Elections régionales d'Ile-de-France

Décision de justice
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M. Jean-Paul Huchon n'est pas déclaré inéligible et son élection en qualité de conseiller régional n'est pas annulée. En revanche, le Conseil d'État prononce le rejet de son compte de campagne.

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L’Assemblée du contentieux du Conseil d’État s’est réunie le vendredi 1er juillet pour examiner les protestations formées contre les opérations électorales qui ont eu lieu les 14 et 21 mars 2010 pour le renouvellement du conseil régional d’Ile-de-France. Après la séance qui s’était tenue le 3 décembre 2010 sur ces protestations, l’Assemblée du contentieux avait décidé de rouvrir l’instruction et de soumettre au contradictoire la question prioritaire de constitutionnalité dont elle avait été saisie par une note en délibéré déposée par une partie concernant certaines dispositions du code électoral (articles L. 52-11-1, L. 52-12, L. 52-15, L. 118-3 et L. 341-1, dans leur rédaction issue de la loi du 10 avril 1996). Le Conseil d’État avait ensuite estimé qu’il y avait lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question posée et de surseoir à statuer jusqu’à que ce dernier se prononce (CE, 28 janvier 2011, M. Huchon, n° 338199). Par sa décision n° 2011-117 QPC du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions transmises conformes à la Constitution. Il restait pour l’Assemblée du contentieux à tirer les conséquences de cette décision sur la protestation dont elle était saisie. Elle se prononce sur quatre points principaux.

1/ Les opérations de communication de la région d'Ile-de-France menées fin 2009 doivent être considérées comme des campagnes de promotion publicitaire

L’Assemblée du contentieux se prononce tout d’abord sur la qualification de campagne de promotion publicitaire, au sens de l’article L. 52-1 du code électoral, des opérations de communication conduites par la région d’Ile-de-France relatives, d’une part, à son action et ses projets dans le domaine des transports (fin septembre 2009) et, d’autre part, à son engagement dans le domaine de l’emploi et de la formation (novembre 2009). En effet, en vertu de l’article L. 52-1, dans une période de six mois précédant des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. Le Conseil d’État juge que ces opérations d’affichage, qui ont revêtu un caractère massif, complétées par la publication d’encarts dans la presse écrite et sur Internet, ont eu pour effet non de diffuser de simples informations, mais de valoriser, par des messages à caractère promotionnel, l’action du conseil régional. Elles doivent donc être regardées comme des campagnes de promotion publicitaire, alors même que leur contenu est dépourvu de toute référence aux élections de mars 2010. En l’espèce, eu égard à la nature et à l’ampleur de ces opérations, la circonstance qu’elles ont été précédées de campagnes similaires les années antérieures et présentent ainsi un caractère récurrent n’est pas de nature à leur retirer le caractère de campagnes de promotion publicitaire prohibées par les dispositions de l’article L. 52-1.

2/ Les campagnes de promotion publicitaire en cause ont constitué une irrégularité qui a altéré la sincérité du scrutin pour l'attribution du dernier siège de conseiller régional

Sur les conséquences sur la sincérité du scrutin de ces campagnes, le Conseil d’État juge que l’irrégularité ainsi commise n’a pas été de nature à altérer la sincérité du premier tour du scrutin en raison de l'écart séparant le nombre des voix obtenues par les différentes listes du seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour. En ce qui concerne le second tour de scrutin, il constate qu’il aurait suffi à la liste conduite par Mme Pécresse de recueillir, sur les 3 035 692 suffrages exprimés au second tour, 124 voix supplémentaires au détriment de la liste conduite par M. Huchon pour bénéficier, aux lieu et place de celle-ci, de l'attribution à la plus forte moyenne du dernier siège de conseiller régional restant à pourvoir. De ce fait, l’irrégularité commise a été de nature à altérer la sincérité du scrutin en ce qui concerne l’attribution de ce siège. En revanche, cette irrégularité n’a pas été de nature à affecter l’attribution des autres sièges, compte tenu de l’écart de voix entre les deux listes en présence. Par suite, le Conseil d’État annule l’élection du dernier conseiller régional élu sur la liste « Huchon 2010 – La gauche et les écologistes rassemblés pour l’Ile de France » et laisse le dernier siège à pourvoir vacant.

