Hommage à Rémy Pflimlin, conseiller d’État en service extraordinaire, ancien président de France Télévisions
France Télévisions, Lundi 12 décembre 2016
Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État
Madame la ministre de la culture et de la communication,
Madame la présidente de France Télévisions,
Monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale,
Monsieur le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel,
Mesdames, Messieurs,
Chère famille de Rémy Pflimlin,
Alors que nous rendons aujourd’hui hommage à Rémy Pflimlin, dans cette maison de France Télévisions à laquelle il a tant donné, c’est au nom du Conseil d’État que je veux honorer sa mémoire.
Rémy était issu d’une grande famille démocrate-chrétienne d’Alsace, qui a notamment donné à la République un président du Conseil, en la personne de son grand-oncle, Pierre Pflimlin. Après de brillantes études, en particulier à HEC, il a manifesté précocement un goût prononcé pour la presse. De ce secteur d’activité, il a parcouru toutes les étapes du cursus honorum, de directeur de la publicité à directeur commercial, puis directeur général et président ; il en a aussi exploré tous les domaines : la presse écrite bien sûr, de Jours de France aux Dernières Nouvelles d’Alsace et à l’Alsace ; les messageries avec les Nouvelles messageries de la presse parisienne et l’audiovisuel avec France 3 et enfin France Télévisions. Nommé en 2010 à la tête du navire amiral de l’audiovisuel public, il y a poursuivi la fusion des sociétés du groupe et développé le numérique. Sa présidence y a été à son image : humaine, innovante, courageuse et volontaire.
Dans l’ensemble de ses activités, Rémy Pflimlin a été un homme de consensus, profondément conscient de l’importance du dialogue social. Il était intimement convaincu qu’une entreprise, aussi florissante soit-elle au plan économique et financier, ne peut vivre et progresser sans une dimension et un projet social.
Son choix du Conseil d’État, où il avait été nommé à compter du 1er septembre 2015 conseiller d’État en service extraordinaire, avait intrigué : qu’allait-il donc faire en solitaire dans cette « fabrique du droit », lui l’homme d’entreprise et de médias, le chef et l’animateur d’équipes ? Mais Rémy avait compris que le Conseil d’État est d’abord un creuset de réflexions et de libres débats, un lieu de régulation et de sagesse, une assemblée de personnes qui pratiquent l’écoute et le respect mutuels et partagent l’éthique de la délibération collective, à la recherche de la meilleure ou de la moins mauvaise solution. Il avait compris que le Conseil d’État, avec ses usages et ses traditions, mais aussi sa singularité et sa modernité, était un lieu important d’élaboration des politiques publiques et de réponse aux défis et problèmes de la société française. Ce sage avait naturellement sa place parmi nous. Nous étions faits pour nous rejoindre et nous comprendre.
Alors que son parcours de chef d’entreprise le prédestinait à une autre affectation, il avait choisi la section sociale en raison de ses profondes affinités avec les matières – travail, emploi, dialogue et protection sociale – dévolues à cette section dont il avait connu le président, Jean-Denis Combrexelle, alors directeur général du travail, lorsqu’il présidait France Télévisions. Dès son arrivée au Conseil d’État, Rémy s’est pleinement investi dans son travail de rapporteur. Il a manifesté le souhait d’apprendre, le plus complètement et rigoureusement possible, les règles, méthodes et devoirs de son nouveau métier. Comme dans tout ce qu’il a entrepris, il n’a mesuré ni son temps, ni son énergie. Alors même qu’il débutait, il a commencé à rapporter plusieurs dossiers importants. Il a non seulement fourni un travail de qualité grâce à son investissement personnel, mais il a su également partager sa riche expérience professionnelle avec ses collègues. Le Conseil d’État, c’est aussi cela : le partage de réflexions et d’expériences variées entre anciens et jeunes, entre personnes aux parcours différents, qui s’attellent ensemble au service d’une œuvre commune et de l’intérêt général. Lors des séances, Rémy n’hésitait pas à faire le lien entre le projet examiné et sa propre expérience. Ses éclairages se révélaient précieux. Sa participation active et constructive aux travaux de la section sociale était appréciée de son président, comme de ses collègues. Parallèlement à ses activités au Conseil, il a aussi présidé la Compagnie internationale de radio et de télévision ainsi que le Fonds de soutien à l’expression radiophonique. Rémy restait ainsi présent dans le monde des médias qu’il aimait tant.
