Saisi par un particulier et une association, le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande de suspension du décret pris pour l’application des dispositions du code de la sécurité intérieure autorisant l’utilisation de drones équipés de caméras par les forces de l’ordre à des fins de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens. Il juge qu’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de ce décret, compte tenu des garanties que le cadre juridique défini par la loi et le décret offre quant au respect des exigences de protection de la vie privée et des données personnelles issues du droit français et européen. Le juge rappelle en outre que le respect, par chaque autorisation préfectorale, de ces exigences reste soumis au contrôle du juge administratif, qui peut être saisi y compris en urgence.
Les requérants demandaient au juge des référés du Conseil d’État de suspendre en urgence le décret du 19 avril 2023 pris pour l’application des dispositions du code de la sécurité intérieure autorisant l’emploi par les forces de l’ordre de caméras aéroportées à des fins de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, issues de la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure du 24 janvier 2022.
Le juge des référés du Conseil d’État rappelle que la loi elle-même, que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution par sa décision n°2021-834 DC du 20 janvier 2022, a strictement circonscrit les six finalités de prévention d’atteintes graves à l’ordre public et à la sécurité des personnes et des biens justifiant le recours à ces dispositifs, et subordonne leur emploi, soumis à autorisation au cas par cas, à la condition qu’aucun autre moyen ne permette d’atteindre la finalité poursuivie. Il rappelle l’ensemble des exigences découlant de la loi et du décret contesté, notamment en termes de proportionnalité du dispositif déployé dans le temps et dans l’espace, de limitation de la teneur et de la conservation des données enregistrées, d’encadrement des personnes susceptibles d’accéder à ces données, d’interdiction de couplage de ces dispositifs avec d’autres dispositifs de traitement de données, notamment de reconnaissance faciale, et d’exclusion de l’enregistrement d’images de domiciles privés. Il estime que le respect de ces dispositions, dans le cadre d’une autorisation délivrée par le préfet et reposant sur une appréciation précise et concrète, au cas par cas, de la nécessité et de la proportionnalité du recours à un tel dispositif, doit permettre d’assurer la conformité de ce recours aux exigences du droit au respect de la vie privée et de la protection des données personnelles, telles que définies par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la directive « police-justice » du 27 avril 2016 de l’Union européenne et la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978. Il souligne que la conformité de chaque autorisation préfectorale à ces dispositions peut être contestée devant le juge administratif, y compris en lui demandant en urgence la suspension de cette autorisation. Il rappelle, à cet égard, que les autorisations doivent être publiées sauf motif impératif d’urgence lié au maintien et à la sauvegarde de la sécurité publique dans une situation grave, dans un délai permettant un accès utile au juge.
Le juge des référés du Conseil d’État estime également que si des précisions pourront être utilement apportées sur certaines modalités d’emploi de ces dispositifs par des « doctrines d’emploi » définies par chacun des ministères concernés, dont la Commission nationale de l’informatique et des libertés aura communication dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, la loi n’imposait pas de faire figurer ces précisions, de nature opérationnelle plus que juridique, dans le décret lui-même.
Le juge des référés du Conseil d’État souligne enfin que la loi et le décret imposent l’information du public en cas d’emploi de tels dispositifs, ce qui inclut nécessairement celle des personnes susceptibles d’être filmées, y compris sur les lieux de l’opération concernée, et que le décret précise, comme le prévoit l’article L. 242-8 du code de la sécurité intérieure, les circonstances dans lesquelles il peut être fait exception à ce principe d’information, lorsque l’urgence ou les conditions de l’opération l’interdisent ou que cette information entre en contradiction avec l’opération elle-même, en excluant notamment toute exception lorsque le dispositif est employé pour assurer la sécurité, en cas de risques de troubles graves à l’ordre public, des rassemblements de personnes sur la voie publique.
Au regard de ces éléments, le juge des référés du Conseil d’État a estimé que les moyens invoqués par les requérants ne faisaient pas naître un doute sérieux, en l’état de l’instruction, et eu égard à l’office du juge des référés, quant à la légalité du décret contesté, qui justifierait sa suspension en urgence, et a par conséquent rejeté la demande de suspension présentée par les requérants.
Le Conseil d’État se prononcera « au fond » sur la légalité de ce décret dans les prochains mois.