Discours

Rencontres dauphinoises de la régulation

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
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Introduction de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, le 11 mai 2012, lors des rencontres dauphinoises de la régulation de l'Université Paris-Dauphine sur le thème de l'actualité de la régulation de l'énergie.

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Les rencontres dauphinoises de la régulation

Actualité de la régulation de l’énergie

Conseil d’État, Vendredi 11 mai 2012

Allocution d’ouverture [1], par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le Président de l’Université Paris-Dauphine,

Monsieur le Vice-bâtonnier,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers collègues,

Je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui pour cette nouvelle édition des Rencontres dauphinoises de la régulation, la deuxième de ce qui sera, je n’en doute pas, une longue série. Ces rencontres se déroulent cette année au Palais-Royal en raison de travaux entrepris par l’université Paris-Dauphine. Vous avez pu constater ce matin, si vous ne le saviez pas déjà, que nous connaissons également une période de travaux. Notre salle d’assemblée générale est en effet en cours de rénovation. C’est la raison pour laquelle nous siégeons dans la salle de la section de l’intérieur, elle-même récemment réaménagée. Située à l’emplacement de la salle du trône sous Louis-Philippe, avant le départ de celui-ci pour les Tuileries en 1831, cette salle a depuis lors bien changé et pris une allure résolument moderne : non seulement au regard du mobilier qui y a été installé, mais également parce qu’elle permet désormais de délibérer de manière dématérialisée.

Les Rencontres d’aujourd’hui participent, en premier lieu, des relations qu’entretiennent le Conseil d’État et l’Université de Paris-Dauphine. Ces liens procèdent d’échanges réguliers par le biais de divers canaux. J’ai moi-même eu l’occasion, en novembre 2011, de remettre leur diplôme, en présence du président Jacques Barrot, aux étudiants du Master 2 de droit européen et international des affaires. Ces liens sont aussi le fruit de la participation de plusieurs membres du Conseil d’État aux enseignements dispensés à l’Université de Paris-Dauphine. Ces Rencontres contribuent, en second lieu, à développer le dialogue riche et constructif de la juridiction administrative avec le monde universitaire, les professionnels du droit et, plus généralement, les acteurs de la vie économique et sociale, dont le Conseil d’État se réjouit et qu’il ne peut qu’encourager.

Le thème de cette journée porte sur l’actualité de la régulation de l’énergie. Au regard des enjeux relatifs, par exemple, à la régulation du marché du gaz ou de celui des permis d’émission de gaz carbonique ou encore aux questions soulevées par l’exploitation des gaz et huiles de schiste, chacun mesure que cette actualité est chargée. Je n’empièterai pas, dans ce bref propos introductif, sur les échanges qui auront lieu durant la matinée et, en accord avec le président Stirn, je le laisserai introduire plus précisément les tables rondes ainsi que les apports jurisprudentiels récents du Conseil d’État en matière de régulation.

Je souhaite toutefois souligner, en introduction, que le droit de la régulation est un facteur d’évolution des pratiques du juge administratif. Qu’il s’agisse des communications électroniques, de l’énergie ou d’autres secteurs faisant appel à des notions techniques et économiques malaisément accessibles, le droit de la régulation est en effet devenu un terrain d’innovation pour le juge administratif qui a été conduit notamment à revoir et à approfondir ses pouvoirs d’instruction. L’objectif poursuivi est de parvenir à une connaissance précise, à une maîtrise complète et sûre des dossiers soumis au juge et de leurs enjeux. La créativité du juge a été favorisée par la complexité des questions techniques et économiques qu’il doit résoudre. Comprendre cette complexité, la saisir est nécessaire au plein exercice de son office, que celui-ci concerne certaines opérations réputées simples, comme la mesure des coûts ou la vérification matérielle des faits, ou des opérations plus complexes, et notamment la qualification juridique des faits et son contrôle.

Le juge administratif, qui a été formé à divers savoirs et, notamment, les mathématiques, la physique ou l’économie, doit néanmoins parfois s’en remettre à la sagacité, à la perspicacité et aux compétences d’autres acteurs.

