Le juge des référés du Conseil d’État suspend l’exécution du décret du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts.
Peu connu en droit français, le trust est un outil juridique usuel dans les systèmes de common law. Il permet à une personne appelée « constituant » de désigner un « administrateur » en vue de gérer des biens dédiés à un usage défini par le contrat créant le trust, qui institue un ou des bénéficiaires. C’est une formule notamment utilisée par certaines personnes pour financer des œuvres d’intérêt général ou régler les modalités de leur succession.
Dans le but d’améliorer la connaissance de l’administration fiscale française sur les trusts institués à l’étranger par les personnes ayant leur résidence fiscale en France, quelle que soit leur nationalité, les trusts sont soumis en France depuis 2011 à une déclaration obligatoire. La loi du 6 décembre 2013 a en outre institué un « registre public des trusts » permettant, selon des modalités renvoyées à un décret, d’avoir librement accès à diverses données personnelles propres aux constituants, aux administrateurs et aux bénéficiaires de trusts. Ce registre fait l’objet du deuxième alinéa de l’article 1649 AB du code général des impôts. Le décret n° 2016-567 du 10 mai 2016 a précisé que ce registre, prenant la forme d’un traitement automatisé de données personnelles, serait librement consultable en ligne par toute personne disposant d’un identifiant électronique, identique à celui qui est utilisé pour remplir la déclaration de revenus dématérialisée, et se conformant à une procédure d’authentification.
Une ressortissante américaine, ayant sa résidence fiscale en France et ayant à ce titre déclaré à l’administration française les trusts qu’elle a constitués dans son pays d’origine en vue de sa succession à venir, a demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre provisoirement l’exécution de ce décret et de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité de la création de ce registre public, consultable sans restriction ni encadrement, au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le juge des référés a estimé que la nature des informations personnelles accessibles via ce registre et le caractère public de celui-ci pouvaient conduire à la divulgation des intentions testamentaires de l’intéressée, en exposant celle-ci à diverses pressions. Il en a déduit, d’une part, que l’atteinte portée à sa situation personnelle était suffisante pour caractériser une situation d’urgence et, d’autre part, que la critique soulevée vis-à-vis du respect de la vie privée faisait naître, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité du décret.
Le juge des référés a en outre estimé qu’il y avait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel le deuxième alinéa de l’article 1649 AB du code général des impôts, au titre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.
L’exécution du décret du 10 mai 2016 a donc été provisoirement suspendue dans l’attente de la réponse du Conseil constitutionnel, et du jugement par le Conseil d’État sur le fond de l’affaire.