Arrêt « Blanco » : depuis 150 ans, l’État peut être condamné par la justice administrative pour les dommages qu’il cause

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Rendu le 8 février 1873 par le Tribunal des conflits, l’arrêt « Blanco » juge que l’État peut être tenu responsable des dommages causés par les services publics. Il donne à la justice administrative, la mission de juger les recours des citoyens qui demandent que l’Etat soit condamné à réparer les préjudices qu’il a causés. À l’occasion du 150e anniversaire de l’arrêt Blanco, le Conseil d’État revient sur ce moment fondateur du droit administratif, au cœur de l’État de droit et de la relation entre citoyens et administrations.

Agnès Blanco, petite fille de cinq ans amputée d’une jambe après s’être fait renverser par un wagonnet d’une manufacture de tabac exploitée par l’État, a donné son nom à l’un des plus grandes décisions de la justice administrative. En affirmant que l’État peut être tenu responsable des dommages causés par son action, la décision « Blanco » du Tribunal des conflits (8 février 1873) met fin à une longue période d’incertitude sur les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’État peut être engagée.

Le Tribunal des conflits précise toutefois que l’État ne peut pas être jugé selon les mêmes règles juridiques que les particuliers (code civil), et qu’il doit être jugé selon un droit spécifique : c’est la consécration du droit administratif des services publics.

 

La justice administrative – à l’époque le Conseil d’État, puis les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel – ont développé ce droit, au gré de leurs décisions de justice et des litiges entre citoyens et administration qu’ils tranchent chaque jour.

Les conséquences de l’arrêt Blanco : l’État est responsable des dommages qu’il provoque

 

Ainsi, avec l’arrêt « Blanco », le juge administratif est en charge de juger la responsabilité de l’État pour l’action de ses services publics, au niveau national comme local.

Quelques exemples :

  • En avril 1993, le Conseil d’État condamne l'État à indemniser des victimes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine en raison de perfusions de produits sanguins anti-hémophiliques.

  • Par sa décision « Papon » d’avril 2002, le Conseil d’État ouvre la possibilité d’engager la responsabilité de l’État français en raison des actes antisémites commis par l’administration française sous le Gouvernement de Vichy. 

  • En juin 2014, le Conseil d’État engage la responsabilité de la commune de Collias (Gard) dans l’accident d’une personne, au titre d'un défaut d'entretien normal de la voirie communale.

 

 

La décision « Blanco » de 2023 serait différente même si l’esprit de 1873 est toujours d’actualité

Si l’arrêt Blanco est considéré comme fondateur du droit administratif, l’accident d’Agnès Blanco ne serait plus tout à fait jugé de la même façon aujourd’hui. En effet :

  • Certains conflits liés à des services publics ne sont plus obligatoirement jugés par la justice administrative : les litiges liés à des services publics industriels et commerciaux sont aujourd’hui traités par la juridiction judiciaire (arrêt du Tribunal des conflits, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain). Le service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, responsable de l’amputation d’Agnès Blanco, a été transformé en une société commerciale (SEITA).

  • En outre, la loi du 31 décembre 1957 a transféré aux tribunaux judiciaires le contentieux des dommages de toute nature causés par des véhicules publics, au nombre desquels devrait être compté le wagonnet de l’affaire Blanco.

 

 

> Lire le discours du vice-président du Conseil d’État à l’occasion des 150 ans de l’arrêt Blanco

> Lire la décision « Blanco »
 

Pour aller plus loin

Qu’est-ce que le Tribunal des conflits ?

Composé de membres de Conseil d'État et de la Cour de cassation, le Tribunal des conflits est la juridiction chargée, dans le cas de dossiers juridiques complexes, de déterminer qui de la justice judiciaire ou de la justice administrative doit juger l’affaire.

 

 

La responsabilité administrative à travers quelques décisions du Tribunal des conflits…

TC, 8 février 2021, 4205 Garde des sceaux, ministre de la justice, c/ M. Rahmani
Le Tribunal des conflits juge que l'action fondée sur une responsabilité sans faute de l'État en raison du préjudice résultant d'une opération de police judiciaire relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

TC n° 4046 APHP
Le Tribunal des conflits juge, en matière de responsabilité médicale, qu'une faute du service d'aide médical d'urgence (SAMU) dans sa mission d'accueil téléphonique et de déclenchement de la réponse médicale peut fonder une action en responsabilité qu'il appartiendra au juge administratif de connaitre.