Le Conseil d’État valide pour l’essentiel l’ordonnance du 19 mai 2016 transposant la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes. Toutefois, il réserve la question des noms de marque désormais interdits, en posant trois questions préjudicielles à la CJUE, et annule sur certains points l’ordonnance.
L’essentiel :
Si l’essentiel des critiques formulées contre l’ordonnance est écarté, le Conseil d’État saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de trois questions préjudicielles relatives à la portée et au caractère proportionné de la réglementation, s’agissant des noms de marque que les fabricants peuvent continuer d’utiliser sur les paquets, boîtes et emballages extérieurs.
En outre, il annule certaines dispositions relatives :
à l’étiquetage des paquets, boîtes et emballages extérieurs, qui ne doivent comporter aucun élément contribuant à la promotion d’un produit du tabac ;
au contrôle de la marque et de la dénomination commerciale des produits du tabac à l’occasion de l’homologation de leur prix :
aux avertissements sanitaires devant figurer sur les paquets, boîtes et emballages extérieurs ;
au montant maximal des droits que les fabricants et importateurs doivent verser à l’État au moment de notifier les produits de vapotage avant leur mise sur le marché.
En ce qui concerne l’interdiction de toute propagande et toute publicité en faveur des produits du vapotage, le Conseil d’État précise que celle-ci doit être interprétée comme n’interdisant pas aux magasins vendant des produits de vapotage de signaler la nature de leur activité par leur enseigne.
La décision du Conseil d’État :
L’ordonnance du 19 mai 2016 transpose en droit français la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes :
elle interdit l’utilisation de marques ou dénominations commerciales qui promeuvent le tabac, en convergence avec les dispositions relatives au paquet neutre publiées le 22 mars 2016 ;
elle impose de nouveaux avertissements sanitaires sur les boîtes et étiquettes, plus nombreux, plus visibles et plus percutants, afin de mieux informer les consommateurs des risques d’utilisation des produits du tabac ;
elle oblige les fabricants des produits du tabac et connexes à déclarer les ingrédients entrant dans la composition de leurs produits et les études sur leur toxicité, qui seront rendues publiques, et interdit, afin de protéger le consommateur et d’éviter l’entrée de nouveaux consommateurs dans le tabac, de nombreux ingrédients dans tous les produits du tabac ;
elle définit les principes du dispositif indépendant d’authentification et de traçabilité qui sera mis en place en 2019 pour les cigarettes et en 2024 pour les autres produits du tabac ;
elle encadre la présentation et renforce les règles de sécurité applicables aux produits de vapotage.
La fédération des fabricants de cigares et diverses sociétés fabriquant et commercialisant du tabac et des cigarettes électroniques ont contesté plusieurs aspects de cette ordonnance devant le Conseil d’État. Par sa décision du 10 mai 2017, le Conseil d’État écarte la plus grande partie des critiques. Toutefois, il saisit la Cour de justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles relatives à l’utilisation des noms de marques sur les paquets. Il fait également droit sur certains points aux requêtes ou indique de quelle façon les dispositions de l’ordonnance doivent être interprétées pour ne pas méconnaître la directive 2014/40/UE.
1- La réglementation de l’utilisation des noms de marques sur les paquets, boîtes et emballages extérieurs
Les requérants mettaient en cause dans leurs requêtes tant la légalité de la directive elle-même que celle de l’ordonnance qui la transpose en droit français. L’article 13 de la directive encadre l’étiquetage des unités de conditionnement, autrement dit des paquets, boîtes et emballages extérieurs, en dressant une liste des éléments – incluant les noms et marques commerciales – interdits en raison de ce qu’ils suggèrent, en particulier en termes d’effets bénéfiques sur le mode de vie (attractivité, statut social, qualités telles que l’élégance...).
Selon les requérants, la réglementation de l’étiquetage des unités de conditionnement serait contraire notamment au droit de propriété. Estimant que les questions soulevées par les requêtes présentent sur ce point des difficultés sérieuses, le Conseil d’État saisit la CJUE de trois questions préjudicielles et, dans l’attente de la réponse de la CJUE, sursoit à statuer sur cette partie des requêtes. Ces trois questions ont trait :
à la portée des interdictions en tant qu’elles s’appliquent aux marques, notamment dans l’hypothèse où la marque a acquis une notoriété qui l’a rendue indissociable du produit qu’elle désigne ;
au caractère proportionné ainsi qu’à l’intelligibilité et à la prévisibilité des interdictions pour les opérateurs ;
à la combinaison de l’interdiction de certains noms de marques avec les obligations relatives au « paquet neutre », qui ne permettent plus aux opérateurs d’individualiser le produit par d’autres éléments que la marque et la dénomination du produit, y compris lorsque le fabricant doit cesser d’utiliser la marque ou la dénomination qui étaient connues des consommateurs.
