Le Conseil d’État précise les modalités de son contrôle sur une sentence rendue en matière d’arbitrage international. (english version available)
L’essentiel
En 2001, Gaz de France, qui était alors un établissement public, a conclu un contrat avec un groupement de sociétés pour la construction d’un terminal méthanier sur la presqu’île de Fos Cavaou. Ce contrat a ensuite été cédé par Gaz de France à l’une de ses filiales, qui est aujourd’hui la société Fosmax LNG. Par un avenant de 2011, la société Fosmax et le groupement d’entreprises ont décidé que tout différend relatif au contrat serait tranché par des arbitres et non par une juridiction étatique
Le Conseil d’État juge que le contrôle qu’il exerce sur une sentence rendue en matière d’arbitrage international est limité et ne porte que sur certains éléments.
En particulier, le Conseil d’État vérifie seulement que la sentence rendue ne méconnaît pas une règle d’ordre public.
En l’espèce, l’erreur des arbitres, qui ont tranché le litige en appliquant des règles de droit privé alors que le contrat était un contrat administratif soumis aux règles du droit public, n’entraîne pas l’annulation de l’ensemble de la sentence.
La sentence n’est annulée que sur un point précis, pour avoir méconnu la règle d’ordre public selon laquelle le maître d’ouvrage de travaux publics peut procéder lui-même aux travaux si son cocontractant méconnaît ses obligations, aux frais de ce dernier.
Les faits et la procédure
En 2001, Gaz de France, qui était alors un établissement public, a conclu un contrat avec un groupement de sociétés pour la construction d’un terminal méthanier sur la presqu’île de Fos Cavaou. Ce contrat a ensuite été cédé par Gaz de France à une de ses filiales, qui est aujourd’hui la société Fosmax LNG. Par un avenant de 2011, la société Fosmax et le groupement d’entreprises ont décidé que tout différend relatif au contrat serait tranché par des arbitres et non par une juridiction étatique.
L’achèvement des travaux du terminal méthanier ayant donné lieu à un litige entre les parties, celui-ci a donc été tranché selon une procédure d’arbitrage. Le tribunal arbitral constitué a rendu une sentence le 13 février 2015, qui a condamné le groupement STS à payer la somme de 68 805 345 euros à la société Fosmax LNG tandis que cette société était condamnée à payer au groupement la somme de 128 162 021 euros.
La société Fosmax a saisi le Conseil d’État d’un recours tendant à l’annulation de cette sentence arbitrale.
Le Conseil d’État a d’abord été confronté à la question de savoir si ce litige relevait des juridictions administratives, et donc du Conseil d’Etat, ou des juridictions judiciaires : il a donc saisi le Tribunal des conflits, qui est chargé de résoudre ces questions d’attribution des litiges entre les deux ordres de juridiction. Le 11 avril 2016, le Tribunal des conflits a jugé que ce recours en annulation de la sentence arbitrale devait être jugé par la juridiction administrative.
Le contrôle du Conseil d’État sur les sentences arbitrales rendues en matière d’arbitrage international
L’arbitrage est une procédure par laquelle les personnes parties à un contrat décident de faire trancher leur litige par des arbitres qu’elles désignent elles-mêmes et selon une procédure dont elles ont décidé elles-mêmes, et non par une juridiction étatique. Il y a deux sortes d’arbitrage : l’arbitrage interne et l’arbitrage international, ce dernier s’appliquant dès que sont en jeu les intérêts du commerce international, ce qui était le cas en l’espèce car l’une des sociétés du groupement d’entreprise était italienne. La sentence que rendent les arbitres est une véritable décision de justice qui s’impose aux parties. Cependant, cette sentence peut faire l’objet d’un recours devant les juridictions étatiques, qui exercent alors un contrôle distancié.
L’arbitrage est en principe interdit aux personnes publiques, mais certaines dispositions législatives peuvent l’autoriser. Selon ce qu’a jugé le Tribunal des conflits, le contrôle d’une sentence rendue en matière d’arbitrage international relève des juridictions judiciaires, sauf lorsqu’il est nécessaire de contrôler la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l'occupation du domaine public ou à la commande publique.
