Le pleurant du tombeau des ducs de Bourgogne appartient à l’État
L’Essentiel :
• Le 3 décembre 2014, le ministre de la culture s’est opposé à l’exportation d’une statuette médiévale que des particuliers souhaitaient vendre, au motif que cette statuette, qui représente un moine pleurant et provient du tombeau de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne, appartenait à l’État. Le ministre a en outre exigé la restitution immédiate de la statuette.
• Cette décision a été contestée devant le tribunal administratif de Paris en première instance, devant la cour administrative d’appel de Paris en appel et, enfin, devant le Conseil d’État dans le cadre d’un pourvoi en cassation.
• Par la décision de ce jour, le Conseil d’État juge que la statuette n’a jamais cessé d’appartenir à l’État depuis la Révolution française. L’exportation ne peut donc avoir lieu et la statuette doit être restituée.
Les faits et la procédure :
Des particuliers ont souhaité vendre aux enchères une statuette médiévale d’albâtre représentant un moine pleurant, provenant du tombeau de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne. Ils ont chargé la société Pierre Bergé et associés de procéder à la vente.
La société Pierre Bergé et associés a sollicité du ministre de la culture un certificat d’exportation en vue d’une éventuelle sortie définitive du territoire national pour cette statue.
Le ministre a refusé de délivrer un tel certificat et a exigé la restitution sans délai de la statuette, au motif que celle-ci appartenait au domaine public de l’État.
Cette décision a été contestée devant le tribunal administratif de Paris puis devant la cour administrative de Paris, qui ont tous deux rejeté la requête. La société Pierre Bergé et associés et les particuliers se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État.
La décision de ce jour :
Par la décision de ce jour, le Conseil d’État confirme l’analyse des juges du fond selon laquelle la statuette appartient effectivement à l’État. Il rejette en conséquence le pourvoi.
La famille, détentrice de la statuette depuis 1813, invoquait en premier lieu le bénéfice de la prescription acquisitive prévue par le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux. La statuette avait en effet été incorporée, comme tous les biens ecclésiastiques, au domaine national au moment de la Révolution française.
Le Conseil d’État juge toutefois qu’une telle prescription n’est susceptible de jouer que pour les biens dont « un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi » a préalablement autorisé l’aliénation. Tel n’est pas le cas de la statuette en cause. Par suite, quelle que soit la bonne foi de la famille détentrice de la statuette depuis 1813, la prescription acquisitive n’a pas pu jouer. L’État est donc demeuré propriétaire de la statuette.
Les requérants se prévalaient aussi, pour contester la restitution de la statuette à l’État, du droit au respect des biens garanti par le Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le Conseil d’État estime que, compte tenu de la durée pendant laquelle la statuette litigieuse a été détenue par les requérantes sans initiative de l’État pour la récupérer, ces dernières peuvent effectivement se prévaloir du droit au respect de leurs biens. Il juge cependant que l’intérêt patrimonial de la statuette justifie qu’elle soit rendue à son propriétaire, c'est-à-dire à l’État, sans que soit méconnue l’exigence de respect d’un juste équilibre entre les intérêts privés de ses détenteurs et l’intérêt public majeur qui s’attache à la protection de cette œuvre d’art.