Vœux des corps constitués pour 2016

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Texte non prononcé

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Vœux des corps constitués pour 2016/  Texte non prononcé

Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le Président de la République,

Au seuil de cette année, l’ensemble des responsables publics vous présentent, par ma voix, leurs vœux très sincères et respectueux pour votre personne et vos proches. Ils y joignent, avec une ardente conviction, le témoignage de leur disponibilité et de leur engagement pour servir et faire vivre les principes de la République.

Notre pays a connu en 2015 de funestes épreuves. Vous avez su, Monsieur le Président de la République, le rassembler, en exprimant avec force, au-delà de notre douleur, notre refus de la terreur et notre détermination à la combattre. Attaqués et meurtris, nous sommes restés debout grâce à l’action dans la durée de nos services publics -nos forces de sécurité, notre armée et nos services de secours et de santé-, auxquels je veux rendre un hommage appuyé. Les tragédies que nous avons vécues voulaient nous abattre ; elles doivent nous fortifier, en nous invitant à faire retour sur nous-mêmes et à ressaisir le cœur de notre vocation et le sens de nos responsabilités au service du peuple français.

I. Nous devons, d’abord, faire retour sur ce que nous sommes.

Les attaques dont nous avons été la cible ont visé le cœur de notre identité nationale. Cette identité est « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs », mais elle est aussi « le consentement actuel », « le désir de vivre ensemble », « la volonté de continuer à faire valoir l’héritage que l’on a reçu indivis »[1]. Notre identité, c’est l’idéal républicain du bien commun partagé entre tous : c’est un projet tourné vers l’avenir. Ainsi que vous l’avez dit, Monsieur le Président de la République, « la France n’est pas une identité figée (…), elle n’est pas une nostalgie (…), la France est une espérance (…) ».  Elle est une identité ouverte, parce qu’elle accueille et respecte la diversité des origines et toutes les convictions conformes à ses principes. Notre identité, c’est aussi notre appartenance à l’espace, à la civilisation et au projet européens. Nous ne pouvons les renier sans nous mutiler. Rien ne serait plus vain et mortifère que la tentation du repli et de l’autarcie. Suivons le cours de notre histoire et puisons aux sources de notre culture : nous progressons et nous rayonnons grâce à notre faculté d’intégration et d’adaptation. Cette République inclusive et motrice est la seule véritable ; c’est cela, la République française.

Fonctionnaires et magistrats, nous œuvrons à son service et en son nom. En France plus qu’ailleurs, l’État est le socle sur lequel la Nation s’est construite, il en constitue la matrice et l’une des principales forces agissantes. Cette réalité et cette vocation sont moins que jamais caduques. L’État demeure l’instrument de réalisation de l’intérêt général et des ambitions nationales. Nous portons, en tant que corps constitués, une triple conviction : la première, que l’Etat a encore un rôle - et un rôle éminent - à assumer dans l’amélioration des conditions de vie concrètes de nos concitoyens et la préservation de la cohésion nationale, comme de la grandeur du pays ; la deuxième, que l’État a les moyens – et doit se donner tous les moyens – de changer le cours des événements, d’être un puissant levier d’innovation, de fédérer les énergies et de coordonner de multiples acteurs ; la troisième, que l’État est porteur des aspirations profondes du peuple français, par l’exercice de la souveraineté nationale. Par conséquent, l’action transformatrice de l’État est et reste à la fois nécessaire, possible et légitime.

II. Face aux défis présents, les responsables publics ont un devoir impérieux de proposition et d’action.

Nous ne voulons pas que les principes de la République demeurent une idée, aussi belle soit-elle, un objet de vague révérence, moins encore un mythe. Nous voulons qu’ils soient une éthique vivante et se traduisent toujours par des chantiers et un programme d’action. Nous devons faire vivre les mots simples et forts de la devise de la République et, d’abord, la fraternité. Ces mots ne sont pas seulement faits pour orner le frontispice de nos bâtiments publics. Ils doivent se traduire en actes. Notre devoir aujourd’hui est donc de réduire l’écart insupportable entre les principes que nous proclamons et la réalité que nous constatons.

Pour y parvenir, il nous faut faire preuve de courage et d’audace. Ne cédons pas à la facilité : c’est en regardant vers le haut, et non en-bas, que nous nous hisserons au niveau de nos exigences. L’action publique doit partout être plus résiliente et plus performante. Il faut, dans tous les domaines, rompre avec les conformismes et les conservatismes, renoncer à la langue de bois et aux balancements circonspects, cesser de se couvrir et de s’abriter derrière les hiérarchies, le manque de moyens ou les incertitudes de la règle de droit. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Nous devons prendre nos responsabilités, fixer les objectifs et les étapes, assumer les risques nécessaires et remplir notre mission d’éclaireur, de passeur et de catalyseur de projets.

