La mission constitutionnelle de l'autorité judiciaire

Par Rémi Keller, Conseiller d'État
Discours
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Intervention de Rémi Keller lors du colloque de la Cour de cassation sur la place de l’Autorité judiciaire dans les institutions qui se tenait au Sénat le 26 mai 2016.

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Jeudi 26 mai 2016

La mission constitutionnelle de l'autorité judiciaire

 

Je voudrais tout d'abord remercier les autorités de la Cour de cassation d’avoir bien voulu inviter des membres du Conseil d'État à participer à ce colloque.

Mon intervention abordera les trois points suivants :

- d'abord l'article 66, qui est au cœur de cette table ronde ; je m'attacherai principalement à l'historique de cet article, puisque certains considèrent que l'interprétation du Conseil constitutionnel n'est pas conforme à l'intention du constituant ;

- je dirai ensuite quelques mots, bien évidemment, du juge administratif, de son indépendance et de son rôle en matière de libertés ;

- et je terminerai sur la question de l'efficacité des juges dans la défense des libertés, sans éluder les questions qu'on peut se poser sur l'effectivité du recours devant le juge administratif.

I. - L'article 66 de la Constitution

A priori, on pourrait être surpris qu'il y ait des interrogations sur la portée d’une disposition aussi limpide : " Nul ne peut être arbitrairement détenu./ L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. " Voilà donc un article qui pose un principe : celui de l'interdiction de la détention arbitraire, et qui charge l'autorité judiciaire d'en assurer le respect.[1]

On ne devrait donc pas avoir besoin de l'éclairage des travaux préparatoires pour comprendre un texte qui n'est pas obscur. Mais puisque certains prétendent que l'intention des constituants a été trahie, il faut dire quelques mots de ces travaux.

Ce qui ressort clairement des travaux préparatoires, c’est que l'article 66 a pour objet – pour seul objet, mais un objet essentiel - de faire du juge judiciaire un rempart contre la détention arbitraire, autrement dit de proclamer un Habeas corpus à la française.[2]

Certains se focalisent sur la loi constitutionnelle du 3 juin 1958. Que dit-elle, cette loi, à propos de la justice ? Elle pose le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire : « L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d'assurer le respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l'homme à laquelle il se réfère. »

Pour appliquer ce principe, l’avant-projet soumis le 29 juillet 1958 au comité consultatif[3]  comprenait un titre intitulé « De la justice » avec deux articles 61 et 62, le premier prévoyant que « l'indépendance des magistrats est assurée par la loi », le second instituant un Conseil supérieur de la magistrature et affirmant l'inamovibilité des magistrats du siège. On voit donc que, dans l'esprit des premiers rédacteurs de la Constitution, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 devait se traduire, s'agissant de l'autorité judiciaire, par la garantie de l'indépendance des magistrats et non, comme le prétendent certains, par l'affirmation d'un quelconque monopole en matière de libertés.

C’est à François Luchaire que l'on doit ce qui allait devenir l'article 66. Dans ses « Observations sur l'avant-projet de Constitution du 29 juillet 1958 », François Luchaire indique : « Il serait utile d'insérer dans la Constitution une formule d'Habeas corpus qui permettrait à n'importe quel magistrat du siège d'exiger la présentation devant lui de toute personne arrêtée. »[4]

L'idée fait son chemin. Le 12 août 1958, un projet d'article 62 bis est rédigé par Michel Debré, alors ministre de la justice, et par son cabinet : « Le peuple français déclare qu'aucune personne ne peut être privée de sa liberté sans décision de l'autorité judiciaire compétente. »[5]

Le Comité consultatif constitutionnel[6] se réunit le 13 août 1958 : il n'arrive pas à se mettre d'accord sur la rédaction de cet article 62 bis, notamment à cause de la question des pouvoirs spéciaux (on est alors en pleine guerre d'Algérie), et il écrit simplement en face de cet article les mots Habeas corpus.

Le projet est ensuite soumis au conseil interministériel qui se réunit le 19 août 1958 sous la présidence du général de Gaulle. C’est de ce conseil que sortira la rédaction presque définitive du futur article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. La loi détermine les conditions qui permettent à l'autorité judiciaire d'assurer le respect de cette règle. » Le renvoi à la loi permet de préserver la constitutionnalité des pouvoirs spéciaux.

