Par cinq décisions du 19 juillet 2011, le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions sur la façon dont il convient d’interpréter la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n°309161
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n°313518
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Mme V., n°320796
Les cinq affaires que le Conseil d’État a tranchées correspondaient à une réelle diversité de situations : elles ne concernaient pas toutes le même culte, ni le même type d’opérations. Quatre d’entre elles présentaient toutefois un point commun : dans chacune d’elles, étaient contestées des décisions de collectivités territoriales qui, poursuivant un intérêt public local, avaient soutenu un projet intéressant, d’une manière ou d’une autre, un culte. Dans la cinquième affaire, se posait la question de l’application des dispositions législatives permettant à des collectivités territoriales de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice destiné à un culte : la loi, en ouvrant une telle faculté à ces collectivités, devait-elle être regardée comme dérogeant à la loi de 1905 ?
Se posait ainsi pour l’essentiel dans ces affaires la question de la conciliation entre des intérêts publics locaux et les principes posés par la loi du 9 décembre 1905.
Pour rendre ses décisions, le Conseil d’État s’est appuyé sur les principaux articles de la loi du 9 décembre 1905 :
- l’article 1er dispose que : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » ;
- l’article 2 affirme que : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. » ;
- Enfin, les articles 13 et 19 prévoient que les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, sont laissés gratuitement à la disposition des associations cultuelles formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d'un culte et que celles-ci ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'Etat, des départements et des communes qui peuvent toutefois leur allouer des sommes pour la réparation des édifices affectés au culte public. La loi autorise également que les personnes publiques propriétaires d’édifices du culte engagent les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation de ces derniers.
Le Conseil d’État a rappelé qu’en vertu de ces dispositions, les collectivités publiques peuvent seulement :
- financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’Etat ;
- ou accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels.
Il leur est en revanche interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte.
Dans ce cadre, deux enseignements majeurs se dégagent des décisions du Conseil d’État :
- d’une part, si la loi de 1905 interdit en principe toute aide à l'exercice d'un culte, elle prévoit elle-même expressément des dérogations ou doit être articulée avec d'autres législations qui y dérogent ou y apportent des tempéraments ;
- d’autre part, si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu’à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu’elles respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d'égalité et qu’elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
1. Affaire n°308544 – Commune de Trélazé
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n°308544
Le sens de la décision
La loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale participe au financement d’un bien destiné à un lieu de culte (par exemple, un orgue dans une église) dès lors qu’existe un intérêt public local (organisation de cours ou de concerts de musique) et qu’un accord, qui peut par exemple figurer dans une convention, encadre l’opération.
Les faits à l’origine de l’affaire
Par trois délibérations du 15 octobre 2002, le conseil municipal de la commune de Trélazé (Maine-et-Loire) avait décidé de procéder à l’acquisition et à la restauration d’un orgue en vue de l’installer dans l’église communale Saint-Pierre, qui était jusqu’alors dépourvue d’un tel instrument. Puis, par une délibération du 29 octobre 2002, il avait autorisé le maire à signer l’acte d’acquisition de cet orgue.
Un contribuable de la commune avait demandé l’annulation de l’ensemble de ces délibérations au motif qu’elles méconnaissaient la loi du 9 décembre 1905. Par un jugement du 7 octobre 2005, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à cette demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé la solution retenue. La commune de Trélazé contestait cette analyse devant le Conseil d’État.
Cadre juridique et question posée par l’affaire
La loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes dispose, à son article 5, que : « A défaut d’associations cultuelles, les édifices affectés à l’exercice du culte, ainsi que les meubles les garnissant, continueront, sauf désaffectation dans les cas prévus par la loi du 9 décembre 1905, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion (...). ». Il résulte ces dispositions, interprétées constamment en ce sens par la jurisprudence, que les ministres du culte ont la faculté d’utiliser pour le culte tous les biens qui se trouvent installés dans l’édifice cultuel et de s’opposer à ce que ces biens soient utilisés à d’autres fins que le culte.
