Le juge des référés du Conseil d’État estime que la décision du maire de Marseille d’annuler la convention de mise à disposition d’une salle dans laquelle devait se jouer un spectacle de Dieudonné constitue, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression
L’Essentiel :
• Par une décision du 18 septembre 2017, précédée d’un communiqué de presse du 13 septembre 2017 annonçant que « La ville de Marseille n’accueillera pas le spectacle de Dieudonné », le maire de la commune de Marseille a annulé la convention par laquelle elle avait mise à disposition de la société Les Productions de la Plume une salle de cette commune en vue de la tenue du spectacle de M. Dieudonné M’Bala M’Bala intitulé « Dieudonné dans la guerre », le 19 novembre 2017.
• Saisi d’un recours contre cette décision par la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 19 octobre 2017, suspendu l’exécution de cette décision et enjoint au maire de la commune de Marseille de respecter la convention de mise à disposition de la salle et de laisser s'y dérouler, le 19 novembre 2017, le spectacle prévu.
• Par la décision de ce jour, le Conseil d’État rejette la requête de la commune de Marseille contre cette ordonnance. Il estime que, dans les circonstances de l’espèce, la décision contestée, qui revient à interdire la tenue d’un spectacle dont il ne résulte pas des pièces du dossier et de l’audience qu’il serait de nature à créer un risque de trouble à l’ordre public, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression.
Les faits et la procédure :
Par une décision du 18 septembre 2017, précédée d’un communiqué de presse du 13 septembre 2017 annonçant que « La ville de Marseille n’accueillera pas le spectacle de Dieudonné », le maire de la commune de Marseille a procédé à l’annulation de la convention de mise à disposition de la salle « Le Dôme » pour le spectacle de M. Dieudonné M’Bala M’Bala intitulé « Dieudonné dans la guerre » prévu le 19 novembre 2017 dans cette commune.
La société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille d’une demande de référé-liberté (article L. 521-2 du code de justice administrative) tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de cette décision et, d'autre part, à ce qu’il soit enjoint au maire de permettre le déroulement de ce spectacle dans la salle du Dôme à Marseille. Par une ordonnance rendue le 19 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande.
La commune de Marseille a par la suite saisi le Conseil d’État d’un appel contre cette ordonnance. Elle arguait notamment que les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas une procédure d’urgence et que n’était portée aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dès lors que le maire de Marseille avait résilié pour un motif d’intérêt général un contrat portant occupation du domaine public, par nature précaire et révocable, et que le risque de trouble à l’ordre public justifiait en tout état de cause cette décision, le spectacle litigieux portant atteinte à la dignité humaine et incitant à la haine et à la discrimination raciales.
La décision de ce jour :
Le Conseil d’État estime tout d’abord que, dans les circonstances particulières de l’espèce, en raison des différents motifs invoqués par la ville et de ses effets à la date à laquelle elle a été prise, la décision du maire de Marseille ne se réduit pas à une résiliation d’un contrat pour un motif d’intérêt général mais s’analyse comme une mesure de police visant à interdire la tenue du spectacle dans la ville de Marseille.
Il considère ensuite que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le recours en référé-liberté est remplie. Il relève à cet égard que, outre le fait que l’annonce du maire a provoqué une interruption des réservations, aucune autre salle équivalente n’était plus disponible à Marseille ou aux environs pour accueillir le spectacle à la date de la décision contestée, de sorte que cette décision entrainait l’annulation de cette représentation.
Le Conseil d’État rappelle ensuite que la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
Il relève qu’il ne résulte ni des pièces du dossier ni des échanges tenus au cours de l’audience publique que le spectacle « Dieudonné dans la guerre », qui a déjà été donné dans plusieurs villes en France, y aurait suscité des troubles à l’ordre public, ni qu’il ait donné lieu à des plaintes ou des condamnations pénales. Sans même se prononcer sur leur bien fondé, il souligne que les critiques formulées par la commune qui fait valoir que l’affiche du spectacle revêt un caractère antisémite ne sont pas de nature à justifier à elles seules une mesure d’interdiction de celui-ci. Le Conseil d’État estime qu’aucun des autres éléments avancés par la ville n’est de nature à établir le risque de troubles à l’ordre public. Enfin, il relève que si la commune fait état de nombreuses protestations et d’une vive émotion suscitée par la tenue de ce spectacle, il ne résulte pas de l’instruction que le maire de Marseille ne pourrait pas y faire face par de simples mesures de sécurité.
Dans ces conditions, le Conseil d’État juge que la décision litigieuse constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression. Ayant ainsi confirmé sur chacun de ces points le raisonnement tenu par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, il rejette par conséquent la requête de la commune de Marseille contre l’ordonnance rendue par celui-ci.
La procédure de référé-liberté : La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures. |