Le Conseil d’État rejette les recours en annulation formés contre les décisions de l’Autorité de la concurrence relatives à la prise de contrôle de TPS et CanalSat.
> lire la décision n° 353856 et la décision n° 362347,363542,363703
L’essentiel
En 2006, la société Groupe Canal Plus avait été autorisée à prendre le contrôle de TPS et CanalSat, sous réserve de 59 engagements. Le 20 septembre 2011, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné le non respect par Canal Plus de certains de ces engagements en retirant l’autorisation donnée et en infligeant une amende de 30 millions d’euros à la société. L’opération avait fait l’objet d’une nouvelle demande, pour laquelle l’Autorité de la concurrence a donné son autorisation, sous réserve du respect de 33 injonctions. Le Conseil d’État avait à connaître à la fois de la décision de sanction et de la nouvelle décision d’autorisation.
La procédure suivie devant le Conseil d’État a été particulièrement importante : audience de plus de 5 heures en référé, audience d’instruction de plusieurs heures, séance publique de plus de 4 heures, décisions faisant respectivement plus de 60 et 90 pages.
Le Conseil d’État a validé, pour l’essentiel, la décision de sanction prise par l’Autorité de la concurrence, tout en ramenant la sanction financière prise de 30 à 27 millions d’euros, au motif que deux des dix manquements retenus n’étaient pas fondés.
Le Conseil d’État a entièrement validé la nouvelle décision d’autorisation sous réserve d’injonctions prise par l’Autorité de la concurrence, en confirmant l’analyse concurrentielle et la proportionnalité des mesures prises.
1. Les faits et la procédure ayant donné lieu aux deux décisions lues ce vendredi 21 décembre sont les suivants.
Par une décision du 30 août 2006, le ministre chargé de l’économie a autorisé les sociétés Groupe Canal Plus (GCP) et Vivendi Universal à prendre le contrôle exclusif des activités de télévision payante de TPS et de CanalSat afin de les regrouper au sein d’une société unique. Cette autorisation a été délivrée sous réserve du respect de 59 engagements pris par les parties, devant être mis en œuvre au plus tard à compter du 4 avril 2007, pour les uns, pour une durée de cinq ans et, pour les autres, pour une durée de six ans.
Le 20 septembre 2011, l’Autorité de la concurrence a, après avoir constaté l’inexécution de dix de ces engagements, retiré la décision du 30 août 2006 du ministre chargé de l’économie et infligé une sanction de 30 millions d’euros à la société GCP et ses filiales.
Les parties ont alors à nouveau notifié à l’Autorité de la concurrence l’opération de concentration, ainsi qu’elles y étaient tenues à moins de revenir à l’état antérieur à la concentration. A la suite de cette notification, l’Autorité de la concurrence a, par une décision du 23 juillet 2012, autorisé l’opération de concentration sous réserve du respect de 33 injonctions prononcées par cette décision.
Les sociétés GCP et Vivendi Universal ont attaqué devant le Conseil d’État tant la décision du 20 septembre 2011 que celle du 23 juillet 2012 afin d’en obtenir l’annulation et ont demandé leur suspension en urgence, le temps que les litiges soient tranchés. Les sociétés Parabole Réunion et Numéricable ont également demandé, par des requêtes distinctes, l’annulation de la décision du 23 juillet 2012.
Les demandes de suspension présentées par les sociétés GCP et Vivendi Universal ont été rejetées par le juge des référés du Conseil d’État par deux ordonnances des 17 septembre et 22 octobre 2012, au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie.
Par les deux décisions lues le 21 décembre, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État, tranchant définitivement ces affaires, a rejeté les requêtes en annulation portées devant elle.
Sur la procédure, on peut noter que ces affaires ont particulièrement mobilisé le Conseil d’État : audience de plus de 5 heures en référé, audience d’instruction de plusieurs heures ensuite, séance publique de plus de 4 heures, décisions dont les minutes font respectivement plus de 60 et 90 pages.
2. Affaire concernant le retrait de l’autorisation initialement donnée
La contestation dirigée contre la décision du 20 septembre 2011 (requête n° 353856) portait tant sur la compétence de l’Autorité de la concurrence et sur la procédure suivie devant elle que sur l’analyse faite par cette Autorité de l’existence de manquements aux engagements pris par la société GCP et sur la proportionnalité des mesures de retrait et de sanction pécuniaire prononcées en conséquence.
L’Assemblée du contentieux a d’abord confirmé la compétence de l’Autorité de la concurrence pour prendre, en application du IV de l’article L. 430-8 du code de commerce, à la suite du transfert de compétences opéré par la loi de modernisation de l’économie, des décisions de retrait et de sanction financière en cas de manquement à des engagements, injonctions ou prescriptions figurant dans une décision d’autorisation de concentration prise par le ministre chargé de l’économie avant 2008.
