Statuant sur les recours de C8 dirigés contre trois sanctions infligées par le CSA, le Conseil d’État annule l’une des trois sanctions et confirme les deux autres
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L’Essentiel :
• Par des décisions du 7 juin et 26 juillet 2017, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a sanctionné la chaîne de télévision C8 pour des manquements commis à ses obligations lors de la diffusion de 3 séquences des émissions « Touche pas à mon poste » et « TPMP ! Baba hot line ».
• Par les 3 décisions de ce jour, le Conseil d’État :
- annule la sanction du CSA eu égard au comportement du chroniqueur tout au long de la séquence diffusée le 3 novembre 2016, estimant que ce dernier n’avait pas été montré sous un jour dégradant, humiliant ou attentatoire à sa dignité,
- confirme les décisions du CSA compte tenu de la nature et de la gravité des faits en cause lors des séquences du 7 décembre 2016 et du 18 mai 2017.
Les faits et la procédure :
Le CSA est chargé de contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine audiovisuel. À ce titre, il a prononcé en 2017 des sanctions à l’encontre de la société C8. 3 séquences d’émissions diffusées étaient en litige, chacune d’entre elles ayant donné lieu à une sanction. Les 2 premières concernaient l’émission « Touche pas à mon poste », diffusées le 3 novembre et le 7 décembre 2016.
Dans la première affaire (séquence du 3 novembre 2016), l’animateur et un chroniqueur ont été montrés se rendant chez une personne se faisant passer pour un producteur, selon le principe de la « caméra cachée ». À la suite d’une altercation entre l’animateur et le « producteur », ce dernier est tombé, apparemment inanimé. L’animateur et son garde du corps ont alors tenté de dissuader le chroniqueur d’appeler la police et de le contraindre à endosser la responsabilité de l’incident. Le chroniqueur, qui a été présenté comme n’ayant été avisé que le lendemain qu’il s’agissait d’une mise en scène, est apparu, tout au moins initialement, déstabilisé par le comportement de l’animateur. Faisant preuve de sang-froid, il appelle la police, alors qu’il lui était demandé avec insistance de ne pas le faire. Estimant que cette séquence portait atteinte à la dignité de la personne humaine, le CSA a décidé le 7 juin 2017 d’interdire à la société C8 de diffuser des séquences publicitaires pendant une durée d’une semaine au sein de l’émission « Touche pas à mon poste » ainsi que pendant les 15 minutes précédant et suivant la diffusion de cette émission.
Dans la deuxième affaire (séquence du 7 décembre 2016), l’animateur a proposé à une chroniqueuse un « jeu » consistant à lui faire toucher, pendant qu’elle gardait les yeux fermés, diverses parties de son corps qu’elle devait ensuite identifier. Après avoir fait toucher à l’intéressée sa poitrine et son bras, l’animateur a posé sa main sur son entrejambe. La chroniqueuse a réagi en se récriant puis en relevant le caractère habituel de ce type de geste. Le CSA a estimé que cette séquence constituait un manquement de la société C8 à ses obligations en tant qu’éditeur en matière d’image des femmes et de lutte contre les stéréotypes et les violences, ainsi que de maîtrise de son antenne. Par une décision du 7 juin 2017, il a interdit à la société C8 de diffuser des séquences publicitaires pendant une durée de deux semaines au sein de l’émission et pendant les 15 minutes précédant et suivant la diffusion de celle-ci.
Dans la troisième affaire tirée de l’émission « TPMP ! Baba hot line » (séquence du 18 mai 2017), l’animateur a diffusé en direct les conversations téléphoniques qu’il a eues avec des personnes ayant répondu à une fausse petite annonce préalablement publiée sur un site de rencontres et présentant l’auteur de l’annonce comme bisexuel. Le CSA a estimé que ces faits étaient constitutifs d’un manquement aux obligations qui s’imposent à un éditeur de contenus télévisés. Le CSA doit veiller dans son programme à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité de la République, lutter contre les discriminations et respecter les droits de la personne relatifs à sa vie privée, son image, son honneur et sa réputation. Il a décidé, le 26 juillet 2017, d’infliger à la société C8 une amende de 3 millions d’euros.
La société C8 a demandé au Conseil d’État d’annuler ces 3 décisions de sanction prises à son encontre.
Les 3 décisions de ce jour :
Dans la première affaire (3 novembre 2016), le Conseil d’État a estimé, contrairement au CSA, qu’eu égard au comportement du chroniqueur tout au long de la séquence, ce dernier n’avait pas été montré sous un jour dégradant, humiliant ou attentatoire à sa dignité. Il juge donc que la décision du CSA doit être annulée.
Dans la deuxième affaire (7 décembre 2016), il a estimé que la mise en scène d’un tel comportement de la part de l’animateur, procédant par surprise, sans consentement préalable de la chroniqueuse, qui était en outre placée en situation de subordination vis-à-vis de l'animateur et producteur, ne peut que banaliser des comportements inacceptables, qui sont d’ailleurs susceptibles de faire l’objet, dans certains cas, d’une incrimination pénale. Selon le Conseil d’État, ce type de comportement place la personne concernée dans une situation dégradante et tend à donner de la femme une image stéréotypée la réduisant à un statut d’objet sexuel. Dans ces conditions, il juge que la décision de sanctionner la société C8 pour ces faits est justifiée et ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
Dans la troisième affaire (18 mai 2017), le Conseil d’État relève que les voix des personnes n’ont pas été maquillées et que l’animateur les a invitées à donner des informations personnelles sur leur lieu de résidence, leur âge ou leur profession, ce qui les a exposées au risque d’être reconnues. Il remarque que les personnes n’ont pas été informées de la diffusion de leurs propos. Il constate que l’animateur a incité ces personnes à tenir des propos d’une crudité appuyée dévoilant leur intimité et exposant leur vie privée alors même qu’elles ne pouvaient imaginer que leurs propos seraient diffusés publiquement. Par ailleurs, le Conseil d’État souligne que l’animateur a constamment adopté une attitude visant à donner une image caricaturale des homosexuels qui ne peut qu’encourager les préjugés et la discrimination à leur encontre. Il juge donc dans cette affaire que la décision de sanctionner est justifiée et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.