Le Conseil d'Etat engage la responsabilité de l'Etat en raison des difficultés d'accès d'une avocate à des palais de justice
Une personne exerçant la profession d’avocat est atteinte d’un handicap moteur qui s’est aggravé à la suite d’un accident. Elle se trouve depuis lors dans l’incapacité de monter les escaliers de façon autonome et doit se déplacer le plus souvent en fauteuil roulant. L’intéressée s’est plainte de l’absence ou de l’insuffisance des aménagements permettant l’accès des personnes handicapées à certains tribunaux où elle est appelée à travailler. Elle a demandé réparation à l’Etat des préjudices que lui a causés, selon elle, le défaut d’adaptation de ces bâtiments.
Cette personne s’est tournée vers le juge administratif pour obtenir réparation. Partant du constat que la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 avait posé l’obligation d’aménager les établissements existants recevant du public – comme les palais de justice – pour permettre l’accès et la circulation des personnes handicapées, elle critiquait le fait qu’un délai de 10 ans avait été ménagé pour assurer la mise en conformité des bâtiments. Elle soutenait d’abord que ce délai méconnaissait les engagements européens de la France, notamment la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 de la Communauté européenne. Elle considérait ensuite qu’il constituait une faute de l’Etat et que, même en l’absence de faute, il avait entraîné à son détriment une rupture d’égalité devant les charges publiques.
Le tribunal administratif de Lille, puis la cour administrative d’appel de Douai avaient rejeté ses demandes. Un pourvoi en cassation avait alors été introduit devant le Conseil d’Etat, qui a statué sur cette affaire dans sa formation la plus solennelle, l’Assemblée du contentieux.
Le Conseil d’Etat a d’abord écarté la responsabilité de l’Etat sur le terrain de la contrariété alléguée de la loi française au droit européen. Il a considéré que la loi avait pu à bon droit fixer un délai de mise en conformité des bâtiments et que la durée de 10 ans qui avait été retenue était compatible avec la directive du 27 novembre 2000. Il a avancé plusieurs raisons pouvant justifier cette durée : l’importance du patrimoine immobilier judiciaire ; le grand nombre et la diversité des édifices répartis sur l’ensemble du territoire national ; les contraintes spécifiques découlant de ce qu’une partie des bâtiments est ancienne et de ce que certains sont soumis à la réglementation sur les monuments historiques ; le volume des engagements financiers nécessaires pour réaliser l’accessibilité de ces bâtiments aux personnes à mobilité réduite.
Le Conseil d’Etat a ensuite écarté l’existence d’une faute de l’Etat. Tout en relevant la lenteur des progrès réalisés jusqu’à présent, il a noté que l’Etat avait engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées l’ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire. Ainsi, dans le ressort où exerce la requérante, le ministère de la justice s’est efforcé de remédier à ces difficultés par la réalisation progressive d’opérations spécifiques auxquelles est consacré un effort financier notable. Le Conseil d’Etat a par ailleurs remarqué qu’en l’espèce, les autorités judiciaires se sont efforcées, au-delà de l’adaptation du seul cadre bâti, de faciliter dans la mesure du possible l’accès de la requérante aux lieux d’exercice de sa profession, soit en réalisant des aménagements ponctuels, soit en mettant à sa disposition l’aide de personnel d’accueil et de sécurité des juridictions, soit encore en déplaçant le lieu de l’audience pour lui permettre d’y participer.
Le Conseil d’Etat a cependant considéré que, même en l’absence de faute, la responsabilité de l’Etat se trouvait engagée du fait d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques. Il a jugé que les conditions de l’étalement dans le temps des aménagements visant à rendre les locaux des palais de justice accessibles aux personnes handicapées créent un préjudice anormal pour une personne comme l’avocate requérante, amenée à fréquenter régulièrement ces lieux. Malgré les mesures palliatives existantes, un tel préjudice ne peut être regardé comme une charge incombant normalement à une personne handicapée devant accéder à un palais de justice pour y exercer sa profession d’avocat. En conséquence, le Conseil d’Etat a accordé à la requérante une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des troubles de toute nature causés par les conditions d’exercice de sa profession.
Conseil d’État, Assemblée du contentieux,
22 octobre 2010, Mme B., n° 301572