Le Conseil d'État renvoie au Conseil constitutionnel les trois premières questions de constitutionalité, en application de la réforme de la Constitution de juillet 2008 entrée en vigueur le 1er mars dernier. Il appartient désormais au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions dont l’examen lui a été renvoyé.
En application de l’article 61-1 de la Constitution, dont les modalités de mise en œuvre ont été précisées par la loi organique du 10 décembre 2009 entrée en vigueur le 1er mars 2010, tout justiciable peut soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative ou judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Cette question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée à tous les stades de l’instance, y compris directement devant le Conseil d'État. Dans une telle hypothèse, la question doit être renvoyée au Conseil constitutionnel si trois conditions cumulatives sont remplies : il faut que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure ; qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. En application de ces règles, le Conseil d'État vient, par trois décisions du 14 avril 2010, de renvoyer au Conseil constitutionnel trois questions de constitutionnalité directement soulevées devant lui à l’occasion de litiges dont il est saisi.
Dans l’affaire n° 323830 sont contestées les dispositions du 2° de l’article L. 211-3 du code de l'action sociale et des familles. Ces dispositions font de l’Union nationale des associations familiales et des unions départementales qui lui sont affiliées (respectivement, UNAF et UDAF) les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics en matière de politique familiale. Une autre association représentant les intérêts des familles conteste ces dispositions législatives au regard de plusieurs principes constitutionnels. Le Conseil d'État a jugé que les conditions imposant le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel étaient réunies, au regard notamment du principe d’égalité.
Dans l’affaire n° 329290, ce sont les dispositions introduites à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades qui font l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ces dispositions interdisent à quiconque de « se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » et limitent l’engagement de la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé du fait de la naissance d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse aux préjudices des seuls parents et si une « faute caractérisée » peut être identifiée. Cette réforme visait à faire obstacle à la reconnaissance par le juge de la possibilité d’indemniser non seulement les parents mais aussi l’enfant né handicapé à la suite d’une erreur fautive dans le diagnostic prénatal ayant empêché sa mère d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse. C’est au regard, notamment, de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fonde le principe de responsabilité, donc de la réparation d’un dommage causé à autrui, que la constitutionnalité de ces dispositions est contestée. En outre, ces dispositions ont été rendues applicables rétroactivement aux instances en cours au 5 mars 2002, date d'entrée en vigueur de la loi, et couvrent ainsi des préjudices résultant de fautes commises antérieurement à cette date. La constitutionnalité de cette rétroactivité est également contestée au regard du principe de séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel effectif, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil d’État a estimé, là aussi, que les conditions commandant le renvoi de ces questions au Conseil constitutionnel étaient remplies.
Dans l’affaire n° 336753 sont contestées plusieurs dispositions de lois de finances, toutes relatives à la fixation des pensions militaires servies par la France aux étrangers ressortissants de pays anciennement placés sous sa souveraineté, son protectorat ou sa tutelle. Il s’agit, précisément, de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959, de l’article 26 de la loi du 3 août 1981, de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l’article 100 de la loi du 21 décembre 2006. Ces dispositions, dont l’application conduit à ce que certaines des pensions versées aux étrangers concernés sont moins élevées que celles servies aux pensionnés français, sont contestées au regard du principe constitutionnel d’égalité et, s’agissant spécifiquement du IV de l’article 68 de la loi du 30 décembre 2002, du principe de non-rétroactivité et du droit à un recours juridictionnel effectif. Le Conseil d'État n’a pas renvoyé la question de la constitutionnalité de l’article 71 de la loi du 26 décembre 1959 au Conseil constitutionnel, faute d’applicabilité de cette disposition au litige. En revanche, s’agissant des trois autres dispositions contestées, il a jugé réunies les conditions imposant le renvoi.
Dans l’attente des réponses du Conseil constitutionnel, le Conseil d'État a sursis à statuer dans ces trois affaires. Il appartient désormais au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions dont l’examen lui a été renvoyé.
> Conseil d'État, 14 avril 2010, Union des familles en Europe, n° 323830
> Conseil d'État, 14 avril 2010, M. L…, n° 329290
> Conseil d'État, 14 avril 2010, M. et Mme L…, n° 336753