Le juge des référés du Conseil d’État suspend l’exécution du décret du 27 décembre 2013 relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC)
L’essentiel :
-Le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l’exécution du décret du 27 décembre 2013 relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC)
-Ce décret a notamment pour objet d’introduire un délai minimal de quinze minutes entre la réservation par le client et sa prise en charge effective par le service de VTC.
-Saisi par plusieurs sociétés exerçant l’activité de VTC, le juge des référés du Conseil d’État a estimé qu’un doute sérieux existait sur la légalité de ce décret, les motifs avancés par l’administration, tenant au souci de mieux distinguer cette activité de celle des chauffeurs de taxi et de contribuer à fluidifier la circulation dans les grandes agglomérations, n’apparaissant pas, en l’état de l’instruction, suffisants pour justifier une telle mesure au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie.
-Le Conseil d’État reste saisi, au fond, de la requête en annulation introduite par ces mêmes sociétés.
Le cadre juridique du litige:
Un décret n° 2013-1251 du 27 décembre 2013 a modifié la réglementation applicable aux véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). En vertu des dispositions législatives du code du tourisme, cette activité consiste à mettre ces véhicules à la disposition des clients sur réservation préalable, à la différence des taxis bénéficiant d’une licence qui sont, en outre, autorisés à stationner sur la voie publique en quête de clients sans location préalable. Le décret du 27 décembre 2013 a notamment introduit l’obligation de respecter un délai minimal de quinze minutes entre la réservation du véhicule et la prise en charge effective du client.
Plusieurs sociétés exerçant une activité de VTC ont saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, dans le cadre de la procédure de référé suspension, afin que l’exécution de ce nouveau décret soit suspendue.
Le référé suspension est une procédure d’urgence dans laquelle un juge unique statue de manière provisoire, dans l’attente du jugement de la requête au fond. Le juge peut décider la suspension de l’acte contesté si deux conditions sont remplies : il faut, d’une part, qu’il soit fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, et, d’autre part, que l’urgence le justifie.
S’agissant d’un référé dirigé contre un décret, le juge des référés du Conseil d’État est, en vertu du code de justice administrative, compétent en premier et dernier ressort.
La décision du juge des référés du Conseil d’État
En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a considéré que les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du code de justice administrative étaient remplies.
Il a tout d’abord estimé qu’était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret le moyen, invoqué par les sociétés requérantes, tiré de ce qu’en introduisant un délai minimal de quinze minutes entre réservation et prise en charge, le décret portait une atteinte illégale au principe général du droit de la liberté du commerce et de l’industrie.
Si des restrictions peuvent être apportées à cette liberté, c’est à la condition qu’elles soient nécessaires à un objectif d’intérêt général et proportionnées à l’atteinte d’un tel objectif.
Le juge des référés a relevé que l’administration entendait justifier l’introduction du délai minimal de quinze minutes par deux motifs : le souci de mieux distinguer l’activité de VTC et l’activité de taxis, d’une part, et la volonté de contribuer à fluidifier la circulation dans les grandes villes, d’autre part.
Sur le premier point, le juge des référés a constaté que la loi distinguait en effet les deux professions, en réservant à la profession réglementée de chauffeur de taxi l’activité consistant à circuler et à stationner sur la voie publique en quête de clients. Il a cependant estimé qu’existait un doute sérieux, à ce stade de l’instruction, sur le point de savoir si le simple fait d’accepter une réservation par téléphone ou Internet en vue d’un départ aussi rapide que possible porte réellement atteinte au monopole légal des chauffeurs de taxi. Par voie de conséquence, le juge des référés a estimé qu’il existait un doute sérieux quant au bien fondé du premier motif invoqué par l’administration, consistant à protéger l’exercice légal de la profession de taxi.
Sur le second point, le juge des référés a estimé que, compte tenu des éléments produits par les parties à ce stade de l’instruction, il existait un doute sérieux sur la réalité et l’ampleur des effets de fluidification du trafic que l’introduction du délai de quinze minutes était susceptible d’entraîner et, par suite, sur le bien fondé de l’autre motif invoqué par l’administration.
Le juge des référés a ensuite estimé que la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative était elle aussi remplie.
L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.
En l’espèce, le juge des référés a relevé que le délai de prise en charge d’un client constitue pour l’activité de VTC un élément décisif d’attractivité commerciale et qu’en introduisant un délai minimal de quinze minutes, le décret créait un risque important de perte de clientèle et constituait ainsi un obstacle sérieux au développement des sociétés requérantes. Il s’est également fondé sur les particularités du marché en cause, tenant notamment à sa croissance rapide et à son caractère fortement concurrentiel, sur lequel les sociétés requérantes, toutes de création récente, avaient engagé des investissements pour constituer leurs flottes, leur dispositif de réservation et leur clientèle. Le juge des référés en a déduit que l’atteinte « grave et immédiate » aux intérêts des requérants, au sens que la jurisprudence donne à cette notion pour qualifier l’urgence en matière de référé suspension, était bien vérifiée.
Les deux conditions posées par l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, le juge des référés a fait droit aux requêtes et ordonné la suspension de l’exécution du décret du 27 décembre 2013.
La requête en annulation de ce décret, dont le Conseil d’État statuant au contentieux reste saisi au fond, sera examinée ultérieurement.