Le Conseil d’État rejette des recours dirigés contre des mesures du CSA relatives à la diffusion du film de sensibilisation à la trisomie 21 « Chère future maman ».
L’essentiel
Un message de sensibilisation à la trisomie 21 intitulé « Chère future maman » a été diffusé sur M6, D8 et Canal+ dans le cadre d’écrans publicitaires. Ce court film se présente comme un message adressé à une femme enceinte qui vient d’apprendre que le fœtus qu’elle porte est atteint de trisomie 21 et met en scène des enfants et adolescents qui en sont atteints et qui déclarent être heureux et pouvoir exercer de nombreuses activités.
A la suite de cette diffusion, le CSA a estimé, dans une délibération, que ce film ne pouvait pas être inséré au sein d’écrans publicitaires. Il a ensuite précisé la portée de sa démarche par un communiqué : son intention n’était pas de gêner la diffusion de ce film, dont il a relevé la contribution positive à la lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées, mais seulement de signaler que son insertion au sein d’écrans publicitaires était « inappropriée ».
La règlementation prévoit que l’on ne peut diffuser, pendant les séquences publicitaires, que des messages publicitaires ou, par dérogation, des « messages d’intérêt général ». Or le CSA a estimé que ce film ne constituait pas un « message d’intérêt général » au sens que la réglementation donne à ce terme : dès lors qu’il se présente comme adressé à une femme enceinte, il est, selon le CSA, « susceptible de troubler » des femmes ayant eu recours à une interruption médicale de grossesse. Le CSA en déduit que, s’il est tout à fait possible de diffuser un tel film à la télévision, il est inapproprié de le diffuser dans le cadre de séquences publicitaires.
Des particuliers et des associations ont contesté, devant le Conseil d’État, la légalité de ces mesures. Le Conseil d’État juge que la présentation d’un point de vue positif sur la vie personnelle et sociale des jeunes atteints de trisomie répond à un objectif d’intérêt général ; il estime toutefois que le CSA n’a pas, dans l’exercice de son pouvoir de régulation, commis d’erreur d’appréciation ni d’erreur de droit en estimant que la diffusion du film en cause dans le cadre d’écrans publicitaires était inappropriée.
Les faits et la procédure
Un message de sensibilisation à la trisomie 21 intitulé « Chère future maman » a été diffusé sur M6, D8 et Canal+, à plusieurs reprises entre le 21 mars et le 21 avril 2014, dans le cadre d’écrans publicitaires. Ce court film se présente comme un message adressé à une femme enceinte qui vient d’apprendre que le fœtus qu’elle porte est atteint du syndrome de Down (trisomie 21). Il met en scène des enfants et adolescents atteints de ce syndrome qui déclarent être heureux et pouvoir exercer de nombreuses activités.
A la suite de cette diffusion, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a, par une délibération du 25 juin 2014, estimé que ce film ne constituait ni un message publicitaire ni un message d’intérêt général au sens que la réglementation donne à ces termes. Il en a déduit que ce film pouvait être valorisé par une « diffusion mieux encadrée et contextualisée », mais ne pouvait être inséré au sein d’écrans publicitaires. Le président du CSA a ainsi invité les responsables des trois chaînes de télévision concernées, par un courrier du 17 juillet 2014, à veiller, à l’avenir, aux modalités de diffusion de tels messages.
Puis, le 31 juillet 2014, le CSA a diffusé un communiqué par lequel il a précisé la portée de sa démarche : il a souligné à cette occasion qu’il n’avait pas entendu gêner la diffusion à la télévision de ce film, dont il a relevé la contribution positive à la lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées, mais seulement voulu attirer l’attention des responsables des services de télévision sur le fait que son insertion au sein d’écrans publicitaires était « inappropriée ».
Des particuliers et des associations ont contesté, devant le Conseil d’État, la légalité de la délibération du 25 juin 2014 et du communiqué du 31 juillet 2014.
La décision du Conseil d’État
Dans la décision qu’il a rendue aujourd’hui, le Conseil d’État commence par juger, conformément à sa jurisprudence, que la délibération du 25 juin 2014 et le communiqué du 31 juillet 2014 sont susceptibles de faire l’objet d’un recours devant lui : ils n’ont certes produit aucun effet de droit mais ils ont eu pour objet d’influer de manière significative sur le comportement des chaînes de télévision.
Le Conseil d’État examine ensuite si le CSA a correctement appliqué le droit. Il tient compte, dans cet examen, des caractéristiques du « pouvoir de régulation » qui appartient au CSA.
Le décret du 27 mars 1992 définit la publicité télévisée et pose en principe que les séquences publicitaires doivent, à la télévision, être clairement séparées du reste du programme. Il en résulte qu’il n’est normalement possible de diffuser que des messages publicitaires pendant ces séquences publicitaires. Une dérogation est toutefois prévue pour les « messages d’intérêt général » : ceux-ci peuvent être diffusés pendant une séquence publicitaire alors même qu’ils n’ont aucun caractère publicitaire.
Le Conseil d’État souligne que le CSA a relevé que le film en cause présente un point de vue positif sur la vie des jeunes atteints de trisomie et encourage la société à œuvrer à leur insertion et à leur épanouissement, mais qu’il a aussi une « finalité qui peut paraître ambiguë », dès lors qu’il se présente comme adressé à une femme enceinte, confrontée au « choix de vie personnelle » de recourir ou non à une interruption médicale de grossesse.
Le Conseil d’État relève ensuite que la présentation d’un point de vue positif sur la vie personnelle et sociale des jeunes atteints de trisomie répond à un objectif d’intérêt général.
Le Conseil d’État observe toutefois que le CSA a estimé que le film, bien qu’il réponde à un tel objectif d’intérêt général, est, en raison de l’« ambiguïté » relevée, « susceptible de troubler en conscience des femmes qui, dans le respect de la loi, avaient fait des choix de vie personnelle différents ». Le CSA en a conclu que ce film ne constitue pas un « message d’intérêt général » au sens que la réglementation donne à ce terme : il est tout à fait possible de le diffuser à la télévision, et le CSA n’entend pas gêner cette diffusion, mais il est inapproprié de le diffuser au sein de séquences publicitaires. Le Conseil d’État estime qu’en agissant ainsi, et compte tenu de son pouvoir de régulation, le CSA n’a pas commis d’erreur dans l’application de la réglementation. Par ailleurs, puisqu’il s’est borné à indiquer que la diffusion du film dans des séquences publicitaires est inappropriée, le CSA n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
Le Conseil d’État rejette donc les recours dont il était saisi.