La question posée par l’affaire était donc de savoir si les dispositions des lois des 9 décembre 1905 et 2 janvier 1907 faisaient, par principe, obstacle à ce qu’une collectivité territoriale acquière un bien « mixte » (à usage cultuel et culturel) et l’installe dans un édifice affecté à l’exercice d’un culte.
Ce qu’a jugé le Conseil d’État
Le Conseil d’État a rappelé que les dispositions de l’article 5 de la loi du 2 janvier 1907 garantissent un droit de jouissance exclusive, libre et gratuite des édifices cultuels qui appartiennent à des collectivités publiques, au profit des fidèles et des ministres du culte, ces derniers étant chargés de régler l’usage de ces édifices, de manière à assurer aux fidèles la pratique de leur religion.
Il a ensuite jugé que ces dispositions et celles de la loi du 9 décembre 1905 ne font pas obstacle à ce qu’une commune qui a acquis, afin notamment de développer l’enseignement artistique et d’organiser des manifestations culturelles dans un but d’intérêt public communal, un orgue ou tout autre objet comparable, convienne avec l’affectataire d’un édifice cultuel dont elle est propriétaire ou, lorsque cet édifice n’est pas dans son patrimoine, avec son propriétaire, que cet orgue sera installé dans cet édifice et y sera utilisé par elle dans le cadre de sa politique culturelle et éducative et, le cas échéant, par le desservant, pour accompagner l’exercice du culte.
Le Conseil d’État a subordonné une telle opération à la conclusion d’engagements destinés à garantir une utilisation de l’orgue par la commune conforme à ses besoins et une participation financière du desservant, dont le montant soit proportionné à l’utilisation qu’il pourra faire de l’orgue afin d’exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
Enfin, dans le but d’éclairer le sens de sa décision et d’assurer la sécurité juridique de telles opérations, le Conseil d’État a précisé que ces engagements qui peuvent notamment prendre la forme d’une convention peuvent également comporter des dispositions sur leur actualisation ou leur révision, sur les modalités de règlement d’éventuels différends ainsi que sur les conditions dans lesquelles il peut être mis un terme à leur exécution et, le cas échéant, à l’installation de l’orgue à l’intérieur de l’édifice de culte.
En l’espèce, les principes ainsi dégagés ont conduit le Conseil d’État à casser l’arrêt de la cour administrative d’appel et à lui renvoyer l’affaire pour qu’elle examine si, en l’espèce, les conditions qui doivent encadrer ce type d’opérations ont été respectées.
2. Affaire 308817 – Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M. P.
Le sens de la décision
La loi de 1905 ne fait pas obstacle aux actions des collectivités territoriales visant à valoriser les atouts culturels ou touristiques qu’un édifice cultuel présente pour elles. Ainsi, l'attribution, par la commune de Lyon, d'une subvention en vue de la réalisation d'un ascenseur facilitant l’accès des personnes à mobilité réduite à la basilique de Fourvière n’est pas contraire à l'interdiction d'aide à un culte posée par la loi de 1905, même si cet équipement bénéficie également aux pratiquants du culte en cause. En effet, cet ascenseur présente un intérêt public local lié à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel et le développement touristique et économique de la ville, qui justifie l’intervention de la commune.
Les faits à l’origine de l’affaire
La basilique de Fourvière est un monument privé, détenu et géré par la Fondation Fourvière, reconnue comme établissement d’utilité publique. Elle accueille près de 2 millions de visiteurs par an.
Par une délibération du 25 avril 2000, le conseil municipal de Lyon avait attribué une subvention de 1,5 million de francs (228 673,52 euros) à la Fondation Fourvière afin de contribuer à la réalisation d’un ascenseur, d’un coût total de 3,3 millions de francs, destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à la basilique. Cet ascenseur devait permettre d’accéder directement à la nef ou à la crypte depuis le parvis, sans avoir à utiliser l’escalier – particulièrement pentu – qui relie ce dernier aux deux parties de l’édifice.
La Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et M. P. avaient demandé l’annulation de cette délibération, au motif qu’elle méconnaissait l’interdiction des aides aux cultes posée par la loi du 9 décembre 1905. Par un jugement du 5 novembre 2002, le tribunal administratif de Lyon avait rejeté cette demande. Par un arrêt du 26 juin 2007 la cour administrative d’appel de Lyon, statuant en formation plénière, a rejeté l’appel que ces derniers avaient formé contre ce jugement. C’est l’arrêt que les requérants contestaient en cassation devant le Conseil d’État.
La question posée par cette affaire était de savoir si les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 font par principe obstacle à ce qu’une collectivité territoriale prenne en charge tout ou partie des dépenses de réalisation d’un équipement ou d’un aménagement en rapport avec un édifice affecté à l’exercice du culte – qu’elle en soit ou non propriétaire – lorsque la réalisation de cet équipement ou de cet aménagement présente un intérêt public local, lié notamment à l’importance particulière de l’édifice pour le rayonnement culturel et le développement touristique et économique de son territoire.
Ce qu’a jugé le Conseil d’État
Le Conseil d’État a jugé que les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 ne faisaient pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale finance des travaux qui ne sont pas des travaux d’entretien ou de conservation d’un édifice servant à l’exercice d’un culte, soit en les prenant en tout ou partie en charge en qualité de propriétaire de l’édifice, soit en accordant une subvention, lorsque l’édifice n’est pas sa propriété, en vue de la réalisation d’un équipement ou d’un aménagement en rapport avec cet édifice.
Il a toutefois soumis une telle possibilité à plusieurs conditions :
- en premier lieu, l’équipement ou l’aménagement projetés doivent présenter un intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique du territoire de la collectivité et il ne doit pas être destiné à l’exercice du culte
- en second lieu, lorsque la collectivité territoriale accorde une subvention pour le financement des travaux, il faut que soit garanti, par exemple par voie contractuelle, que cette participation n’est pas versée à une association cultuelle et qu’elle est exclusivement affectée au financement du projet.
Le Conseil d’État a ensuite précisé que la circonstance qu’un équipement ou un aménagement remplissant ces conditions soit, par ailleurs, susceptible de bénéficier à des personnes qui pratiquent le culte ne saurait affecter la légalité de la décision de la collectivité territoriale de financer ces travaux.
En l’espèce, et après l’examen des autres moyens qui lui étaient soumis, il a rejeté le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon.
3. Affaire n° 309161 - Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n°309161
Le sens de la décision
Une communauté urbaine ne méconnaît pas les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 en aménageant un équipement permettant l’exercice de l’abattage rituel, si un intérêt public local le justifie. Ainsi, la nécessité que les pratiques rituelles soient exercées dans des conditions conformes aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques, justifie légalement, en l'absence d'abattoir proche, l'intervention de la collectivité territoriale. En outre, les conditions d’utilisation de l’équipement en cause doivent respecter le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et elles doivent exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
Les faits à l’origine de l’affaire
En septembre 2003, le conseil de la communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole- avait décidé l’aménagement de locaux désaffectés en vue d’obtenir un agrément sanitaire pour un abattoir local temporaire d’ovins. Cet abattoir était destiné à fonctionner essentiellement pendant les trois jours de la fête musulmane de l’Aïd-el-Kébir. Le conseil communautaire a autorisé le président de la communauté à engager la passation des marchés publics nécessaires. Puis, par une délibération du 21 octobre 2003, le conseil communautaire avait arrêté à 380 000 euros l’enveloppe budgétaire destinée au financement de ces travaux.
Un contribuable local avait demandé l’annulation de cette dernière délibération, au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance de la loi du 9 décembre 1905.
Par un jugement du 31 mars 2006, le tribunal administratif de Nantes avait fait droit à cette demande. Par un arrêt du 5 juin 2007, la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé ce jugement en jugeant que le crédit de 380 000 euros affecté à l’aménagement de l’abattoir en cause était constitutif d’une dépense relative à l’exercice d’un culte. La communauté urbaine contestait cet arrêt en cassation devant le Conseil d’État.
Cette affaire posait la question de savoir si et dans quelles conditions une collectivité territoriale peut, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, aménager un équipement pour permettre l’exercice de pratiques rituelles se rattachant à un culte, tel que l’abattage rituel, afin de concilier le libre exercice des cultes et des impératifs se rattachant à l’ordre public, tels que la salubrité publique ou la santé publique.
