Le juge des référés du Conseil d’État confirme l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille ordonnant plusieurs mesures pour améliorer des conditions de vie des migrants à Calais.
L’essentiel :
- Le juge des référés du tribunal administratif de Lille avait fait droit à certaines demandes d’associations et de migrants. Dans une ordonnance du 2 novembre 2015, il avait :
ordonné à l’État de procéder, dans un délai de quarante-huit heures, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement ;
ordonné à l’État et à la commune de Calais de commencer à mettre en place, dans les huit jours, des points d’eau, des toilettes et des dispositifs de collecte des ordures supplémentaires, de procéder à un nettoyage du site, de créer des accès pour les services d’urgence.
- Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté aujourd’hui les appels formés contre cette ordonnance par le ministre de l’intérieur, la commune de Calais, les associations requérantes et les migrants.
- Les mesures ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif sont donc définitives. Il appartient aux autorités publiques de les mettre en œuvre.
Les faits et la procédure :
La fermeture du centre de Sangatte en 2002 s’est traduite par une dispersion des migrants présents sur le territoire de la commune de Calais et par l’apparition de squats, de campements et de bidonvilles. Pour faire face à cette situation, les autorités publiques ont ouvert en mars 2015 un centre d’accueil et d’hébergement, le centre « Jules Ferry » situé à environ 6 kilomètres au nord ouest du centre ville, et implanté en bordure d’un terrain, couramment dénommé « la Lande », d’environ 18 hectares. Le nombre de migrants présents sur le site a, toutefois, connu un très fort accroissement à partir du mois de septembre 2015, passant de 3 000 à environ 6 000, du fait de l’arrivée de nouveaux migrants et du développement d’un phénomène de sédentarisation.
Médecins du Monde et le Secours Catholique, qui sont venus porter assistance aux migrants vivant sur le site, ainsi que quatre de ces migrants ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’un « référé-liberté ». Ils demandaient qu’il soit ordonné à l’État, à la commune de Calais et à l’Agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais de mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées, selon eux, aux libertés fondamentales des migrants se trouvant sur le site, notamment le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.
La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge administratif d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence caractérisée.
Par une ordonnance du 2 novembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lille n’a que très partiellement fait droit aux demandes qui lui étaient présentées. Il a :
- ordonné à l’État de procéder, dans un délai de quarante-huit heures, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement ;
- ordonné à l’État et à la commune de Calais de commencer à mettre en place, dans les huit jours, des points d’eau, des toilettes et des dispositifs de collecte des ordures supplémentaires, de procéder à un nettoyage du site et de créer des accès pour les services d’urgence;
- rejeté le reste des demandes des requérants.
Le ministre de l’intérieur et la commune de Calais ont fait appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’État. En réponse, Médecins du Monde, le Secours catholique et les autres requérants ont repris en appel leurs conclusions qui, pour l’essentiel, n’avaient pas été satisfaites.
La décision du Conseil d’État :
Dans l’ordonnance qu’il a rendue aujourd’hui, le juge des référés du Conseil d’État a, tout d’abord, examiné le bien fondé des appels de l’État et de la commune.
Après avoir relevé que l’urgence était bien caractérisée, il a relevé que les autorités publiques font actuellement et continueront à faire dans les prochains mois de nombreux efforts pour l’hébergement ainsi que pour la prise en charge sociale, médicale et psychologique des personnes les plus vulnérables vivant sur le site. Il a estimé, dans ces conditions, que le juge des référés du tribunal administratif avait eu raison de juger que des mesures de sauvegarde n’étaient pas nécessaires sur ce point.
En revanche, il a relevé que les mineurs isolés en situation de détresse n’étaient toujours pas identifiés ni, en conséquence, pris en charge par les autorités publiques. Il a ainsi confirmé l’injonction faite au préfet du Pas-de-Calais par le juge des référés du tribunal administratif de procéder, à très bref délai, au recensement de ces mineurs et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement.
Le juge des référés du Conseil d’État a ensuite indiqué, car ce point était contesté par le ministre, qu’en l’absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Il a alors estimé, tout comme le juge des référés de première instance, qu’aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée aux autorités publiques en ce qui concerne la nutrition des personnes présentes sur le site : le centre « Jules Ferry » distribue des repas et de nombreux migrants pourvoient à leurs besoins alimentaires soit grâce aux associations présentes sur le site, soit par leurs propres moyens.
Il a considéré, en revanche :
- que l’accès à l’eau potable et aux sanitaires est manifestement insuffisant ;
- qu’aucun ramassage des ordures n’est réalisé à l’intérieur du site, ce qui expose les migrants vivant sur le site de La Lande à des risques élevés d’insalubrité ;
- que les véhicules d’urgence, d’incendie et de secours ne peuvent pas circuler à l’intérieur du site en l’absence de l’aménagement de toute voirie.
Le juge des référés du Conseil d’État a estimé que ces conditions de vie étaient bien de nature à exposer les migrants vivant sur le site à des traitements inhumains ou dégradants et il a approuvé le juge des référés du tribunal administratif d’avoir ordonné à l’État et à la commune de Calais de commencer à mettre en place dans les huit jours des points d’eau, des toilettes et des dispositifs de collecte des ordures supplémentaires, de procéder à un nettoyage du site, et de créer des accès pour les services d’urgence.
Il a ainsi rejeté les appels du ministre et de la commune de Calais.
Le juge des référés du Conseil d’État a ensuite examiné les conclusions rejetées par le juge des référés du tribunal administratif et reprises en appel par Médecins du monde et le Secours Catholique.
Il a, tout d’abord, constaté que plusieurs mesures demandées par les requérants ne sont pas de celles que le juge du « référé-liberté » a le pouvoir d’ordonner, compte tenu de sa mission, qui est de se prononcer dans un délai très bref.
Il a, ensuite, estimé qu’aucune carence caractérisée ne pouvait être reprochée à l’État en matière d’asile dans la mesure où il était déjà suffisamment fait pour la prise en charge des migrants présents sur le site au titre de l’asile (information, accompagnement des demandeurs, places en centre d’accueil).
Enfin, il a relevé, ce qui n’était plus guère contesté, que les mesures nécessaires pour assurer la sécurité sur le site avaient bien été prises.
Il a ainsi confirmé en tous points le rejet qui avait été prononcé par le juge des référés du tribunal administratif de Lille.