À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, retrouvez chaque jour, le portrait de femmes qui ont marqué l’histoire du Conseil d’État.
Louise Cadoux (1924-2016), première femme à intégrer le Conseil d'État en 1953
Louise Cadoux intègre à 29 ans le Conseil d’État en janvier 1953 avec Jacqueline Bauchet, sous l'oeil amusé, et un brin sceptique, de leurs collègues masculins.
Après quinze ans d’exercice au sein de l’institution, Louise Cadoux est détachée au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) où elle est chargée de mettre en place une documentation moderne en sciences humaines et sociales. Elle s’implique dans le groupe de réflexion « Information scientifique et technique » qui propose en 1971 une politique nationale de la recherche en vue de favoriser les publications en langue française.
De retour au Conseil d’État en 1975, elle est rapporteure dans de nombreuses affaires contentieuses. Elle instruit notamment le célèbre recours contre le décret gouvernemental de novembre 1977 qui entendait réserver le droit au regroupement familial aux seuls membres de la famille d’un ressortissant étranger qui ne demandaient pas l'accès au marché du travail. Après avoir succédé à Jacqueline Bauchet à la présidence de la première section de la Commission spéciale de cassation des pensions, elle rejoint en 1980 la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) en tant que membre puis vice-présidente déléguée en 1985. Elle s’y investit sur les questions de protection de la vie privée dans un contexte d’informatisation croissante des données personnelles et de développement de la société de l’information.
Nicole Questiaux (née en 1930), première femme Commissaire du gouvernement en 1963
Nicole Questiaux rejoint le Conseil d’État à 25 ans, en août 1955. Au sein de l’institution, elle devient, en 1963, la première femme à exercer la fonction de commissaire du gouvernement (aujourd’hui rapporteur public). Chargée de livrer son interprétation du droit applicable à chaque affaire lors des audiences, elle conclut dans des affaires célèbres de l’histoire du droit administratif durant 11 années. Elle participe notamment à la décision du 1er mars 1968, dite « des semoules », qui pose qu’examiner la compatibilité d’une loi postérieure à un traité revient à statuer sur la conformité de cette loi à la Constitution (art. 55), ce qui n’est pas du ressort du Conseil d’État (jurisprudence qui sera abandonnée avec le grand arrêt « Nicolo » en 1989).
Le parcours de Nicole Questiaux est aussi marqué par son engagement politique. Ministre de la Solidarité nationale en mai 1981 dans le premier Gouvernement de Pierre Mauroy, elle porte notamment la réforme abaissant à 60 ans l’âge de départ à la retraite à « taux plein ».
Au cours de sa carrière, Nicole Questiaux s’investit auprès de comités et de commissions chargés de questions liées aux droits de l’Homme (membre de la sous-commission de lutte contre les discriminations des Nations unies de 1970 à 1982, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de 1984 à 1986) ou à la bioéthique (membre en 1984 puis vice-présidente en 1999 du Comité national consultatif d’éthique, présidente de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal de 1999 à 2002, membre du comité international de bioéthique de l’UNESCO depuis 2000).
Marie-Dominique Hagelsteen (1948-2012), première femme présidente du Conseil de la Concurrence en 1998
En 1972, Marie-Dominique Hagelsteen rejoint le Conseil d’État à l’âge de 24 ans. Après six années d’exercice, elle devient commissaire du gouvernement (rapporteur public aujourd’hui) de 1978 à 1981 puis à nouveau de 1989 à 1992. Certaines de ses conclusions marquent particulièrement les esprits. Notamment lorsque la solution qu’elle préconise déjà en 1981 dans l’affaire opposant le ministre du Travail à la Société Afrique France Europe Transactions, ne sera retenue que 18 ans plus tard dans le grand arrêt « Alitalia », reconnaissant l’obligation pour l’administration d’abroger les règlements illégaux.