Ce qu’a jugé le Conseil d’État
Le Conseil d’État a jugé que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu’une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, construise ou acquière un équipement ou autorise l’utilisation d’un équipement existant, afin de permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes.
Il a toutefois précisé qu’une telle faculté ne peut être légalement mise en œuvre que si sont respectées deux conditions :
- il faut qu’existe un intérêt public local, tenant notamment à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques ;
- il faut que le droit d’utiliser l’équipement soit concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.
En conséquence, le Conseil d’État a cassé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, qui avait jugé que la délibération attaquée devant elle était illégale sans examiner si la communauté urbaine faisait état d’un intérêt public local tenant à la nécessité que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité publique et de la santé publique, du fait, notamment, de l’éloignement de tout abattoir dans lequel l’abattage rituel aurait pu être pratiqué dans des conditions conformes à la réglementation. Il a renvoyé à cette cour le jugement de l’affaire.
4. Affaire n° 313518 - Commune de Montpellier
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n°313518
Le sens de la décision
Une commune peut, dans le respect des principes de neutralité et d’égalité, permettre l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte si les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. En revanche, la mise à disposition pérenne et exclusive d'une salle polyvalente en vue de son utilisation par une association pour l'exercice d'un culte a pour effet de conférer à ce local le caractère d’édifice cultuel et méconnaît les dispositions de la loi du 9 décembre 1905.
Les faits à l’origine de l’affaire
Par une délibération du 28 janvier 2002, le conseil municipal de la commune de Montpellier avait décidé de construire une « salle polyvalente à caractère associatif » d’une surface totale de 1 010 m², d’inscrire au budget un crédit correspondant au coût de l’opération (soit 1 068 000 euros) et d’autoriser le maire à présenter une demande de permis de construire ainsi qu'à signer les marchés publics nécessaires. Deux années plus tard, par une convention signée le 2 juillet 2004, cette salle polyvalente avait été mise, pour une période d’un an renouvelable, à la disposition de l’association des Franco-Marocains, pour qu’elle puisse être utilisée comme lieu de culte par cette association.
Plusieurs conseillers municipaux avaient demandé l’annulation de la délibération du 28 janvier 2002 décidant de la création de la salle polyvalente. Par un jugement du 30 juin 2006, le tribunal administratif de Montpellier avait annulé cette délibération au motif qu’elle décidait une dépense relative à l’exercice d’un culte, en méconnaissance de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Par un arrêt du 21 décembre 2007, la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé ce jugement. La commune de Montpellier contestait cet arrêt en cassation devant le Conseil d’État.
La question posée par l’affaire était de savoir dans quelles conditions une collectivité territoriale peut décider de mettre un local à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905.
Ce qu’a jugé le Conseil d’État
Le Conseil d’État a tout d’abord rappelé sa jurisprudence constante, selon laquelle les dispositions législatives applicables (art. L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales) permettent à un commune d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Il a également rappelé qu’une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.
Il a ensuite posé le principe selon lequel les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, décider qu’un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel.
En l’espèce, le Conseil d’État a censuré l’arrêt de la cour, en jugeant que celle-ci avait commis une erreur de droit en jugeant que la commune de Montpellier avait décidé une dépense relative à l’exercice d’un culte, alors qu’elle avait elle-même relevé que la délibération attaquée devant elle avait pour seul objet de réaliser une salle polyvalente et non d’autoriser son utilisation à des fins cultuelles ou de décider qu’elle serait laissée de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte.
Après avoir annulé l’arrêt attaqué devant lui, le Conseil d’État a renvoyé le jugement de l’affaire à la cour administrative d’appel de Marseille.