On voit donc qu’alors que la fin des travaux préparatoires approche (le projet à soumettre au référendum doit être adopté au conseil des ministres du 3 septembre), la notion d'autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle » n'a toujours pas fait son apparition. Et c'est au Conseil d'État qu'on doit cette notion puisque, le 28 août 1958, l’assemblée générale du Conseil d'État propose de placer en tête de l’article 62 bis la phrase suivante : « L'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. »[7] Là encore, il ressort clairement des débats qu'il s'agit de l'Habeas corpus et de rien d'autre.

La proposition est retenue par le conseil des ministres du 3 septembre qui adopte l'article 66 dans la forme qu'il a conservée jusqu'à aujourd'hui : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

Il n’y a donc aucun doute sur la portée de l'article 66 tel que l’ont conçu les constituants, et s'il en était encore besoin, comment pourrait-on mieux l’expliciter que ne l'a fait Michel Debré lui-même, le 27 août 1958, devant l'assemblée générale du Conseil d'État : « Après le rappel du principe - nul ne peut être arbitrairement détenu – [l’article] donne compétence à la seule justice pour l'appliquer, et renvoie à la loi. »[8] Telle est donc, pour Michel Debré, la signification de l'article 66 : l'autorité judiciaire dispose d'un monopole pour protéger la liberté contre la détention arbitraire.[9] Peut-on sérieusement croire que le père de la Constitution n'a pas compris cet article ?

Autrement dit, prétendre que l'intention du constituant était de faire du juge judiciaire le gardien exclusif de toutes les libertés de la personne, c’est tout simplement dénaturer les travaux préparatoires de la Constitution.

Quant au Conseil constitutionnel, je ne reviens pas sur l’évolution de sa jurisprudence qui a été magistralement exposée par Mme Belloubet. Sa doctrine est aujourd’hui clairement fixée [10] : les principales libertés de la personne sont garanties par la Déclaration des droits de l'homme, et il appartient à tous les juges d'y veiller au titre de la garantie des droits. Mais le droit à ne pas être arbitrairement privé de sa liberté, lui, est garanti par l'article 66, et il est placé sous le contrôle exclusif de l'autorité judiciaire.[11] Cette jurisprudence a été constamment réaffirmée depuis,[12] y compris dans les décisions récentes à propos des lois sur le renseignement[13] et sur l'état d'urgence[14].  

II. - Le rôle des juges dans la défense des libertés

Si l'on devait placer sous le contrôle de l’autorité judiciaire toutes les décisions portant atteinte à une liberté personnelle, les magistrats judiciaires passeraient un temps considérable à autoriser ou à interdire des actes de police administrative. Je ne suis pas persuadé qu’ils soient tous preneurs d'une telle réforme, alors qu'ils se plaignent - à juste titre – de ne pas avoir le temps ni les moyens d'exercer leurs missions comme il convient.

En outre - et surtout -, on irait à l’encontre de la conception française de la séparation des pouvoirs, puisque le juge administratif est le juge des actes de la puissance publique. En cette qualité, il rencontre lui aussi, inévitablement, la question de la liberté, qu'il s'agisse de libertés publiques ou de libertés de la personne. Dans cette matière comme dans toutes les autres, ce qui trouve à s'appliquer, c’est la distinction traditionnelle entre police administrative et police judiciaire : c'est une distinction claire, opérationnelle, qui repose sur le critère simple de la finalité - préventive ou répressive - de la mesure.

Il se trouve que depuis un an, le législateur a élargi les pouvoirs de police : dans la loi sur le renseignement, dans la loi sur l'état d'urgence, dans la loi sur la lutte contre le terrorisme. Les compétences du juge administratif s'étendent donc mécaniquement à ces mesures, dès lors qu'il ne s'agit pas de détention. Mais ce n'est pas le juge administratif qui s'arroge des pouvoirs : c'est le Parlement, messieurs les sénateurs, qui élargit le champ de la police administrative.

J'ai évoqué tout à l'heure  la garantie des droits. Bien entendu,  seul un juge  indépendant peut garantir les droits du citoyen face aux pouvoirs de l'administration. A la lecture de récentes  prises de position, on a le sentiment que certains ont conservé à l’égard du juge administratif une vision du XIXè siècle, tel le député Dupin s’exclamant en 1828 à la Chambre: « Rien n'égale le désespoir des plaideurs quand on leur annonce qu'ils seront jugés par le Conseil d'État ! »[15] Je précise que c'était avant qu'il ne devînt procureur général près la Cour de cassation, car dans cette fonction il n'a plus tenu de tels propos.

Mais beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 1828, et même depuis 1958. Le temps très bref qui m’est imparti ne me permet pas de retracer ici l’histoire de l’élargissement considérable du recours pour excès de pouvoir, y compris en matière de police[16]ou de sanctions[17], ni de dresser la liste des principes généraux du droit dégagés par le Conseil d’Etat depuis les arrêts Veuve Trompier-Gravier du 5 mai 1944 et Aramu[18] du 26 octobre 1945.

