Le juge des référés du Conseil d’État suspend le décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire.
L’Essentiel :
L’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation a créé l’obligation de réaliser des travaux d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire ou dans lesquels s’exerce une activité de service public avant le 1er janvier 2020.
Pour l’application de ces dispositions, un décret en Conseil d’État du 9 mai 2017 a notamment prévu les objectifs de réduction de consommations énergétiques à atteindre, le périmètre des bâtiments concernés, et les modalités selon lesquelles ces objectifs devront être atteints, par la réalisation d’études et de plans d’action. Ce décret renvoie à son tour à un arrêté la détermination de certains seuils ainsi que les exigences applicables à la réalisation de certains documents demandés.
Le Conseil du commerce de France, l’association Perifem et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie ont demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant selon la procédure de référé-suspension, de suspendre l’exécution de ce décret du 9 mai 2017.
Par la décision de ce jour, le juge des référés du Conseil d’État estime que plusieurs des critiques formulées par les requérants sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce décret et que la condition d’urgence prévue par le code justice administrative est remplie. Il suspend donc l’exécution du décret du 9 mai 2017.
Le cadre juridique :
L’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, créé par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, a institué l’obligation de réaliser des travaux d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire ou dans lesquels s’exerce une activité de service public avant le 1er janvier 2020. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a par la suite complété ces dispositions pour préciser que cette obligation était prolongée par période de dix ans de 2020 à 2050, avec un niveau de performance renforcé à atteindre chaque décennie. L’objectif est de réduire les consommations d’énergie finale du parc global concerné de 60% en 2050 par rapport à 2010.
Pour l’application de cet article, un décret en Conseil d’État du 9 mai 2017 a créé dans le code de la construction un chapitre intitulé « Obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments à usage tertiaire », comprenant les articles R. 131-38 à R. 131-50 de ce code.
Ces dispositions prévoient notamment que les travaux d’amélioration doivent permettre soit de réduire de 25% la consommation énergétique totale du bâtiment par rapport à la dernière consommation énergétique ou, si des travaux d’amélioration de la performance énergétique ont été entrepris depuis 2006, par rapport à la dernière consommation connue avant leur réalisation, soit à hauteur d’un seuil exprimé en kWh/m²/an (art. R. 131-39), la détermination de ce seuil étant renvoyée à un arrêté (art. R. 131-50). Le dispositif concerne les bâtiments ou parties de bâtiments à usage de bureaux, d’hôtels, de commerces, d’enseignement et les bâtiments administratifs, à l’exception des constructions provisoires, ainsi que sous certaines conditions, les bâtiments classés monuments historiques ou inscrits à l’inventaire (art. R. 131-40). Préalablement à la réalisation des travaux, doit être réalisée une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre pour atteindre les objectifs de performance énergétique fixés (R. 131-42), cette étude devant servir à élaborer des plans d’action (art. R. 131-44 et R. 131-45). Enfin, les propriétaires occupants ou les preneurs à bail des bâtiments concernés doivent, avant le 1er juillet 2017, transmettre ces rapports énergétiques et ces plans d’actions à un organisme désigné par le ministre chargé de la construction. A compter de 2018, ils doivent également lui transmettre, avant le 1er juillet de chaque année, les consommations énergétiques de l’année précédente et, avant le 1er juillet 2020, un bilan complet sur les travaux menés et les économies d’énergie réalisées (art. R. 131-46). En cas de changement de propriétaire ou de preneur, ces documents doivent être transmis au nouveau propriétaire ou au nouveau preneur (R. 131-49).
Les faits et la procédure :
Le Conseil du commerce de France, l’association Perifem et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre l’exécution de ce décret du 9 mai 2017, sur le fondement de la procédure de référé-suspension prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative (voir encadré infra).
Par une première ordonnance du 28 juin 2017, le juge des référés du Conseil d’État avait déjà partiellement fait droit à cette demande en suspendant le décret du 9 mai 2017 en tant qu’il impliquait la réalisation avant le 1er juillet 2017 de rapports d’études énergétiques et de plans d’action. Il avait pour le reste sursis à statuer sur le surplus des conclusions présentées par les requérants.
La décision de ce jour :
Par la décision de ce jour, le juge des référés Conseil d’État fait droit à la demande qui lui était présentée et suspend, dans son ensemble, l’exécution du décret du 9 mai 2017.
Il relève d’abord que plusieurs des critiques formulées par les requérants sont propres à créer un doute sérieux sur la légalité de ce décret. Tel est le cas de la critique tirée de ce que ce texte ne pouvait, sans méconnaître l’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, imposer une obligation de réduction de 25% de la consommation énergétique des bâtiments d’ici 2020, dès lors que la loi impose un délai de cinq ans entre la publication du décret d’application de cet article et la date à laquelle les obligations de performance énergétique doivent être respectées. Tel est également le cas des critiques tirées de ce que le délai excessivement contraint prévu par le décret en litige méconnaîtrait le principe de sécurité juridique, de ce que ce que les auteurs du texte auraient dû inclure dans le champ des obligations d’amélioration de la performance énergétique certains bâtiments du secteur tertiaire, et de ce qu’ils devaient moduler les obligations à respecter en fonction de la destination des bâtiments concernés.
Le juge des référés du Conseil d’État constate ensuite que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension est remplie. Sur ce point, il relève en particulier qu’alors même que l’arrêté d’application du décret du 9 mai 2017 n’a pas encore été pris, les personnes assujetties aux nouvelles obligations prévues par ce texte devraient d’ores et déjà, pour espérer atteindre l’objectif de diminution de 25% de leur consommation énergétique d’ici 2020, engager des études et des travaux, sans connaître le seuil alternatif exprimé en kWh/m²/an prévu par l’article R. 131-9 du code de la construction et de l’habitation et sans connaître la teneur des exigences que devront respecter ces études préalables.
Les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, le juge des référés fait droit à la demande de suspension du décret du 9 mai 2017 dont il était saisi. Ce texte est par conséquent inapplicable jusqu’à ce que le Conseil d’État se prononce définitivement sur sa légalité.