Conseil d’État et ne lui soit pas apparue contestable.