PSE Darty et Mory-Ducros : le Conseil d’État prolonge sa jurisprudence en matière de contrôle administratif des plans de sauvegarde de l’emploi.
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L’essentiel :
Le Conseil d’État confirme l’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi de la société Mory-Ducros et rejette les recours contre le plan de sauvegarde de l’emploi des sociétés Darty et fils et A21 Darty Paris Ile de France ;
le plan de sauvegarde de l’emploi de Mory-Ducros ne peut donc pas être mis en œuvre ;
le Conseil d’État prolonge sa jurisprudence en matière de contrôle administratif des plans de sauvegarde de l’emploi et confirme que seules les irrégularités les plus graves, susceptibles d’avoir influencé l’appréciation des représentants du personnel ou de l’administration, conduisent à invalider un plan de sauvegarde de l’emploi.
Les faits et la procédure :
Les sociétés Mory-Ducros, d’une part, et les sociétés Darty et fils et A21 Darty Paris Ile de France (ci après les sociétés Darty), d’autre part, ont souhaité mettre en œuvre des réorganisations entraînant des licenciements économiques. A cette fin, elles ont élaboré des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Depuis l’intervention de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, un plan de sauvegarde de l’emploi ne peut être mis en œuvre qu’après approbation par l’administration.
S’agissant de la société Mory-Ducros, le directeur régional des entreprises, dela concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Île-de-France a, le 3 mars 2014, homologué ce PSE.
S’agissant des sociétés Darty, elles ont élaboré avec les organisations représentatives des salariés un PSE. Elles ont conclu à cette fin un accord collectif avec la majorité d’entre elles le 12 septembre 2013. L’administration a validé cet accord fixant le PSE.
Ces deux décisions administratives ont été contestées devant le juge administratif :
- le 11 juillet 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l’approbation du PSE de la société Mory-Ducros ;
- le 12 février 2014, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les recours concernant le PSE de Darty.
Après que les cours administratives d’appel compétentes ont pris la même position que ces jugements des tribunaux administratifs, le Conseil d’État a été saisis de ces deux affaires par la voie de pourvois en cassation. Le règlement de ces litiges a été l’occasion pour lui de préciser les modalités de contrôle de l’administration sur les PSE depuis la loi du 14 juin 2013, dans la continuité des trois arrêts rendus dans cette matière par l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat le 22 juillet 2015.
L’apport des décisions :
Les sociétés Darty
Le Conseil d’État confirme par ces décisions son approche pragmatique des obligations de l’employeur et de l’administration en matière de PSE. Une irrégularité n’entraîne l’invalidation du PSE que si elle a pu influencer l’appréciation des représentants du personnel ou le contrôle exercé par l’administration.
Ainsi, s’agissant de la restructuration des sociétés Darty, le Conseil d’État estime notamment que la présence de collaborateur de l’employeur non prévus par les textes ou certaines différences entre la version du PSE envoyée aux membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et celle distribuée le jour de la séance n’ont pas, en l’espèce, vicié la procédure. Se fondant sur les dispositions de la loi définissant les points sur lesquels doit porter le contrôle de l’administration, il précise également que les irrégularités affectant la négociation de l’accord collectif fixant le PSE n’entraîneront l’annulation de l’approbation de celui-ci par l’administration que si le vice est de nature à entacher de nullité l’accord collectif.
Le Conseil d’État rejette donc les recours contre le PSE des sociétés Darty, qui a donc pu légalement être exécuté.
La société Mory-Ducros
Lorsque la restructuration d’une entreprise entraîne un certain nombre de licenciements économiques, le plan de sauvegarde de l’emploi doit fixer des critères d’ordre permettant de déterminer quels salariés risquent de perdre leur emploi. Le code du travail prévoit que ces critères prennent notamment en compte les charges de famille des salariés, leur ancienneté de service, les qualités professionnelles et les difficultés particulières auxquelles peuvent être confrontées certaines personnes, notamment les personnes handicapées ou les salariés âgés.
La question se posait de savoir à quel niveau devaient être appliqués ces critères : fallait-il les appliquer au niveau de l’entreprise toute entière, ou pouvaient-ils être appliqués au niveau d’une partie seulement de l’entreprise touchée par la restructuration ? L’administration et la société Mory-Ducros avaient estimé qu’il était possible de se placer à un niveau inférieur à l’entreprise.
Le Conseil d’État juge, que les dispositions du code du travail qui étaient en vigueur à l’époque de la décision administrative d’approbation du plan ne permettaient pas d’appliquer les critères d’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise, sauf accord collectif, comme l’avait fait la Cour de cassation lorsque ces questions relevaient, avant la loi de 2013, des juridictions judiciaires. Etant donné qu’aucun accord collectif ne prévoyait une telle dérogation pour la société Mory-Ducros, il fallait donc appliquer les critères d’ordre à l’ensemble du personnel de l’entreprise. Le Conseil d’État rejette donc les pourvois en cassation dont il était saisi : la décision annulant le plan de sauvegarde de l’emploi de Mory-Ducros de 2014 devient définitive et ce plan ne peut pas être mis en œuvre.
Il est à noter que le Conseil d’État ne s’est prononcé que sur les dispositions du code du travail relatives aux critères d’ordre des licenciements économiques telles qu’elles étaient en vigueur à l’époque du plan de sauvegarde de l’emploi en question, en 2014 : ces dispositions ont été modifiées depuis lors par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015.