Le juge administratif peut, de manière classique, ordonner une expertise. De même, il peut ordonner une enquête à la barre au cours de laquelle les parties sont invitées à s’exprimer oralement. Cette pratique était tombée en désuétude au XXème siècle : elle n’a jamais été utilisé entre 1881 et 1963 et n’a connu ensuite que trois applications, jusqu’à ce qu’elle renaisse durant les années 2000 et, plus précisément, en matière de régulation, avec la décision de la section du contentieux Société Scoot France du 25 juin 2004[2], relative au plan de numérotation des services de renseignement téléphonique. Il est depuis lors devenu tout à fait usuel que le Conseil d’État ordonne des expertises ou des enquêtes à la barre dans le champ du droit de la régulation. Ce fut une nouvelle fois le cas dans le contentieux de l’attribution de la quatrième licence 3G[3]. Eu égard à la complexité de telles affaires, le juge en tire un réel profit, une réelle utilité. Ces procédures ne débouchent cependant pas toujours sur des résultats satisfaisants, ainsi que le montre la récente décision SA Crédit Immobilier de France Développement [4]. La Commission bancaire n’a, en l’espèce, pas été à même de fournir, dans ses écritures ou lors de l’enquête menée par la formation d’instruction, d’éléments suffisamment pertinents sur la correcte appréciation du niveau de risque présenté par la banque requérante à qui elle avait enjoint de respecter un ratio de solvabilité minimum sur fonds propres. Mais cette impossibilité ou cette incapacité a constitué pour le juge un précieux élément d’appréciation.

Sur le fondement de ses seuls pouvoirs d’instruction, et en dehors du cadre textuel de l’article L.462-3 du code du commerce, qui permet aux juridictions de consulter l’Autorité de la concurrence en matière d’entente, d’abus de position dominante et de pratique de prix anormalement bas, le Conseil d’État a également sollicité l’avis du Conseil de la concurrence pour l’éclairer sur les conséquences économiques d’une opération de concentration[5]. De même, l’avis du Conseil de la concurrence a été demandé en ce qui concerne les bases de fixation du prix du gaz, la détermination des marchés pertinents en la matière et l’impact concurrentiel du prix fixé par le ministre[6].

Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 a fourni une nouvelle base au juge pour exercer ses pouvoirs d’instruction en lui permettant de demander un avis consultatif sur des questions purement techniques. Aux termes du nouvel article R.625-2 du code de justice administrative, « lorsqu'une question technique ne requiert pas d'investigations complexes, la formation de jugement peut charger la personne qu'elle commet de lui fournir un avis sur les points qu'elle détermine. Le consultant, à qui le dossier de l'instance n'est pas remis, n'a pas à opérer en respectant une procédure contradictoire à l'égard des parties ». Cette possibilité a été mise en œuvre à l’occasion de la récente décision Société Direct Energie du 28 mars 2012[7]. En l’espèce, le juge a demandé un avis à un commissaire aux comptes, d’une part, sur la façon pertinente de déterminer certains coûts, nécessaires au calcul des tarifs d’utilisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité et, d’autre part, sur les éventuelles conséquences d’un changement de méthode de calcul.

Je ne donnerai pas plus d’exemples car mon propos est peut-être déjà trop long. Je tenais cependant à souligner que le droit de la régulation est un terrain, favorable à des innovations du juge administratif, non seulement en ce qui concerne la substance de ce droit, dont vous aurez l’occasion de débattre ce matin, mais également en ce qui concerne ses propres pouvoirs. En cette matière comme en d’autres, la complexité favorise l’innovation. Il est donc d’autant plus nécessaire qu’un dialogue approfondi et continu s’engage et se poursuive entre le juge, la doctrine, les avocats, les administrations compétentes et les professionnels du secteur. Ceci illustre toute la pertinence de ces Rencontres pour lesquelles je forme des vœux chaleureux de réussite.

[1]Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]CE, Sect., 25 juin 2004, Société Scoot France, n° 249300, Rec. p. A.

[3]CE, 12 octobre 2010, Société Bouygues Telecom et autres, n° 332393, Rec. p. A.

[4]CE, 5 mars 2012, SA Crédit Immobilier de France Développement, n° 343412, à paraître au Recueil.

[5]CE, 20 juillet 2005, Société Fiducial Informatique, n° 279180, Rec. p. A.

[6]CE, 26 janvier 2007, Société Poweo, n° 296191.

[7]CE, 28 mars 2012, Société Direct Energie, n° 330548, à paraître au Recueil.