Le Conseil d’État juge que la limite d’âge des « aiguilleurs du ciel » est conforme au droit de l’Union européenne.
L’essentiel
• Le Conseil d’État juge que la limite d’âge prévue par la législation française pour les contrôleurs aériens, qui est actuellement fixée à 57 ans et sera progressivement relevée à 59 ans, respecte la directive européenne du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.
• Si cette directive interdit de manière générale les discriminations à raison de l’âge, elle autorise néanmoins les différences de traitement reposant sur un critère d’âge lorsqu’elles respectent certaines conditions strictement définies.
• Le Conseil d’État estime en l’espèce que ces conditions sont remplies dès lors que, compte tenu des facultés toutes particulières d’attention, de concentration et de vigilance attendues des contrôleurs aériens, cette limite d’âge est, dans son principe, justifiée par un objectif de protection de la sécurité publique et que son niveau est proportionné au but poursuivi.
Les faits et la procédure
L’article 3 de la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne impose aux ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne – qui sont des fonctionnaires de l’État – une limite d’âge de 57 ans, sans possibilité de report. La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a prévu le relèvement progressif de cette limite d’âge pour la porter à 59 ans à compter du 1er janvier 2022.
Plusieurs contrôleurs aériens ont cependant demandé à l’administration à être maintenus en activité au-delà de cet âge limite de 57 ans. Leurs demandes ont été rejetées.
Les intéressés ont alors contesté ces refus devant la juridiction administrative. Ils estimaient notamment que cette limite d’âge méconnaissait le droit de l’Union européenne, et plus particulièrement la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Cette directive européenne, qui s’applique à tous les secteurs d’activités, interdit en effet toutes les discriminations professionnelles directes et indirectes, dont celles fondées sur un critère d’âge.
En première instance, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs recours. Les requérants ont fait appel devant la cour administrative d’appel de Marseille qui leur a donné satisfaction. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État
Si la directive 2000/78/CE proscrit en principe les discriminations fondées sur l’âge, elle autorise l’introduction de différences de traitement reposant sur un critère d’âge sous certaines conditions strictement encadrées, notamment lorsqu’elles sont « nécessaires à la sécurité publique » (article 2, paragraphe 5) ou lorsqu’elles représentent une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », sous réserve alors que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée (article 4, paragraphe 1).
Le Conseil d’État a recherché si ces différentes conditions étaient remplies s’agissant de la limite d’âge prévue pour les contrôleurs aériens.
Il a tout d’abord relevé que, dans son principe, l’introduction d’une limite d’âge pour les contrôleurs exerçant des fonctions opérationnelles ne pouvait qu’être conforme au droit de l’Union européenne dès lors que la directive 2006/23/CE du 5 avril 2006, qui est un texte spécifique aux contrôleurs aériens, prévoit la possibilité pour les États membres d’introduire une limite d’âge dans ce secteur.
Le Conseil d’État a ensuite jugé que l’application d’une limite d’âge générale, valable pour l’ensemble des contrôleurs aériens, quelles que soient les fonctions auxquelles ils sont affectés, répond non seulement à un « objectif de sécurité publique » mais aussi à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » pour atteindre cet objectif. Il a notamment tenu de compte de l’incidence de l’âge sur les facultés toutes particulières d’attention, de vigilance, de concentration, de réactivité face aux situations d’urgence et de récupération dans des cycles de travail contraignants, ainsi que sur la capacité à supporter l’importante charge mentale, qu’impliquent les fonctions de tout contrôleur aérien. En outre, si un petit nombre d’agents sont affectés à des fonctions « hors salle », ils doivent conserver leur aptitude à reprendre à tout moment, en cas de besoin, une activité opérationnelle en salle de contrôle. L’institution d’une règle générale permet ainsi d’éviter que restent en fonction des agents dont les aptitudes seraient amoindries par l’âge.
Enfin, le Conseil d’État a estimé que la fixation de l’âge limite des contrôleurs aériens à 57 ans est « nécessaire » et « proportionnée » à l’objectif poursuivi, compte tenu notamment des contraintes particulièrement importantes attachées à l’exercice de leurs missions. Il a également tenu compte des possibilités de reclassement dans d’autres corps de fonctionnaires qui leur sont offertes et leur permettent, ainsi, de poursuivre une activité au-delà de cette limite. Le Conseil d’État a par ailleurs relevé que si plusieurs Etats européens ont fixé une limite d’âge de 65 ans, d’autres, tels que l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, ont retenu des seuils compris entre 55 et 58 ans.
La limite d’âge étant ainsi justifiée à la fois dans son principe et dans son champ d’application, et proportionnée par son niveau, le Conseil d’État en a déduit que la loi française était compatible avec la directive 2000/78/CE. Il a prononcé la cassation de l’arrêt de la cour administrative d’appel et, réglant l’affaire au fond, a rejeté les appels des requérants.