Discours

Le Conseil d’État, acteur de la régulation économique et financière

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
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« Quelle régulation et quels leviers pour la finance internationale ? » - 29 juin 2009

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Intervention de Jean-Marc SAUVÉ, Vice-président du Conseil d'Etat

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Mesdames et Messieurs les présidents, les bâtonniers et les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers collègues,

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation de participer à cette deuxième Conférence du Conseil d'Etat dans le cadre du cycle consacré à la régulation économique et financière. Ce thème a naturellement pris une place centrale dans le débat public depuis l'aggravation de la crise financière au cours de l'été 2008.

Je remercie vivement nos partenaires, le Centre de recherche en droit public de l'Université de Paris ouest-Nanterre-la Défense notamment les professeurs Laurence Folliot-Lalliot, Michel Bazex et Frédéric Rolin- pour leur engagement à nos côtés en vue de l'organisation de ce cycle de conférences ainsi que les Editions Dalloz qui ont bien voulu accepter de publier nos débats.

Je tiens aussi à adresser de chaleureux remerciements aux personnalités qui ont accepté de participer à cette conférence et de partager avec nous leurs expériences, leurs analyses et leurs propositions, en particulier MM. Ramon Fernandez, Baudoin Prot et Christian de Boissieu, nos intervenants de ce soir. Je ne doute pas que vous n'éclairiez notre auditoire sur les nouvelles orientations à donner à une régulation financière qui doit être profondément repensée.

I - Je voudrais évoquer brièvement les objectifs des Conférences du Conseil d'Etat que nous venons de mettre en place

Ces conférences s'inscrivent dans une démarche d'ouverture de la juridiction administrative. Il s'agit de mieux appréhender les sujets de société qui ont un impact important sur l'élaboration du droit, en rassemblant les compétences les plus diverses ; les intervenants, comme les invités, ne sont pas seulement des juristes, juges, universitaires ou avocats ; ce sont également des acteurs de la vie publique, économique et sociale, des philosophes ou des enseignants-chercheurs en sciences économiques et sociale.

Ces conférences s'inscrivent aussi dans un projet d'amélioration de la qualité de nos interventions. Pour bien juger ou pour bien conseiller, il faut correctement analyser et comprendre les réalités que saisit le droit. Il faut aussi les anticiper, afin que les évolutions de la jurisprudence soient pertinentes et accompagnent harmonieusement celles de la société, de l'économie ou de la puissance publique. Ces objectifs impliquent qu'un dialogue constructif se noue, dans la durée, entre les juges, la doctrine, le barreau et les principaux acteurs publics et privés.

La première conférence, qui a eu lieu le 30 mars dernier, a permis de procéder à un diagnostic de la crise et de débattre des défaillances du système de régulation qui sont à l'origine, sinon du déclenchement, du moins de l'aggravation de la crise financière.

Si la crise financière s'est enracinée dans des évolutions structurelles de l'économie mondiale -excès de liquidité, croissance de l'endettement, transformation de la gouvernance des entreprises et essor des exigences de rentabilité financière-, elle a surtout résulté, selon l'analyse de nos premiers intervenants, du développement insuffisamment maîtrisé de l'innovation financière. Elle a pris racine dans les défaillances de l'encadrement des techniques d'externalisation du risque (titrisation et produits dérivés) qui ont rendu possibles les dérives de l'endettement. Il est d'ailleurs à redouter que l'on ne soit pas arrivé au terme de la découverte de ces dérives. Ces défaillances ont du même coup, on le sait, mis en lumière les limites de la gouvernance financière, interne et internationale. Les normes prudentielles et comptables ont pu amplifier la crise et les règles d'audit et de contrôle interne ont pu être prises en défaut, sans toutefois être directement à l'origine du séisme que nous connaissons.

De nombreux travaux ont été publiés ces derniers mois, qui font ressortir diverses propositions de réforme. Pour ne citer que les principaux :

- le rapport au Président de la République de M. Ricol sur notamment la gouvernance des institutions financières ainsi que la transparence et l'organisation des marchés ;

- le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la crise bancaire et la régulation financière ;

- le rapport Carayon de la commission des finances de l'Assemblée nationale ;

- le rapport du Conseil d'analyse économique, dont M. de Boissieu a été l'un des rédacteurs, qui propose en particulier d'améliorer le fonctionnement des agences de notation ainsi que la réglementation prudentielle des banques ;- au niveau européen, le rapport au président de la Commission européenne du groupe présidé par M. Jacques de Larosière qui a recommandé la création d'un comité européen du risque systémique ainsi que la réforme du système européen de supervision financière ;

- ou encore récemment, au Royaume-Uni, la Turner Review de l'Autorité britannique des services financiers ;

- de nombreux travaux d'experts et, notamment, celui tout récent de Michel Aglietta et Sandra Rigot : « Crise et rénovation de la finance ».