C’est de cette ambition collective que doit procéder une refondation des services publics et de l’action publique. Prétendre incarner, défendre et promouvoir les principes de la République dans l’esprit que je viens d’évoquer, est une ambition considérable, prométhéenne même, mais j’ai la conviction qu’elle peut et doit se mettre en œuvre, dans toutes les filières, catégories et métiers de la fonction publique, par de multiples actions, modestes ou stratégiques, qui nous relient chaque fois concrètement  au projet républicain. C’est ainsi que nous donnerons ou rendrons sens à l’action publique.

III. Nous devons agir sur le monde, mais nous devons aussi agir sur nous-mêmes, en visant l’exemplarité.

Les serviteurs de la chose publique incarnent une certaine idée de l’État et la défense, comme la permanence, de l’intérêt général. Chacun d’entre eux est habité par des principes déontologiques, qui renforcent leurs exigences professionnelles d’efficacité et de performance. L’article 1er du projet de loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires, en cours d’examen par le Parlement, en rappelle les piliers : dignité, impartialité, intégrité, probité, laïcité et, bien sûr, prévention et résolution des conflits d’intérêts.

Être exemplaire, c’est aussi être responsable et rendre régulièrement des comptes à nos concitoyens, sur ce que nous faisons et projetons. C’est traduire en actes, aujourd’hui et partout, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme. Au quotidien, les responsables publics savent qu’ils doivent porter la plus grande attention à leur interaction avec le corps social, faire preuve d’écoute et de pédagogie, d’humilité et de disponibilité -  pas seulement pour apaiser les tensions ou susciter l’adhésion, mais aussi pour consulter et faire participer le public, distinguer et concilier des intérêts multiples.

L’exemplarité, c’est enfin savoir faire preuve de lucidité, d’autocritique, non pour se trouver des excuses ou se flageller, mais pour se perfectionner et avancer. Comme toute organisation humaine,  l’État est exposé à des dysfonctionnements et à certaines maladies. Faire le catalogue de ces maladies nous aide à progresser et à préparer les remèdes nécessaires. C’est mutatis mutandis dans cet esprit que, devant la Curie romaine, s’est exprimé le Pape François au sujet des « maladies curiales » - dont nous sommes peut-être, nous aussi, affligés en tant que fonctionnaires d’un État laïc. Parmi ces maladies, figurent notamment celle du « fonctionnarisme », c’est-à-dire le manque d’imagination et d’audace et la propension aux habitudes stériles ; la « schizophrénie existentielle », conduisant à proclamer de grands principes sans chercher à les réaliser concrètement, ni à les appliquer à soi-même ; la « maladie de la rivalité et de la vanité » où la course aux distinctions et la recherche des avantages personnels l’emportent sur le service du bien commun ; ou encore la « maladie de diviniser les chefs » avec ses corollaires, le carriérisme et l’opportunisme. Il y a dans ces fortes paroles des leçons que nous pouvons tirer pour nous-mêmes, bien que nous ne soyons pas cardinaux, pas même de l’État républicain. Car à des degrés divers, nous sommes, nous aussi, atteints des mêmes maux. Mais, en dépit de ces maux, nous savons aussi faire preuve de vertus magnifiques et exemplaires, comme nos services publics l’ont encore montré après les attaques terroristes de l’an passé.

Monsieur le Président de la République,

Les évènements de l’année écoulée nous enjoignent de revenir à l’essentiel. Plus que jamais, nous devons nous poser la question : « Là où nous sommes, qu’avons-nous fait, que faisons-nous concrètement de cette part de République qui nous est confiée ? ». Cette interrogation est fondatrice et elle est avivée par les temps d’épreuve que nous traversons, comme à d’autres moments critiques de notre histoire. Cette question-là, nous ne pouvons l’éluder et nous avons, chacun d’entre nous, à l’entendre et à y répondre. C’est ainsi que du mal qui nous a été infligé pourra surgir un bien durable : la capacité de l’État et des services publics à revivifier la promesse républicaine, dont ils ont aujourd’hui plus que jamais la garde.

Bonne année 2016, Monsieur le Président de la République !

[1] Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?, conférence prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882.