Le Conseil d’État précise les conséquences, sur une sanction administrative devenue définitive, d'un arrêt de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
L’essentiel
- Le Conseil d’État juge que, lorsqu’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France concerne une sanction administrative devenue définitive, l’exécution de cet arrêt n’implique pas, en l’absence de procédure organisée à cette fin, que l’autorité administrative compétente réexamine la sanction.
- Il juge qu’en revanche, le constat par la Cour d’une méconnaissance des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue un élément nouveau qui doit être pris en considération par l’autorité administrative.
- Ainsi, lorsqu’elle est saisie d’une demande de réexamen ou de relèvement d’une telle sanction et que celle-ci continue de produire des effets, l’autorité administrative doit apprécier si la poursuite de l’exécution de cette sanction méconnaît les exigences de la convention.
- Dans l’affirmative, il appartient alors à l’autorité administrative, le cas échéant, d’y mettre fin, eu égard aux intérêts dont elle a la charge, aux motifs de la sanction et à la gravité de ses effets ainsi qu’à la nature et à la gravité des manquements constatés par la Cour.
Les faits et la procédure
Par une décision du 12 février 2002, la Commission des opérations de bourse (COB) a prononcé à l’encontre d’un prestataire de services d’investissement une sanction d’interdiction définitive de l’activité de gestion pour compte de tiers. Cette sanction a été confirmée par le Conseil d’État, statuant au contentieux par une décision du 28 décembre 2005.
Par un arrêt du 20 janvier 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), saisie de la procédure suivie devant la COB puis le juge administratif, a toutefois estimé qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH).
A la suite de cet arrêt, l’intéressé a demandé, le 30 juin 2011, au président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), laquelle a succédé à la COB, de réexaminer la sanction qui avait été prononcée par la COB ou d’en prononcer le relèvement.
Par une décision du 14 février 2012, le président de l’AMF a rejeté cette demande au motif que les textes applicables n’organisent ni procédure de réexamen, ni procédure de relèvement des sanctions prononcées à son encontre par la COB ou par la commission des sanctions de l’AMF.
Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’annulation de cette décision.
La décision du Conseil d’État
Le litige, soumis à l’assemblée du contentieux du Conseil d’État, soulevait la question de savoir si l’autorité administrative peut invoquer l’absence de procédure en droit interne pour refuser le réexamen et le relèvement d’une sanction administrative qui a été édictée en violation des droits protégés par la convention EDH, lorsque la demande de réexamen ou de relèvement fait suite à un arrêt de la Cour EDH rendu à propos de cette sanction.
Dans sa décision du 30 juillet 2014, l’assemblée du contentieux a d’abord rappelé que la complète exécution d’un arrêt de la Cour EDH condamnant un État partie à la convention implique, en principe, que cet État prenne toutes les mesures qu’appellent, d’une part, la réparation des conséquences que la violation de la convention a entraînées pour le requérant et, d’autre part, la disparition de la source de cette violation. Elle a souligné qu’eu égard à la nature essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour, il appartient à l’État condamné de déterminer les moyens de s’acquitter de cette obligation.
Elle en a ensuite déduit que l’autorité qui s’attache aux arrêts de la Cour EDH implique non seulement que l’État verse à l’intéressé les sommes que lui a allouées la Cour au titre de la « satisfaction équitable » prévue par l’article 41 de la convention, en réparation de tel ou tel chef de préjudice, mais aussi qu’il adopte les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un terme à la violation qui a été constatée par la Cour dans son arrêt de condamnation.
Dans le cas particulier où la violation constatée par la Cour EDH dans son arrêt concerne une sanction administrative devenue définitive, l’assemblée du contentieux a jugé que l’exécution de cet arrêt n’implique pas, lorsqu’il n’existe pas de procédure organisée à cette fin, que l’autorité administrative compétente réexamine la sanction, c’est-à-dire adopte une nouvelle décision se substituant à la première avec effet rétroactif, et qu’elle ne saurait davantage avoir pour effet de priver les décisions juridictionnelles de leur caractère exécutoire.
En revanche, l’assemblée du contentieux a estimé que le constat par la Cour d’une méconnaissance des droits garantis par la convention constitue un élément nouveau qui doit être pris en considération par l’autorité administrative.
Ainsi, lorsqu’elle est saisie d’une demande par l’intéressé et que la sanction prononcée continue de produire des effets, l’autorité administrative doit apprécier si la poursuite de l’exécution de cette sanction méconnaît les exigences de la convention EDH. Dans l’affirmative, il lui appartient, le cas échéant, d’y mettre fin, en tout ou en partie, eu égard aux intérêts dont elle a la charge, aux motifs de la sanction et à la gravité de ses effets ainsi qu’à la nature et à la gravité des manquements constatés par la Cour.
En l’espèce, l’assemblée du contentieux, faisant application de cette grille d’analyse, en a déduit que le président de l’AMF ne pouvait rejeter la demande de réexamen ou de relèvement présentée par l’intéressé au seul motif que les textes applicables n’organisaient ni procédure de réexamen, ni procédure de relèvement des sanctions prononcées par la COB ou la commission des sanctions de l’AMF. Le Conseil d’État a donc annulé la décision du président de l’AMF.
CE, 30 juillet 2014, M. B…, N°358564