Desserte maritime de la Corse

Décision de justice
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Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille qui avait jugé illégale la délégation de service public 2007-2013.

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L’essentiel

La collectivité territoriale de Corse a conclu une délégation de service public pour  la desserte maritime des cinq ports de Bastia, Ajaccio, Balagne, Porto-Vecchio et Propriano à partir de Marseille avec un groupement constitué de la Compagnie Méridionale de Navigation et de la Société Nationale Corse Méditerranée. Contestant le choix de ces concurrents, la société Corsica ferries avait saisi la juridiction administrative. Par un arrêt du 7 novembre 2011 la cour administrative d’appel de Marseille, a jugé que la convention litigieuse était illégale, pour deux motifs : incompatibilité avec le règlement n° 3577/92 du Conseil de l’Union européenne du 7 décembre 1992 d’une part, et non-conformité à la réglementation sur les aides d’État. En conséquence, elle a enjoint aux parties de résilier la convention le 1er septembre 2012 au plus tard ou de saisir le juge du contrat pour qu’il tire les conséquences de l’illégalité constatée.Saisi en cassation, le Conseil d’État a remis en cause ces deux motifs, en jugeant :- que le droit de l’Union européenne ne s’opposait pas à la conclusion d’une délégation de service public « ligne par ligne » ou « trajet par trajet » pour toute l’année ;- que la clause de renégociation prévue au contrat n’était pas constitutive d’une aide d’État.En conséquence, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel et lui a renvoyé l’affaire.

 

1. Les faits à l’origine de l’affaire et la procédure

 En mai 2006, l’office des transports de la Corse (OTC) a lancé, sous l’égide de la collectivité territoriale de Corse, la procédure de renouvellement de la délégation de service public ayant pour objet la desserte maritime des cinq ports de Bastia, Ajaccio, Balagne, Porto-Vecchio et Propriano à partir de Marseille, pour la période couvrant les années 2007 à 2013. A la suite d’une première annulation de la procédure de passation de la convention de délégation de service public par une décision du Conseil d’État du 15 décembre 2006[1], la collectivité territoriale de Corse avait intégralement repris la procédure.

 Dans le cadre de la nouvelle procédure, la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM), la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN) et la société Corsica Ferries avaient présenté des offres. Après une nouvelle annulation d’une partie de la procédure par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia et une nouvelle phase de négociation, l'assemblée de Corse a décidé, par une délibération du 7 juin 2007, d’attribuer la délégation de service public de la desserte maritime au groupement constitué de la SNCM et la CMN et par une décision du même jour, le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse a signé la convention avec ce groupement.

La société Corsica Ferries a contesté cette décision devant la juridiction administrative. Par un arrêt du 7 novembre 2011 la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Bastia du 24 janvier 2008 ayant rejeté la demande de la société, a annulé les décisions d’attribution et de signature de la délégation de service public et enjoint à la collectivité territoriale de Corse de procéder à la résiliation amiable du contrat à compter du 1er septembre 2012, ou de saisir le juge du contrat dans les six mois de la notification de l’arrêt afin qu’il prenne les mesures appropriées.

 

2. La décision du Conseil d’État

Saisi en cassation par les sociétés CMN et SNCM, le Conseil d’État a annulé cet arrêt, en tranchant deux questions de droit.

a)      Il a d’abord jugé que le droit de l’Union européenne applicable aux contrats de desserte maritime ne s’opposait pas à la conclusion d’une délégation de service public « ligne par ligne » ou « trajet par trajet » pour toute l’année.

La société Corsica Ferries avait contesté avec succès, devant la cour administrative d’appel, l’inclusion dans le périmètre de la délégation de service public des services renforcés liés à la période d’été, avec des fréquences et des capacités supérieures à la période d’hiver.

Le Conseil d’État a rappelé qu’il résultait des dispositions du règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des Etats membres (cabotage maritime), telle qu’interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) dans l’arrêt du 20 février 2001, Asociación Profesional de Empresas Navieras de Líneas Regulares (Analir, affaire C-205/99), que la conclusion d’un contrat de service public ayant pour objet l’attribution à un opérateur économique de prestations de transport maritime est subordonnée à l’existence d’un besoin réel de service public résultant de l’insuffisance des services de transports réguliers, et que ce besoin doit être apprécié et constaté pour chaque ligne ou trajet.

Il a jugé que ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que le besoin réel de service public ainsi exigé soit apprécié globalement pour chaque ligne ou trajet sur l’ensemble de la période d’exécution du contrat ou sur les périodes qu’il distingue, sans qu’il y ait lieu de rechercher si ce besoin est justifié en permanence au cours de cette période ou de ces périodes. Il en a déduit que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en identifiant, pour ce qui concerne les périodes de pointe, un besoin réel de service public distinct de celui concernant le reste de l’année.

 

            b) En deuxième lieu, le Conseil d’État a remis en cause le raisonnement qu’avait tenu la cour pour juger que la délégation de service public en cause comportait une clause constitutive d’une aide d’État.

Le Conseil d’État a jugé que la clause du contrat de délégation de service public prévoyant d’éventuels financements additionnels en cas de modification de l’équilibre du contrat, qui subordonnait l’éventualité d’un concours financier à l’intervention d’une décision de l’autorité compétente de la collectivité territoriale de Corse qui devrait en déterminer la nature, les modalités et le montant, ne pouvait être qualifiée d’aide d’État.

Il a précisé que si la décision que serait éventuellement appelée à prendre la collectivité en exécution de cette clause était susceptible, quant à elle, de constituer une aide d’État et devrait alors, préalablement à son intervention, faire l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne, la circonstance que le contrat puisse ainsi donner lieu à la prise d’une décision par la personne publique dont l’intervention serait subordonnée à une notification préalable à la Commission ne permettait pas, à elle seule, de qualifier cette clause d’aide d’État.

En conséquence, le Conseil d’État a annulé l’ensemble de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille et lui a renvoyé l’affaire.

            3. Les conséquences de la décision du Conseil d’Etat

L’annulation prononcée par le Conseil d’État implique que les parties au contrat ne sont plus tenues d’observer l’injonction qu’avait prononcée la cour administrative d’appel. En attendant que cette dernière se prononce de nouveau sur l’affaire, qui lui a été renvoyée, l’exécution de la délégation de service public peut se poursuivre normalement.

 

CE, 13 juillet 2012, Compagnie méridionale de navigation et société nationale Corse méditerranée, n° 355616, 355622, 358396.

[1] Lien vers le communiqué relatif à cette affaire : http://www.conseil-etat.fr/node.php?articleid=628.