Le Conseil d’État annule l’arrêté du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture de la variété de semences de maïs génétiquement modifié MON 810.
L’essentiel
Faisant application du droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État a annulé l’arrêté du ministre de l’agriculture du 16 mars 2012 qui, après l’annulation de précédents arrêtés pris en 2007 et 2008, avait à nouveau suspendu la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810.
Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’une telle mesure ne peut être prise par un Etat membre qu’en cas d’urgence et en présence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.
En l’espèce, le Conseil d’État a constaté que ni l’avis rendu le 8 décembre 2011 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments ni aucun autre élément du dossier ne permettait de caractériser un tel risque.
Le Conseil d’État a enfin jugé que les conditions de mise en œuvre par les Etats membres de l’Union européenne de mesures conservatoires à l’égard d’aliments génétiquement modifiés pour animaux autorisés par la Commission européenne ne méconnaissent pas le principe de précaution, tel qu’il est interprété par la Cour de Justice de l’Union européenne.
Les faits à l’origine de l’affaire
Le maïs MON 810 est une variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes. Sa mise sur le marché a été autorisée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement.
Le ministre de l’agriculture avait, par des arrêtés du 5 décembre 2007 et du 13 février 2008, suspendu puis interdit la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié « Zea Mays L. lignée MON 810 ». Le Conseil d’État, saisi de recours en annulation de ces arrêtés, avait posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur la portée des règles du droit de l’Union européenne (UE) applicables dans ce domaine, et notamment les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prendre des mesures conservatoires.
A la lumière de l’arrêt rendu par la CJUE (8 septembre 2011, Monsanto SAS et autres, aff. C-58/10 à C-68/10), le Conseil d’État avait annulé les arrêtés de 2007 et 2008 (CE, 28 novembre 2011, SOCIETE MONSANTO SAS et autres, n°s 313605 et autres et n° 312921).
Le 16 mars 2012, le ministre chargé de l’agriculture a pris un nouvel arrêté suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea mays L. lignée MON 810. C’est cet arrêté, contesté par l’Association générale des producteurs de maïs et deux autres requérants, qui fait l’objet de la décision du Conseil d’État du 1er août 2013.
Le contexte juridique européen de l’affaire
L’utilisation du maïs MON 810 est soumise aux dispositions du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Ce règlement, combiné avec le règlement européen (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, permet à la Commission européenne de prendre des mesures conservatoires :
lorsqu’un produit autorisé est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement,
ou si, au regard d’un avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d’urgence une autorisation.
Des mesures conservatoires peuvent également être prises par un Etat membre lorsqu’il a informé officiellement la Commission de la nécessité de prendre de telles mesures et que celle-ci n’a pas agi.
Conformément à la jurisprudence de la CJUE que le Conseil d’État a rappelée dans sa décision, pour pouvoir prendre une mesure conservatoire au motif qu’un produit est « susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement », un Etat membre doit démontrer, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement , et ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.
La décision du Conseil d’État
Faisant application du droit de l’Union européenne tel qu’interprété par la CJUE, le Conseil d’État a annulé l’arrêté du 16 mars 2012 au motif que le ministre de l’agriculture a commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation pour estimer que les conditions posées par le droit européen à l’adoption de mesures conservatoires étaient remplies,.
D’une part, le Conseil d’État a jugé que le ministre de l’agriculture a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il apparaissait nécessaire, au regard de l’avis rendu le 8 décembre 2011 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), de suspendre d’urgence l’autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810, alors que cet avis ne faisait état d’aucune urgence et n’adressait aucune recommandation à la Commission européenne de suspendre ou de modifier d’urgence l’autorisation de mise sur le marché de ce maïs. Le ministre ne pouvait donc se fonder sur cet avis pour justifier la mesure de suspension litigieuse.
D’autre part, le Conseil d’État a jugé, au regard des pièces du dossier qui lui était soumis, que le ministre de l’agriculture ne faisait pas état d’éléments nouveaux, reposant sur des données scientifiques fiables, permettant de conclure à l’existence d’un risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement. Le Conseil d’État s’est notamment référé, pour retenir l’absence de caractérisation d’un tel risque, à des avis de l’AESA et du comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies, ainsi qu’à une étude publiée en février 2012 par des chercheurs de l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich. Il a estimé que le ministre avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant, sur la base des éléments qu’il invoquait, que l’existence d’un tel risque pour l’environnement était caractérisé et justifiait la mesure de suspension litigieuse.
Enfin, le Conseil d’État a jugé que les conditions de mise en œuvre, par les Etats membres de l’UE, des mesures conservatoires à l’égard d’aliments génétiquement modifiés pour animaux qui ont été autorisés par la Commission européenne ne méconnaissent pas le principe de précaution, tel qu’il est garanti par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et l’article 5 de la Charte de l’environnement.
Sur ce point, le Conseil d’État, se référant à la jurisprudence de la CJUE, a d’abord rappelé qu’une application correcte du principe de précaution consacré par le TFUE présuppose l’identification des conséquences potentiellement négatives d’un produit et une évaluation complète du risque fondée sur les données scientifiques les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives.
Or le Conseil d’État a relevé que le règlement européen du 22 septembre 2003, tel qu’interprété par la CJUE dans l’arrêt Monsanto SAS et autres du 8 septembre 2011, n’impose pas aux autorités compétentes pour adopter des mesures d’urgence d’apporter la preuve scientifique de la certitude du risque, mais de se fonder sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce. Le Conseil d’État a jugé que, dès lors, les conditions fixées par ce règlement pour l’adoption de mesures d’urgence, interdisant d’édicter des mesures de protection relatives à un produit autorisé en se fondant sur une approche purement hypothétique du risque, ne méconnaissaient pas le principe de précaution, mais au contraire résultaient de ce principe. Il est parvenu à une même conclusion pour l’application de l’article 5 de la Charte de l’environnement.