Dans ce contexte, le sommet du G20 le 2 avril dernier à Londres a lancé le processus de rénovation de la régulation financière mondiale, notamment en adoptant une déclaration sur le renforcement du système financier international. Cette déclaration identifie une série de domaines prioritaires devant constituer la feuille de route des réformes à venir.

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui sur le thème « quelle régulation et quels leviers dans la finance internationale ? » doit nous conduire à réfléchir aux différentes mesures qui sont de nature à améliorer l'effectivité de la régulation des opérations financières et du système bancaire, ainsi qu'aux extensions souhaitables du champ de cette régulation, au sens le plus large, avec le renforcement des normes prudentielles, le contrôle des agences de notation ou la transparence fiscale internationale.

Au préalable, il me semble utile de rappeler brièvement ce que recouvre le concept de régulation qui préside à nos débats, ainsi que le rôle du Conseil d'Etat en ce domaine.

II - Le concept de régulation

La doctrine sur la notion de régulation est imposante à la fois par son volume et par les oppositions et contradictions qu'elle révèle ; pour beaucoup d'auteurs, cette notion ne revêt même pas un caractère juridique ; issue du domaine de la technologie, le Robert la définit comme étant « le fait d'agir sur un système complexe et d'en coordonner le fonctionnement ». Transposée au domaine économique, elle désigne l'ensemble des dispositifs permettant d'instaurer, de maintenir ou de rétablir l'équilibre d'un marché dans le cadre de la concurrence.

Nul ne conteste que la régulation soit devenue l'une des fonctions de la puissance publique qui doit concilier des objectifs de politique publique différents, parfois malaisément compatibles et même contradictoires. Ceux-ci peuvent même recouvrir des finalités autres que purement économiques, comme la protection des droits fondamentaux ou le développement durable.

La fonction de régulation comporte aussi une dimension institutionnelle ; on pense notamment aux autorités administratives ou publiques indépendantes qui ôtent des outils traditionnels de puissance publique des mains d'un pouvoir exécutif présumé partial, trop lent, voire trop peu éclairé, sinon techniquement insuffisant.

Le rapport public que le Conseil d'Etat a consacré en 2001 aux autorités indépendantes a fait ressortir que le mot de « régulation » se trouve obscurci par la référence au même mot anglais, dont la traduction exacte est « réglementation ». C'est un faux ami sans doute destiné à mettre une incompréhension de plus dans les relations franco-britanniques. En langue française, il n'y a pas d'équivalence entre les concepts de « régulation » et de « réglementation », même si cette dernière peut être regardée comme l'une des formes de la régulation. La régulation d'un secteur ou d'une activité est susceptible de diverses acceptions, dont la plus étroite désigne « une action intermédiaire entre la détermination des politiques publiques elles-mêmes et la gestion proprement dite ». L'acception plus large est inspirée de la théorie générale des systèmes et désigne « l'action de mécanismes correcteurs qui maintiennent un système en existence ». Selon que l'on retient la première ou la seconde, le rôle du régulateur et les pouvoirs qui lui sont reconnus ne sont pas les mêmes ; dans la première acception, l'autorité de régulation est un intermédiaire entre le pouvoir politique et les opérateurs chargés du contrôle et de l'application des règles ; dans la seconde, -et c'est le cas en particulier de la régulation des marchés financiers ou encore du secteur audiovisuel-, l'autorité de régulation se voit conférer ce que les Anglo-saxons appellent les trois pouvoirs : un pouvoir quasi-normatif, mais aussi quasi-exécutif et quasi-juridictionnel, sous les réserves qu'impose toutefois la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Quelle que soit l'approche, le souci du régulateur est l'effectivité : on attend de la régulation qu'elle assure en continu l'interactivité entre le droit et le fait. Il appartient à l'autorité de régulation, non seulement de faire évoluer en permanence la règle ou son interprétation, mais également, avec la même constance, de prévenir ou de mettre fin aux comportements déviants. Ceci ne peut être assumé sans tenir compte de la caractéristique essentielle de certains marchés qui fonctionnent au niveau mondial : tel est le cas des secteurs financier et bancaire.

Mais l'action du régulateur -et la crise financière l'a révélé- ne peut aussi être analysée et appréciée sans préjudice de celle des « méta-régulateurs » que sont les pouvoirs publics constitutionnels, Exécutifs et Parlements, auxquels incombe dans les Etats mais aussi au sein de la communauté internationale le soin de définir la mission, les objectifs et les moyens d'action des régulateurs.

