Réalisée par Constantin Brancusi en 1909, la sculpture « Le Baiser » est implantée sur la tombe de Tatiana Rachewskaia au cimetière du Montparnasse à Paris. Souhaitant empêcher les descendants de la jeune femme de détacher la statue et de la vendre, l’État a inscrit l’intégralité de la tombe au titre des monuments historiques en 2010. Cette décision, contestée par la famille, est aujourd’hui confirmée par le Conseil d’État. La sculpture a été achetée dans l’unique but d’être scellée sur la tombe de la jeune femme, constituant ainsi un monument funéraire indivisible. À ce titre, ce monument doit être considéré comme un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui autorise l’État à l'inscrire comme monument historique sans l’autorisation de ses propriétaires.
Le 5 décembre 1910, Tatiana Rachewskaia, jeune femme russe de 23 ans étudiante en médecine à Paris a mis fin à ses jours. Ses parents ont acheté une concession perpétuelle au cimetière du Montparnasse et une sculpture d’un couple enlacé pour orner la tombe, réalisée par Constantin Brancusi, jeune sculpteur roumain alors totalement inconnu.
Approchés par des marchands d’art, les descendants de la défunte ont fait valoir leurs droits sur la concession perpétuelle en 2005 et entrepris des démarches pour déposer et exporter la sculpture. L’État s’y est opposé en élevant « Le Baiser » au rang de trésor national puis en inscrivant la totalité de la sépulture au titre des monuments historiques.
Saisi par les descendants, le tribunal administratif de Paris a confirmé la décision de l’État avant que celle-ci soit annulée par la cour administrative d’appel de Paris. Le ministère de la Culture a par la suite contesté l’arrêt de la cour devant le Conseil d'État.
La question qui lui était posée est de savoir si cette statue doit être considérée juridiquement comme un immeuble par destination, dont l’inscription aux monuments historiques nécessite comme tel l’accord de ses propriétaires, ou si la tombe, dans son ensemble, correspond à un immeuble par nature, pouvant dès lors être inscrit sans l’accord de ses propriétaires.
En application de l’article 518 du code civil, « les bâtiments sont immeubles par leur nature ». Selon l’article 524 du même code, « sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ».
Le Conseil d’État constate qu’un monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation, fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l’édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l’application de l’article 518 du code civil.
Appliquant cette règle au cas d’espèce, le Conseil d'État relève que la statue a été acquise spécifiquement pour la tombe de la jeune femme, qu’elle est fixée sur une stèle conçue exprès pour l’accueillir, réalisée dans la même pierre que la sculpture et implantée sur la tombe, et que le Baiser et sa stèle font ainsi partie, avec la tombe, d’un ensemble indivisible qui constitue un monument funéraire.
Le Conseil d'État confirme ainsi que cet ensemble est un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui permet à l’État de le l'inscrire aux monuments historiques sans recueillir l’accord de ses propriétaires.
Pour ces raisons, le Conseil d'État juge que l’inscription au titre des monuments historiques du monument funéraire de Tatiana Rachewskaia – composé de la sculpture « le Baiser », de la stèle et de la tombe – est légale.
Lire la décision n° 447967