3/ Le compte de campagne de M. Huchon est rejeté pour non respect de l'article L.52-8 du code électoral et M. Huchon ne peut bénéficier d’aucun remboursement de ses dépenses de campagne

Examinant ensuite les griefs relatifs au financement de la campagne électorale, le Conseil d’État juge que les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, qui prohibent toute participation des personnes morales, à l’exception des partis et groupements politiques, au financement de la campagne d’un candidat, ont été méconnues, et que cette irrégularité doit, en l’espèce, entraîner le rejet du compte de campagne de M. Huchon. En effet, compte tenu notamment de ce que, d’une part, M. Huchon était président du conseil régional sortant et, d’autre part, les thèmes développés par les opérations de promotion publicitaire de la région d'Ile-de-France étaient en rapport avec sa campagne électorale, sa liste doit être regardée comme ayant tiré bénéfice pour sa campagne de ces opérations. Celles-ci constituaient donc un avantage consenti à sa liste par une personne morale de droit public en violation des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral. Eu égard à l’importance de l’avantage en cause, qui s’élève à un montant de l’ordre de 1 500 000 euros et représente 45 % du plafond des dépenses électorales, cette irrégularité ne saurait conduire à la simple réformation du compte de campagne de M. Huchon, mais justifie, à elle seule, le rejet de ce compte.

Par suite du rejet du compte de campagne de M. Huchon, le Conseil d’État arrête à la somme de zéro euro le montant du remboursement qui lui est dû, en application des dispositions de l’article L. 52-11-1 du code électoral, au titre de ces élections.

4/ Le manquement commis par M. Huchon ne constitue pas un manquement d’une particulière gravité au sens des dispositions de la loi du 14 avril 2011 et il ne justifie par conséquent pas que M. Huchon soit déclaré inéligible ni que son élection en qualité de conseiller régional soit annulée

Le Conseil d’État était saisi de conclusions tendant à ce que M. Huchon soit déclaré inéligible par suite du rejet de son compte de campagne sur le fondement de l’article L. 118-3 du code électoral et de l’ancien article L. 341-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 avril 1996. Par la loi du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique, le législateur a modifié cet article, dont le troisième alinéa dispose désormais que le juge « prononce également l’inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ». Le Conseil d’État juge que ces dispositions, qui définissent de façon plus restrictive les hypothèses dans lesquelles un candidat encourt la sanction d’inéligibilité, présentent, à la différence des nouvelles dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 118-3, qui prévoient que l’inéligibilité est désormais prononcée pour une durée maximale de trois ans et qu’elle s’applique à toutes les élections, le caractère d’une loi nouvelle plus douce, immédiatement applicable au litige. Ainsi, en dehors des cas de fraude, le juge de l’élection ne prononce l’inéligibilité d’un candidat que s’il constate un manquement d’une particulière gravité.

Le manquement commis par M. Huchon ne peut être qualifié, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, de manquement d’une particulière gravité. Il ne justifie donc pas que M. Huchon soit déclaré inéligible ni que son élection en qualité de conseiller régional soit annulée. En effet, si M. Huchon a méconnu les dispositions de l’article L. 52 8 du code électoral, qui présentent un caractère substantiel, et entaché son compte de campagne, dans des proportions importantes, d’irrégularité, il est fondé à soutenir qu’il pouvait raisonnablement ignorer, à la date où ce manquement a été commis, que les campagnes de communication organisées par la région d’Ile-de-France constituaient des campagnes de promotion publicitaire, et que les dépenses exposées constituaient, dès lors, une participation de la région au financement de la campagne de la liste qu’il conduisait. Dans les circonstances de l’espèce, il ne saurait donc être regardé comme ayant commis un manquement délibéré aux dispositions de l’article L. 52-8. En outre, ces campagnes de promotion publicitaire ne peuvent être regardées, eu égard notamment à la date à laquelle elles se sont déroulées, comme ayant été de nature à porter atteinte, de manière sensible, à l’égalité entre les candidats.

 

CE, 4 juillet 2011, élections régionales d’Ile-de-France, Mme A., M. M., n° 338033 et 338199