Elle a ensuite validé la procédure suivie devant l’Autorité et écarté, en particulier, les moyens tirés de ce que les exigences s’attachant au principe général d’impartialité, rappelé notamment par l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, auraient été violées. A cette occasion, tirant les conséquences de la décision du 12 octobre 2012 rendue par le Conseil constitutionnel à la suite du renvoi, en juillet dernier, par le Conseil d’État de la question prioritaire de constitutionnalité qui avait été posée par les sociétés GCP et Vivendi Universal, le Conseil d’État a jugé que la mesure par laquelle l’Autorité de la concurrence retire une décision d’autorisation précédemment délivrée à une opération de concentration, au motif que des engagements, prescriptions ou injonctions y figurant ont été méconnus, présente le caractère d’une sanction.
S’agissant du bien-fondé de la décision, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a considéré, après avoir examiné engagement par engagement les critiques formulées par les sociétés requérantes, que l’analyse retenue par l’Autorité de la concurrence sur l’existence de manquements à ces engagements n’était, à l’exception de deux d’entre eux, pas erronée. En particulier, elle a estimé que la société GCP avait adopté des mesures ayant pour conséquence de priver de toute portée l’engagement de maintien de la qualité de la chaîne TPS Star et de produire des effets anticoncurrentiels que cet engagement entendait précisément prévenir.
L’Assemblée du contentieux a ensuite réexaminé les sanctions prononcées à l’encontre de la société GCP au regard des manquements dont elle a retenu l’existence. Après avoir rappelé qu’eu égard à l’objet d’une telle mesure, qui n’est pas seulement punitif mais vise aussi à préserver l’ordre public économique, la proportionnalité du retrait de l’autorisation de concentration devait être appréciée au regard de l’importance des engagements non respectés, de l’ampleur des manquements et de la nécessité d’assurer le maintien d’une concurrence suffisante sur les marchés concernés, le Conseil d’État a estimé que le retrait prononcé par l’Autorité de la concurrence n’était pas disproportionné et a donc confirmé, dans cette mesure, la décision du 20 septembre 2011.
En revanche, eu égard à l’infirmation partielle de l’analyse de l’Autorité de la concurrence s’agissant de deux des manquements en cause, le Conseil d’État a ramené la sanction pécuniaire infligée à la société GCP de 30 à 27 millions d’euros.
3. Affaires concernant la décision d’autorisation de l’opération, sous réserve de 33 injonctions
La décision du 23 juillet 2012 par laquelle l’Autorité de la concurrence a décidé d’autoriser l’opération de rachat, par le Groupe Canal Plus, des activités de télévision payante de TPS, sous réserve de 33 injonctions, a fait l’objet de requêtes émanant, d’une part, des sociétés GCP et Vivendi (requête n° 362347), qui contestaient le caractère trop contraignant des injonctions dont cette décision était assortie, et de requêtes de sociétés concurrentes, qui estimaient au contraire que ces injonctions étaient insuffisantes pour maintenir la concurrence sur les marchés affectés par l’opération (requêtes n° 343542 de la société Parabole Réunion et n° 363703, de la société Numéricable).
Le Conseil d’État a rejeté l’ensemble de ces requêtes, conférant ainsi un caractère définitif à la décision de l’Autorité de la concurrence.
Il a d’abord jugé qu’il convenait d’écarter l’ensemble des moyens contestant la régularité de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision. Il a notamment estimé que ni le secret des affaires, ni les principes d’impartialité et de collégialité n’avaient été méconnus.
Le Conseil d’État a également écarté les moyens dirigés contre l’analyse concurrentielle menée par l’Autorité de la concurrence, ainsi que l’ensemble de ceux critiquant les injonctions prises, qu’il a jugées proportionnées, c’est-à-dire ni excessives, ni insuffisantes.
En outre, la société Parabole Réunion attaquait également le refus du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie d’évoquer l’affaire et de statuer lui-même sur l’opération de concentration pour motif d’intérêt général, comme la loi lui en réserve la faculté. Le Conseil d’État a rejeté ces conclusions, en estimant que le ministre n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en décidant de ne pas intervenir.
4. Les suites de la décision
Ces décisions confèrent un caractère définitif aux deux décisions de l’Autorité de la concurrence. En vertu de la première, la société GCP devra payer une amende de 27 millions d’euros en raison du non respect des engagements qu’elle avait pris en 2006. En vertu de la seconde, l’opération de concentration est à nouveau autorisée, sous réserve du respect des 33 injonctions prononcées, au respect desquelles il incombe à l’Autorité de la concurrence de veiller.