Sans remonter aussi loin, il suffit - comme l'a d'ailleurs fait Mme Lottin – d’évoquer les astreintes, les injonctions et surtout le référé-liberté, pour réaliser que le rôle du juge administratif en matière de défense des libertés a considérablement évolué.

Et pour se placer dans la période toute récente, je rappellerai simplement :

- que les juges des référés des tribunaux administratifs et du Conseil d’Etat ont suspendu des dizaines de mesures de police administrative prises dans le cadre de l'état d'urgence[19] ;

- que la semaine dernière, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu neuf des dix arrêtés du préfet de police qui interdisaient à des personnes de se trouver sur les lieux d’une manifestation.

Je dois également signaler, car cela est moins connu, que c'est sur la recommandation du Conseil d'État - statuant en formation administrative cette fois - que le Gouvernement a renoncé à la mesure la plus controversée du projet de loi sur la prévention du terrorisme et la réforme de la procédure pénale, qui autorisait les préfets à ordonner la visite de véhicules et la fouille de bagages en cas de menace terroriste aux abords de sites sensibles : le Conseil d’État a considéré que de telles mesures ne pouvaient être décidées que par le procureur de la République et placées sous son contrôle. Je signale cela tout particulièrement à M. le premier président de la Cour de cassation, car je ne doute pas un instant que s'il en avait été informé, il l’aurait mentionné dans ses récentes prises de position.

Mme Lottin nous dit que « seul le juge judiciaire offre par son statut et son positionnement toutes les garanties d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif ». Mais en matière de garanties statutaires, les magistrats administratifs n'ont pas grand-chose à envier aux magistrats du siège, et leurs garanties sont supérieures à celles des magistrats du parquet puisqu’ils sont inamovibles[20] et nommés sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

L’indépendance du juge administratif a d'ailleurs été affirmée aussi bien par le Conseil constitutionnel[21] que par la Cour européenne des droits de l'homme[22] - laquelle n'en dit pas autant des magistrats du parquet.

Qu’on en se méprenne pas sur mon sentiment à l’égard du parquet : en réalité, il serait aussi injuste – et aussi faux - de dire que le juge administratif n'est pas indépendant parce qu'il est trop proche de l'administration, que de dire que le procureur ne l'est pas non plus car il est soumis à une hiérarchie – ce que dit pourtant la Cour de Strasbourg[23]. Il y aura bientôt vingt ans que le parquet ne reçoit plus d'instructions sur les affaires individuelles, et chacun sait que sa parole est libre à l'audience et que cette parole est portée, comme celle du juge administratif, au nom de l'intérêt général, au nom des valeurs de la République. L’indépendance du parquet a d'ailleurs été reconnue, elle aussi, par le Conseil constitutionnel, et avec elle son rôle de gardien de la liberté individuelle.[24]

Je ne prétends pas pour autant que tout irait pour le mieux – et j’en termine ici avec la question essentielle, qui n'est pas celle de la défense par les juges de leur pré carré, mais celle de leur efficacité dans la défense des libertés. L’efficacité peut tenir à la rapidité, et parfois l'intervention a posteriori - qui est la caractéristique du juge administratif - ne saurait remplacer l'autorisation a priori - qui est l'apanage du juge judiciaire.

Certains s’interrogent, par exemple, à propos des rétentions de courte durée ou des assignations à résidence[25]. Et la question se pose sérieusement pour les perquisitions administratives : malgré la célérité du juge du référé-liberté, qui statue en 48 heures, lorsqu'il intervient c'est déjà trop tard : l'atteinte à la liberté est constituée, « le mal est fait » en quelque sorte et la seule réparation possible est d'ordre financier.

Alors, le fait de placer de telles mesures sous le contrôle du juge administratif est-il contraire à la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ? Il existe un juge constitutionnel pour répondre à cette question, et il se trouve qu'il a répondu par la négative, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait d’ailleurs été transmise par le Conseil d’Etat.[26] Si l'on estime que cela pose problème, c'est au Parlement, messieurs les sénateurs, de prendre ses responsabilités en plaçant ces mesures sous l'autorité du juge judiciaire. Mais cela n'a rien à voir avec l'article 66 de la Constitution : cela concerne l'efficacité de la justice, ce qui est beaucoup plus important.