Après avoir siégé au collège du Conseil de la Concurrence (aujourd’hui Autorité de la Concurrence) dès 1989, elle en devient la première femme présidente en 1998. Durant six années, elle transforme l’institution, revoit les procédures, obtient une autonomie budgétaire et de nouveaux moyens de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, et inscrit le Conseil dans un élan plus large de modernisation du droit européen de la concurrence. Selon les mots de Bruno Lasserre qui lui succède en 2004, sa présidence est « associée au développement du contradictoire, de l’oralité, du questionnement en séance qui vont accroitre la confiance dans une institution profondément renouvelée ».
De retour au Conseil d’État, elle occupe le poste de présidente adjointe de la section du Contentieux avant de devenir présidente de la section des Travaux publics. Durant sa présidence qui durera 5 ans, la section donnera notamment des avis sur les lois sur les organismes génétiquement modifiés (2008), le logement et la lutte contre l’exclusion (loi « MOLLE », 2009), les lois sur l’environnement dites « Grenelle I » (2009) et « Grenelle II » (2010), ou encore la loi sur le Grand Paris (2010).
Marie-Aimée Latournerie (née en 1937), première femme présidente de cour administrative d’appel en 1991
Marie-Aimée Latournerie intègre le Conseil d’État en 1963, à l’âge de 26 ans. Elle y exerce notamment les fonctions de commissaire du Gouvernement (rapporteur public aujourd’hui) de 1973 à 1981 près des différentes formations de jugement du Conseil d’État, puis près du Tribunal des conflits, de 1984 à 1986. Elle s’investit ensuite au sein de la section du rapport et des études (1985-1991) avant d’en assurer la présidence (2000-2002). Durant ces années, elle travaillera particulièrement sur les questions de modes de transmission du droit, à partir notamment de missions de coopération internationale, en Algérie, au Vietnam et dans différents pays d’Europe de l’Est.
De 1991 à 1993, elle préside la cour administrative d’appel de Lyon, devenant la première femme à exercer cette fonction. Forte de cette expérience ainsi que de celle de membre du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, elle participe à divers groupes de travail internes au Conseil d’État qui aboutissent en 2000 à l’institution d’une procédure de référé devant les juridictions administratives.
Durant son parcours, Marie-Aimée Latournerie rejoint également des cabinets ministériels, en tant que conseiller technique auprès du ministre de la Jeunesse et des Sports, François Misoffe (1967-1968) et directrice de cabinet du ministre chargé des Relations avec le Parlement, André Labarrère (1981-1983). Elle s’investit également auprès du commissariat général du Plan, en tant que rapporteur général adjoint de la Commission des affaires culturelles pour le VIe Plan de développement économique et social (1969) et rapporteur général de la Commission des inégalités sociales pour le VIIe Plan (1975).
Suzanne Grévisse (1927-2018), première femme présidente de section en 1985
Suzanne Grévisse rejoint en octobre 1953 le Conseil d’État, soit quelques mois après Louise Cadoux et Jacqueline Bauchet, première femmes à intégrer la haute juridiction. Son parcours au Conseil d’État est marqué par ses passages à la section du Contentieux, en tant que commissaire du Gouvernement (rapporteur public aujourd’hui) de 1967 à 1977 et présidente sous-section de 1981 à 1983 notamment, ainsi qu’à la section sociale. Affectée à cette section de 1961 à 1977, elle en assure la présidence en 1985, devenant ainsi la première femme présidente de section, poste qu’elle occupe durant six années.
Sous sa présidence, la section sociale donne des avis sur des textes emblématiques tels que les ordonnances de réforme du Code du Travail en 1986, les lois sur l’emploi des travailleurs handicapés en 1987, la création du revenu minimum d’insertion en 1988, la protection des mineurs maltraités ou la modification de la législation de 1838 sur les droits des personnes hospitalisées en raison de troubles psychiatriques en 1989.
Durant son parcours, Suzanne Grévisse s’investit également à l’extérieur du Conseil d’État, en tant que présidente de la Commission des comptes de la santé (1982-1987), membre du Conseil supérieur de la magistrature (1983-1985) et du Comité européen des droits sociaux (1988-2000).