5. Affaire n° 320796 - Mme V.
> Lire la décision CE, 19 juillet 2011, Mme V., n°320796
Le sens de la décision
En autorisant la conclusion d’un bail de longue durée (« bail emphytéotique administratif ») entre une collectivité territoriale et une association cultuelle en vue de l’édification d’un édifice du culte, le législateur a permis aux collectivités territoriales de mettre à disposition un terrain leur appartenant, en contrepartie d’une redevance modique et de l’intégration, au terme du bail, de l’édifice dans leur patrimoine. Ce faisant, le législateur a dérogé à l’interdiction, posée par la loi du 9 décembre 1905, de toute contribution financière à la construction de nouveaux édifices cultuels pour permettre aux collectivités territoriales de faciliter la réalisation de tels édifices.
Les faits à l’origine de l’affaire
Par une délibération du 25 septembre 2003, le conseil municipal de Montreuil-sous-Bois avait approuvé la conclusion d’un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans avec la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil, moyennant une redevance annuelle d’un euro symbolique, en vue de l’édification d’une mosquée sur un terrain communal d’une superficie de 1693 m² et il avait autorisé le maire à signer ce contrat.
Une conseillère municipale, Mme V., avait demandé l’annulation de cette délibération, au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance des dispositions de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Par un jugement du 12 juin 2007, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait fait droit à cette demande. La cour administrative d’appel de Versailles avait, par un arrêt du 3 juillet 2008, annulé ce jugement et rejeté la demande de Mme V, qui s’était pourvue en cassation devant le Conseil d’État.
Cadre juridique et question posée par l’affaire
Depuis la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988, ultérieurement codifiée aux articles L. 1311-2 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT), les collectivités territoriales peuvent conclure des baux emphytéotiques administratifs sur des dépendances de leur domaine privé, mais aussi de leur domaine public.
Cet article a été modifié par l’ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques qui a explicitement fait figurer à l’article L. 1311-2 du CGCT qu’un bail emphytéotique administratif peut notamment être conclu « en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ».
Cette modification faisait écho aux considérations générales du rapport annuel du Conseil d’État pour 2004, « Un siècle de laïcité », qui avaient souligné que le recours aux baux emphytéotiques en matière d’édifices cultuels constituait un « instrument efficace et précieux pour les associations souhaitant construire un édifice cultuel. Il se développe cependant dans un contexte juridique incertain. Dès lors qu’il a fait ses preuves, il serait souhaitable de remédier à ces incertitudes. ».
L’affaire soumise au Conseil d’État posait deux questions :
- d’une part, la conclusion d’un bail emphytéotique administratif à objet cultuel était-elle possible avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 21 avril 2006 ?
- d’autre part, comment les dispositions relatives au bail emphytéotique devaient-elles être articulées avec celles de la loi du 9 décembre 1905 ?
Ce qu’a jugé le Conseil d’État
Le Conseil d’État a tout d’abord jugé que par l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, dont la portée exacte sur ce point n’avait été qu’explicitée par l’ordonnance du 21 avril 2006, le législateur a permis aux collectivités territoriales de conclure un bail emphytéotique administratif vue de la construction d’un nouvel édifice cultuel, avec pour contreparties :
- d’une part, le versement, par l’emphytéote, d’une redevance qui, eu égard à la nature du contrat et au fait et au fait que son titulaire n’exerce aucune activité à but lucratif, ne dépasse pas en principe un montant modique ;
- d’autre part, l’incorporation dans le patrimoine des collectivités, à l’expiration du bail, de l’édifice construit, dont elles n’auront pas supporté les charges de conception, de construction, d’entretien ou de conservation.
Il a ainsi répondu à la première question par l’affirmative, en estimant que la conclusion d’un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice cultuel était possible dès avant la modification intervenue en avril2006.
En outre, le Conseil d’État a estimé que ce faisant, le législateur avait dérogé aux dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905. Il en a déduit que les règles posées par cette loi n’étaient pas applicables à un litige concernant la conclusion, par une collectivité territoriale, d’un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice cultuel : ce bail doit simplement respecter, notamment, les conditions régissant ce type de contrat.
En l’espèce, le Conseil d’État a substitué ce motif à celui retenu à tort par la cour administrative d’appel de Versailles et, après avoir écarté les autres moyens qui étaient soulevés devant lui, il a rejeté le pourvoi de Mme V.