Car ce qui compte aujourd'hui, plutôt que de se livrer à de stériles querelles de voisinage[27], c'est de toujours mieux assurer la protection des libertés alors même que les citoyens expriment le besoin d'une plus grande sécurité ; c'est que la France, dans les temps troublés que nous connaissons, ne renonce pas à ses valeurs de justice et de liberté ; c'est qu’il y ait toujours, quels que soient les gouvernements à venir, des juges pour y veiller, chacun dans leur champ de compétence.

Aujourd'hui, l’idée qu'un juge aurait le monopole de la défense des libertés n'a aucun sens, elle est même dangereuse : la défense des libertés, c'est le patrimoine commun des juges, aussi bien judiciaires qu'administratifs - et, bien sûr, du juge constitutionnel.

Je vous remercie.

 

[1]On retrouve ce principe à l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme : « Toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un juge (…) et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (…) »

[2] « Dès l'origine, l'article 66 de la Constitution a été conçu comme un Habeas corpus et son application circonscrite à la question de la détention arbitraire » (Floran Vadillo, Liberté individuelle vs liberté personnelle : l'article 66 de la Constitution dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou la progressive reconnaissance d'un Habeas corpus à la française, Petites affiches, 22 avril 2015, n° 80).

[3] Connu sous le nom de « Livre rouge » en raison de la couleur de sa couverture.

[4]François Luchaire, Observations sur l'avant-projet de Constitution du 29 juillet 1958, in Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Paris, La documentation française, 1987, vol. I, p. 537.

[5] Archives Michel Debré, 1DE309, dossier d2, chemise « Habeas corpus », cité par Damien Salles, Michel Debré et la protection de la liberté individuelle par l'autorité judiciaire, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel n° 26, août 2009.

[6] Présidé par Paul Reynaud, alors député membre du CNI.

[7] L'assemblée générale proposait également d’ajouter, après le principe selon lequel « nul ne peut être arbitrairement détenu » : « Les juridictions administratives et les juridictions judiciaires assurent, chacune en ce qui les concerne, le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

[8]Travaux préparatoires des institutions de la Ve République, vol. III, la Documentation française 1991, pp. 268-269.

[9] Voir encore le commentaire officieux publié en avril 1959 à la Documentation française indique à propos de l'article 66 : « La déclaration de 1789, à laquelle se réfère le préambule de la Constitution, proclame déjà le principe que nul ne peut être arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ce qu'affirme solennellement l'article 66, c'est que l'autorité judiciaire est chargée d'assurer le respect de ce principe. L'application de l'article suppose cela, cela seulement mais totalement. »(Commentaires sur la Constitution du 4 octobre 1958, Paris, La Documentation française, « Notes et études documentaires », n° 2530, 11 avril 1959). On sait aujourd'hui que ces commentaires ont été inspirés, voire rédigés, par Raymond Janot, conseiller technique chargé des questions constitutionnelles au cabinet du général de Gaulle, que François Luchaire (lui-même conseiller technique au cabinet de Louis Jacquinot, ministre d'État, et commissaire du gouvernement devant le Conseil d'État) nommait « le commissaire du Gouvernement en chef » (cité par D. Maus, Regards sur l'écriture de l'article 66 de la Constitution, in "L'homme et le droit, Mélanges en hommage à Jean-François Flauss", 2014). Voir également le commentaire rédigé en 1959 par Yves Guéna, directeur de cabinet de Michel Debré : « L’article 66 pose pour la première fois dans un texte constitutionnel français le principe de l'Habeas corpus et confie à l'autorité judiciaire le soin d'en assurer le respect. »[9]

[10] Voir notamment CC, 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 75 : « Au nombre des libertés constitutionnellement garanties figurent la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l'autorité judiciaire. » Comme le dit le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2005-532 du 19 janvier 2006 : « La liberté individuelle, au sens de l'article 66, c'est le droit de ne pas être arbitrairement détenu. Les autres composantes de la liberté personnelle (aller et venir, liberté du mariage, vie privée etc…) sont protégées par d'autres normes constitutionnelles et, au premier chef, par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. » Et comme l’écrivaient également en 2003 les professeurs Mathieu et Verpeaux : « Il convient ainsi de distinguer les libertés d'agir, rattachées à l'article 4 de la DDHC, les libertés personnelles, qui visent à protéger l'autonomie de l'individu qui se rattachent à l'article 2, et la sûreté entendue comme la protection contre des mesures de police arbitraires fondée sur l'article 66 de la Constitution » (B. Mathieu et M. Verpeaux, Chronique de jurisprudence constitutionnelle n° 31, LPA 18 sept. 2003, p. 3).