Dès à présent, le Conseil d’État annule l’ordonnance du 19 mai 2016 sur deux points liés à cette problématique.
L’ordonnance renvoyait à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer « les principales catégories d’éléments ou dispositifs contribuant à la promotion d’un produit du tabac ». Le Conseil d’Etat annule l’adjectif « principales », qui méconnaît le caractère limitatif de l’énumération des éléments et dispositifs interdits par l’article 13 de la directive.
Le Conseil d’État annule également l’article 2 de l’ordonnance attaquée qui prévoit que l’arrêté d’homologation des prix de détail des produits du tabac mentionne la marque et la dénomination commerciale des prix du tabac, à condition que ces dernières ne tombent pas sous le coup des nouvelles interdictions. Le Conseil d’État juge que l’ordonnance ne pouvait pas, sans prévoir aucun encadrement, instaurer un tel contrôle qui peut conduire à l’interdiction de faire usage de marques dont les fabricants sont propriétaires et qui touche, dès lors, aux principes fondamentaux du régime de la propriété. L’ordonnance aurait dû définir les modalités essentielles de ce contrôle des marques et dénominations commerciales et prévoir un régime transitoire applicable aux marques existantes.
2- Avertissements sanitaires devant figurer sur les paquets, boîtes et emballages extérieurs
Le Conseil d’État écarte la critique faite au Gouvernement sur ce point de n’avoir pas utilisé, pour les cigares et cigarillos, la faculté que lui ouvrait la directive de recourir à un régime moins contraignant. Le Conseil d’État estime que ce choix n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation. Eu égard à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé qu’il poursuit et compte tenu de la portée des contraintes qu’il impose, le Conseil d’État estime qu’il ne porte pas non plus une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
En revanche, le Conseil d’État juge que l’obligation d’apposer deux fois le message d’information « La fumée du tabac contient plus de 70 substances cancérigène » sur certains types de conditionnement est contraire à l’article 9 de la directive, pour deux raisons. D’une part, le champ d’application de l’obligation prévue par l’ordonnance est plus large que celui de l’obligation d’avertissement et d’information prévue par l’article 9 de la directive. D’autre part, cette mention procède d’une confusion entre deux obligations d’avertissement expressément distinguées par l’article 9 de la directive : l’avertissement général (« Fumer tue – Arrêtez maintenant » ou « Fumer tue ») et le message d’information (« La fumée du tabac contient plus de 70 substances cancérigènes »).
3-La réglementation applicable aux produits de vapotage
Le Conseil d’État juge que le Gouvernement pouvait légalement prévoir une réglementation de la publicité dans les lieux de vente plus stricte que celle prévue par la directive. Il précise toutefois que l’interdiction de la propagande et de la publicité, directe ou indirecte, en faveur du vapotage ne fait pas obstacle à ce que les établissements commercialisant des produits de vapotage puissent signaler la nature de leur activité par l’enseigne du lieu de vente : les dispositions en cause régissent uniquement la propagande et la publicité, et non le droit à l’enseigne.
Les diverses critiques contre les dispositions de l’ordonnance relatives à l’obligation de notifier les produits de vapotage avant leur mise sur le marché ont également été écartées.
En revanche, le Conseil d’État fait droit aux requêtes en ce qui concerne les droits que perçoit l’État auprès des fabricants et des importateurs de produits de vapotage pour la réception, le stockage, le traitement et l’analyse des informations fournies au moment de leur notification. L’ordonnance attaquée renvoyait à un décret le soin de fixer le montant de ce droit, dans la limite de 7 600 euros. Le Conseil d’État juge ce montant manifestement déraisonnable, le Gouvernement n’apportant aucun élément justifiant son caractère proportionné par rapport au coût de réception, de stockage, de traitement et d’analyse des informations. Il annule en conséquence l’article L. 3513-12 du code de la santé publique issu de l’ordonnance, en tant que le montant qu’il fixe est supérieur à 500 euros.
Les critiques portant sur la procédure d’adoption de l’ordonnance, sur les dispositions pénales sanctionnant le non-respect de la réglementation et sur les dispositions transitoires ont été écartées.
La procédure de question préjudicielle ou de renvoi préjudiciel permet à une juridiction nationale d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne (par exemple règlements, directives) dans le cadre d'un litige dont cette juridiction est saisie.