Il y a dix ans, le législateur a confié au juge administratif les contentieux relatifs aux « plans sociaux », soit les contentieux portant sur la validation ou l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) par les DREETS (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. Le Conseil d'État rend aujourd’hui trois décisions importantes en la matière : dans les deux premières, il précise comment les risques psychosociaux doivent être pris en compte par les entreprises lorsqu’un PSE est élaboré et comment les DREETS doivent le contrôler ; dans la troisième décision, il précise le régime juridique du nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective (RCC) institué en 2017 et son articulation avec les PSE.
Les risques psychosociaux doivent être expressément pris en compte lors de l’élaboration des PSE
En cas de licenciement collectif pour motif économique, le code du travail prévoit l’élaboration par l'employeur d’un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou « plan social » qui, pour pouvoir être mis en œuvre, doit être validé (lorsqu’il prend la forme d’accord majoritaire avec les syndicats) ou homologué par la DREETS (si le PSE résulte d’un document unilatéral de l’employeur), à l’issue d’un contrôle qui porte à la fois sur la procédure d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel et sur le contenu du PSE. Par deux décisions de ce jour, le Conseil d’Etat juge que dans le cadre de son contrôle, l’administration doit aussi vérifier que les IRP ont été informées et consultées sur les risques psychosociaux susceptibles d’être causés par la réorganisation de l’entreprise à l’origine du plan social et que le PSE contient, si nécessaire, les mesures propres à protéger les travailleurs contre ceux-ci lors de la mise en œuvre de la réorganisation.
Dans ces affaires, le Conseil d'État a été saisi par un organisme public et par une société pour contester l’annulation, par le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel, des décisions administratives d’homologation de leurs PSE respectifs.
Dans le premier dossier, si la DREETS s’était assurée que les institutions représentatives du personnel avaient bien été informées et consultées sur les risques psychosociaux, elle n’avait pas vérifié que le document unilatéral de l’employeur comportait bien des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. La DREETS n’ayant pas mis en œuvre son obligation de contrôle du PSE en matière de RPS, elle ne pouvait pas légalement l’homologuer.
Dans le second dossier, le PSE soumis à la DREETS ne comportait aucune mesure propre à protéger les salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l’activité de l’entreprise. En l’absence de mesures de prévention des risques psychosociaux, alors qu’ils étaient avérés, la DREETS ne pouvait pas légalement homologuer le PSE de la société.
Pour ces raisons, le Conseil d'État confirme les décisions de la CAA annulant les décisions administratives homologuant les plans de sauvegarde de l’emploi en cause.
Télécharger les décisions n° 450012 et 460660-460924
Un accord collectif de rupture conventionnelle collective ne peut être validé lorsqu’il vise à se substituer à un PSE pour cessation d’activité
Le code du travail prévoit depuis 2017 la possibilité d’accords portant rupture conventionnelle collective (RCC). Ce dispositif, qui comporte des différences par rapport aux « plans de départs volontaires » qui existaient déjà antérieurement et qui ne sont pas régis par le code du travail, autorise un employeur à proposer à ses salariés de mettre volontairement fin à leur contrat de travail en échange de contreparties fixées dans le cadre d’un accord collectif majoritaire signé avec des organisations syndicales représentatives. Ces ruptures conventionnelles excluent le licenciement comme la démission et ne peuvent être imposées par l’une ou l’autre des parties.
La loi précise que, comme en matière de plans sociaux, il revient à l’administration (les DREETS) de valider de tels accords pour s’assurer de leur légalité et que les décisions de l’administration – de validation ou de refus de validation – ne peuvent être contestées que devant le juge administratif. C’est ainsi une nouvelle compétence en droit du travail pour le juge administratif et la décision en cause est la première où le Conseil d’Etat statue au titre de cette nouvelle compétence.
En l’espèce, le Conseil d'État a été saisi par une société lui demandant de confirmer la validation par l’administration de l’accord de rupture conventionnelle collective signé en décembre 2020 et annulée par la cour administrative d’appel en octobre 2021.
Le Conseil d'État juge que si un accord portant rupture conventionnelle collective peut être validé lorsqu’il est conclu pour un motif économique, il ne peut l’être en cas de cessation d’activité d’une entreprise ou d’un de ses établissements qui conduit de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté, dans le cadre de l’accord portant RCC, pour une rupture d’un commun accord de leur contrat de travail, doivent faire l’objet d’un licenciement pour motif économique dans le cadre d’un PSE.
C’était le cas d’espèce soumis au Conseil d’Etat, où la fermeture de l’activité de production d’un établissement de l’entreprise requérante impliquait que ceux des salariés qui n’accepteraient pas une rupture d’un commun accord de leur contrat de travail ne pourraient qu’être licenciés dans le cadre d’un PSE. C’est pourquoi le Conseil d'État confirme la décision de la CAA annulant la décision de validation de l’accord portant rupture conventionnelle collective de la société requérante.
Télécharger la décision n°459626