[11] Par ex. décisions n° 99-411 DC du 16 juin 1999 (cons. 2 et 20) ; n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 (cons. 43 à 47) ; n° 2002-461 DC du 29 août 2002 (cons. 18 et 19) ; n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (cons. 7 à 9) ; n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 (cons. 91 à 97) ; n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 (cons. 1 à 3). Cf. le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013 : « [Le Conseil] a stabilisé sa jurisprudence autour d'une définition plus étroite de la liberté individuelle, en ne se référant à l'article 66 de la Constitution que dans le domaine des privations de liberté (garde à vue, détention, rétention, hospitalisation sans consentement). (…) Le Conseil peut néanmoins lier l'intervention du juge judiciaire à la protection des libertés fondamentales de l'individu autres que le droit de ne pas être arbitrairement détenu. »

[12] Par ex. n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, Sté Westgate Charles Ltd, qui juge que le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l'inviolabilité du domicile, relève de la liberté proclamée par l'article 2 de la DDH et que l'atteinte à ce droit ne peut être autorisée que par l'autorité judiciaire.

[13] 2015-713 DC de 23 juillet 2015.

[14] N° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015. Nous nous devons

[15] Cité par E. Picard, Dualisme juridictionnel et liberté individuelle, in « Le contrôle juridictionnel de l'administration », colloque CERAP, Economica 1991, p. 167.

[16] Par exemple le recul constant du contrôle restreint, y compris en matière de police ; cf., s’agissant de la diffusion de publications étrangères : CE, sect., 9 juillet 1997, Association Ekin, rec. 300.

[17] Voir récemment s’agissant du contrôle de la proportionnalité des sanctions disciplinaires prises à l’encontre d’agents publics : CE, ass., 13 novembre 2013, Dahan, rec. 279.

[18] CE, sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, rec. 133 ; CE, ass., 26 octobre 1945, Aramu, rec. 213 ; principes généraux auxquels le Conseil d’Etat a donné une portée considérable, jusqu’à attirer sur lui les foudres du pouvoir exécutif, comme lors de l’« affaire Canal » (CE, ass., 19 octobre 1962, Canal, Robin et Godot, rec. 552).

[19] Le Conseil d’Etat a par ailleurs fixé le cadre d’examen des recours en la matière : le juge de l’excès de pouvoir exerce désormais un entier contrôle sur les motifs des assignations à résidence, ces mesures doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées et le juge des référés présume le caractère urgent des recours dirigés contre ces mesures. (CE, section, 11 décembre 2015, n° 39500.

[20] Quant aux membres du Conseil d'État, ils bénéficient d’une inamovibilité de fait.

[21] N° 80-119 DC du 22 juillet 1980, Loi portant validation d'actes administratifs, cons. 6.

[22] 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines c. France ; 30 juin 2009, Union fédérale des consommateurs "Que choisir" de Côte-d'Or ; 4 juin 2013, Marc-Antoine c. France.

[23] Cour EDH, Medvedyev c. France, 29 mars 2010 : Moulin c. France, 23 novembre 2010.

[24] CC, n° 93-323 DC, 5 août 1993,  Contrôles d’identité ; CC, n° 93-326 DC, 11 août 1993, Garde à vue, cons. 5 : « (…) l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet. »

[25] Le Conseil constitutionnel juge que si l’assignation impose une astreinte inférieure ou égale à 12 heures par jour, elle n'est pas privative de liberté au sens de l'article 66 (CC, 2 décembre 2015, n° 2015-527 QPC, cons. 6) ; la chambre britannique des Lords juge que si l'astreinte est inférieure ou égale à 14 heures par jour, elle ne constitue pas une privation de liberté au sens de l'article 5 de la Convention EDH (House of Lords, 31 octobre 2007, Secretary of State for the Home Department v. AF).

[26] CC, n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, cons. 10 à 12 ; cf. déjà CC, 28 juillet 1989, n° 261 DC, cons. 29 : « La bonne administration de la justice commande que l'exercice d'une voie de recours appropriée assure la garantie effective des droits des intéressés ; (…) cette exigence (...) peut être satisfaite aussi bien par la juridiction judiciaire que par la juridiction administrative. »

[27] Certains à l'étranger, et non des moindres, s'étonnent d'ailleurs de cette querelle picrocholine, tels Guido Raimondi, le président de la Cour de Strasbourg, pour qui « le juge administratif français a absolument toutes les caractéristiques d'indépendance et d'impartialité requises. » (Le Monde, 19 janvier 2016, Etat d’urgence : face aux critiques des juges, le Conseil d’Etat défend son rôle).