III - Le rôle du Conseil d'Etat

S'il n'est pas un régulateur, le Conseil d'Etat joue néanmoins un rôle important en matière de régulation dans notre pays.

Il est amené, tout d'abord dans le cadre de ses activités consultatives qui représentent plus d'un tiers de ses moyens et de son activité, à participer à l'élaboration du droit en liaison avec l'administration. En particulier, il examine tous les projets de loi et d'ordonnance, avant que ceux-ci ne soient soumis au conseil des ministres, ainsi que les projets de décrets dits « en Conseil d'Etat » qui sont pris sur habilitation du législateur. Le nombre de projets touchant à la régulation économique, au cours des dix dernières années n'a pas cessé d'augmenter ; parmi ceux-ci, on peut citer le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques devenu la loi du 15 mai 2001 qui a notamment renforcé les exigences de transparence en matière de régulation financière, le projet de loi de sécurité financière promulguée le 1er août 2003 qui a créé l'Autorité des marchés financiers à partir de la fusion du Conseil des marchés financiers et de la Commission des opérations de bourses ou encore l'ordonnance du 12 avril 2007 relative aux marchés d'instruments financiers transposant la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004. Le Conseil d'Etat peut également répondre à des demandes d'avis portant sur des questions de régulation.

Dans ses activités contentieuses, le Conseil d'Etat connaît des décisions prises par les autorités de régulation dans le domaine économique et financier. Il est le juge en premier et dernier ressort de la légalité des actes réglementaires de ces autorités et il partage avec le juge judiciaire le contentieux des sanctions qu'elles prononcent.

J'évoquerai brièvement quelques-unes de ses contributions au contentieux de la régulation.

1) Le Conseil d'Etat soumet les autorités de régulation, notamment économiques, à des contraintes procédurales renforcées en matière de sanctions administratives.

Le Conseil d'Etat a ainsi jugé, à propos du Conseil des marchés financiers comme ensuite de l'Autorité des marchés financiers qui lui a succédé, que l'article 6-1 de la CEDH était applicable aux autorités de régulation dans l'exercice de leurs pouvoirs de sanction. Il veille par conséquent à l'application par ces autorités des règles du procès équitable, notamment celles qui garantissent l'impartialité objective et subjective des procédures.

Il veille aussi à l'application aux procédures de sanction du principe du respect des droits de la défense prévu à l'article 6-3 de la CEDH.

Par ailleurs dans le prolongement des jurisprudences constitutionnelle et européenne, le Conseil d'Etat a transposé aux sanctions administratives prononcées par les régulateurs économiques les principes fondamentaux du droit pénal. Il applique ainsi, tout en les aménageant, le principe de légalité des délits et des peines, le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères et son corollaire le principe d'application immédiate de la loi pénale plus douce, le principe de personnalité des peines, ou encore la règle non bis in idem.

2) Enfin le Conseil d'Etat exerce un contrôle approfondi sur les décisions prises par les autorités de régulation économique.

Les textes instituant les autorités de régulation en matière économique et financière confèrent le plus souvent au juge un contrôle de plein contentieux sur les sanctions prononcées, ce qui implique que le juge, en l'occurrence le Conseil d'Etat, dispose non seulement d'un pouvoir d'annulation, mais aussi de réformation de ces sanctions. Le Conseil d'Etat a récemment élargi cette solution en jugeant de manière générale que le contrôle des sanctions prises à l'égard des administrés ne relève plus du contrôle de l'excès de pouvoir, mais exclusivement du plein contentieux.

Concernant les décisions autres que les sanctions prises par les autorités de régulation économique, le Conseil d'Etat exerce le plus souvent un contrôle normal sur les décisions qui lui sont déférées. Le degré de contrôle du Conseil d'Etat dépend toutefois du degré de précision des textes applicables. En l'absence de critères précis encadrant le pouvoir décisionnel des régulateurs, le contrôle pourra alors être limité à l'erreur manifeste d'appréciation.

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Au terme de ces propos liminaires, j'en reviens au sujet qui nous réunit aujourd'hui : « quelle régulation et quels leviers dans la finance internationale », en laissant le soin à nos orateurs de nous éclairer sur les pistes qui devraient permettre de répondre à la crise financière, de favoriser son traitement aux plans interne comme international et de prévenir sa réitération

Avant de donner la parole à mon collègue Bertrand du Marais, qui, en tant que modérateur, vous présentera nos intervenants ainsi que les modalités du déroulement de cette réunion, il ne me reste plus qu'à former des vœux de succès pour cette conférence et à renouveler mes remerciements aux intervenants et aux organisateurs de cette manifestation.