C’était la première fois que le Conseil d’État devait déterminer le contrôle qu’il exerce sur une sentence rendue en matière d’arbitrage international. Par sa décision, le Conseil d’État confirme que le contrôle exercé sur une telle sentence est limité et ne porte que sur les éléments suivants :
- la possibilité de soumettre le litige à l’arbitrage ;
- certains éléments relatifs à la régularité de la procédure, à savoir le respect par le tribunal de sa compétence et de sa mission, sa correcte composition, le respect des principes d’indépendance et d’impartialité des juges, ainsi que le respect du caractère contradictoire de la procédure et de la motivation de la sentence ;
- s’agissant du contrôle sur la façon dont les arbitres ont réglé le litige, le Conseil d’État ne rejuge pas le litige, comme le ferait une cour d’appel ; il s’assure simplement que la sentence rendue n’est pas contraire à l’ordre public, c'est-à-dire que le contrat n’était pas dès le départ entaché d'un vice d’une particulière gravité, notamment d’un vice de consentement, ou n’est pas contraire à une règle à laquelle les personnes publiques ne peuvent déroger. Ces règles sont, notamment, l’interdiction des libéralités, l’interdiction d'aliéner le domaine public, l’interdiction de renoncer à certaines prérogatives publiques ou les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne.
La décision du Conseil d’État en l’espèce
Appliquant ces règles en l’espèce, le Conseil d’État a jugé que la sentence arbitrale avait été régulièrement rendue.
S’agissant du règlement du litige par les arbitres, les requérants se prévalaient, en particulier, d’une erreur des arbitres sur les règles de droit applicable. En effet, les arbitres avaient considéré que le contrat en cause était un contrat de droit privé. Le Tribunal des conflits, lorsqu’il a décidé d’attribuer le litige à la juridiction administrative, a au contraire jugé que ce contrat, signé à l’origine par l’établissement public Gaz-de-France, était demeuré un contrat administratif régi par les règles de droit public applicables à ces contrats. Cependant, eu égard au caractère limité du contrôle exercé par le juge administratif sur une telle sentence, le Conseil d’État estime que cette erreur sur les règles de droit applicable ne suffit pas à entraîner automatiquement l’annulation de la sentence : l’annulation n’est encourue que si cette erreur a conduit l’arbitre à méconnaître ou à écarter une règle d’ordre public. Tel n’était pas le cas des conséquences tirées de cette qualification pour ce qui concerne l’indemnisation du groupement d’entreprises des surcoûts dus au comportement de la société Fosmax LNG durant le déroulement du chantier.
En revanche, le Conseil d’État estime que la sentence méconnaît une règle d’ordre public sur un point, : l’arbitre, qui estimait avoir à appliquer un contrat de droit privé, avait jugé que la société Fosmax ne pouvait pas procéder à la mise en régie des travaux, c'est-à-dire décider de les exécuter elle-même ou de les confier à un tiers, aux frais de son cocontractant, dès lors que cette société était d’avis que ce dernier n’exécutait pas le contrat. Or cette faculté existe toujours lorsqu’on est en présence d’un contrat administratif portant sur des travaux publics et elle revêt le caractère d’une règle d’ordre public, applicable même dans le silence du contrat : sur ce point, le Conseil d’État annule donc la sentence qui, s’en tenant au constat que le contrat subordonnait l’exercice de la faculté de mise en régie à la résiliation préalable du contrat, a rejeté la demande de la société Fosmax LNG tenant à la condamnation du groupement au paiement de l’intégralité du coût des travaux que la société a fait exécuter par des tiers aux frais et risques de celui-ci.
Cette annulation ne conduit toutefois pas le Conseil d’État à rejuger ce point de l’affaire. Les parties doivent retourner, si elles le souhaitent, devant une juridiction arbitrale. Elles ne pourraient faire trancher ce point du litige par une juridiction administrative que si elles le souhaitaient toutes les deux et amendaient ainsi la convention d’arbitrage.