Sa dignité et son courage face à la maladie, sur laquelle il a fait preuve de la plus grande discrétion, tout en s’ouvrant loyalement à sa hiérarchie, ont été exemplaires. En dépit du mal qui le dévastait, son goût pour ses nouvelles fonctions et son sens du devoir l’ont conduit à poursuivre jusqu’au bout ses travaux au Conseil d’État, institution à laquelle il était heureux et fier d’appartenir, où il s’était senti vraiment accueilli et dans laquelle il s’intégrait et réussissait sans peine. S’excusant pour son absence, il nous assurait encore, il y a trois semaines, qu’il espérait très vite reprendre ses activités parmi nous, peut-être pas avant Noël, mais en tout cas au début de l’année prochaine. C’est avec une très profonde tristesse que s’est répandue parmi nous, le 3 décembre, la nouvelle de sa disparition. Car en Rémy, plus encore qu’un collègue de qualité, le Conseil d’État et ses membres perdaient un ami. En plus d’une année, avec sa bonhomie, son intelligence, sa haute stature et son immense gentillesse, Rémy avait été adopté par tous. Profondément attentif aux autres, il ne faisait pas de distinction entre les personnes, manifestant la même disponibilité et le même degré de respect et d’écoute à l’égard de tous ses collègues, jeunes ou moins jeunes, expérimentés ou débutants. D’une grande humilité et d’une sincère modestie, il s’abstenait de mettre en avant de manière ostentatoire sa riche carrière et sa grande expérience professionnelle. Il voulait apprendre et partager nos métiers et notre charge de travail sur un pied d’égalité avec ses collègues. Sa bienveillance et son sourire irradiaient au Palais-Royal. Ses collègues de la salle René Cassin et de la section sociale en témoignent aujourd’hui par ma voix. Le matin du 5 décembre, un bouquet de fleurs a été déposé par des mains anonymes sur sa table de travail du Conseil d’État. Cet hommage discret, qui lui ressemblait tant, exprime l’émotion réelle et la peine profonde de tous nos collègues qui ont cheminé avec lui au cours de ces 15 mois et apprécié son engagement professionnel, comme sa personnalité. Il est des chagrins unanimement partagés. Celui causé par la disparition de Rémy est vraiment de ceux-là.
Rémy était aussi un homme de grande culture, animé de la volonté de promouvoir activement le patrimoine et la création artistiques. Il avait, on le sait, une dilection particulière pour la musique et présidait depuis 15 ans le Festival international des musiques contemporaines de Strasbourg, Musica, et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris depuis 2005.
Il était un homme d’ouverture et de dialogue, très attaché aux valeurs du service public – ce qui comptait particulièrement aux yeux de ses collègues. Il était chaleureux et bienveillant. Fidèle à ses racines alsaciennes et à ses amitiés, il a toujours suscité l’attachement de ses collègues, de ses collaborateurs et de ses pairs. Au cours de la période où je l’ai côtoyé au Conseil d’État, j’ai apprécié, comme tous mes collègues, l’ensemble de ses qualités. La maladie l’a emporté trop tôt. Il avait encore tant de choses à nous donner. Nous partagions aussi ensemble une certaine idée de l’intérêt général et des relations sociales. Je veux par conséquent, au-delà de notre peine, exprimer à Rémy, à titre personnel, comme au nom de l’institution que je représente, notre reconnaissance pour son engagement au service de notre Maison, pour tout ce qu’il était et ce qu’il a fait avec et parmi nous. Rémy nous a beaucoup apporté, aux plans humain et professionnel, et sa disparition si brutale et prématurée laisse au Conseil d’État un vide douloureux.
En ces temps de tristesse, je m’associe à la douleur de sa famille et, notamment, à celle de ses frères et de ses trois fils, à qui je tiens à exprimer ma très profonde sympathie et mes pensées fidèles et émues.