Conseil d'État, 3 novembre 1922, Dame Cachet

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Pouvoir de retrait d'une décision individuelle créatrice de droits

Les faits

Une loi du 9 mars 1918 avait, sous certaines conditions, exonéré les locataires modestes du paiement de leurs loyers, les propriétaires étant indemnisés par l'État. Sur le fondement de ces dispositions, Mme Cachet, dont le locataire avait été exonéré du paiement de ses loyers, demanda le versement de l'indemnité. L'administration ne lui accorda qu'une indemnité partielle, qu’elle contesta par un recours hiérarchique devant le ministre. Ce dernier, estimant que Mme Cachet n'entrait pas dans le champ de cette loi, refusa de lui accorder le taux plein qu'elle demandait et décida de supprimer l'indemnité qui lui avait été initialement accordée. 

Le sens et la portée de la décision

Le Conseil d’État a jugé que l'administration ne peut retirer un acte individuel créateur de droits que s'il est illégal et avant qu’il ne soit devenu définitif. Il liait ainsi les conditions de retrait à celles du recours dont l’acte pouvait faire l’objet.

Par conséquent l’administration pouvait retirer un acte illégal pendant la durée du recours pour excès de pouvoir ouvert contre cet acte, c'est-à-dire, en règle générale, pendant les deux mois qui suivent sa notification ou sa publication, et, lorsque le juge administratif a été saisi, tant qu’il ne s’est pas prononcé. Dans cette deuxième hypothèse, l’administration ne pouvait retirer l’acte illégal que dans la seule mesure de l’annulation demandée par le requérant et sans pouvoir porter atteinte aux droits qu’il a définitivement acquis par le biais de cette décision.

Nonobstant les modifications ultérieures apportées au régime de retrait des actes administratifs, la décision Dame Cachet a fondé le droit applicable en matière de décisions créatrices de droit, en conciliant la nécessité de permettre à l'administration de retirer une décision dont elle s’aperçoit qu’elle est illégale et le souci d'assurer la sécurité juridique des décisions individuelles.

Évolution du délai de retrait d’une décision individuelle illégale créatrice de droits

Par une décision d’Assemblée du 6 mai 1966 Ville de Bagneux (p 303), le Conseil d’État avait jugé que si l’acte illégal n'était pas publié mais seulement notifié à l’intéressé, ce qui est fréquent pour les décisions individuelles, le délai de recours contentieux ne pouvait courir à l’égard de tiers de sorte que l'acte, qui n’était pas devenu définitif, pouvait être retiré à tout moment. Cette jurisprudence pouvait sembler introduire un facteur d’instabilité des décisions individuelles, susceptibles d’être retirées plusieurs années après leur édiction.

 

Aussi le Conseil d’État en a-t-il d’abord restreint l’application aux seules décisions expresses (Sect. 14 novembre 1969, E..., n°74930 p 498) et a-t-il par la suite jugé que l’administration ne pouvait se fonder, pour retirer une décision illégale plus de deux mois après sa notification à l’intéressé, sur la circonstance que l’acte avait été irrégulièrement notifié et qu’il pouvait par conséquent encore faire l'objet d'un recours de l’intéressé en vertu des dispositions du décret du 28 novembre 1983 (Ass., 24 octobre 1997, Mme de L..., n° 123950, p. 371).

 

La jurisprudence Ville de Bagneux a été abandonnée par la décision d’Assemblée Ternon du 26 octobre 2001, par laquelle le Conseil d’État a jugé que l’administration dispose d’un délai maximal de quatre mois à compter de l’édiction d’un acte individuel créateur de droits entaché d’illégalité pour le retirer, que le délai de recours ait ou non couru à l'égard des tiers et que l'acte soit ou non devenu définitif à l'égard de ceux-ci.

3 novembre 1922 - Dame Cachet - Rec. Lebon p. 790

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