Réunion annuelle des présidents des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs - Intervention de Jean-Marc SAUVÉ, Vice-président du Conseil d’État, lors de la réception au Ministère de la Justice le 7 avril 2010.
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Réunion annuelle des présidents
des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs
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Mercredi 7 avril 2010
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Réception au Ministère de la Justice
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Intervention de Jean-Marc SAUVÉ,
Vice-président du Conseil d’Etat
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Madame le Garde des Sceaux,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d’abord, Madame le Garde des Sceaux, vous remercier très chaleureusement d’avoir bien voulu accueillir à la Chancellerie, à l’occasion de la réunion annuelle des chefs de juridiction, l’ensemble des présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Je me réjouis de cette occasion de vous les présenter, et d’échanger avec vous sur la situation de la juridiction administrative, ainsi que sur la démarche engagée pour relever les défis considérables auxquels elle est confrontée. Je vous remercie vivement de l’intérêt que vous marquez pour la juridiction administrative en nous recevant, alors même que votre agenda est particulièrement chargé.
1. Les résultats de l’année 2009 marquent une nouvelle – et significative – étape de l’assainissement de la situation des juridictions administratives.
En première instance, le nombre d’affaires jugées a encore progressé de près de 2%, et les tribunaux administratifs ont une nouvelle fois jugé significativement plus d’affaires qu’il n’en ont enregistré, le « taux de couverture » s’établissant à près de 109%. Il en résulte une réduction et un rajeunissement des stocks d’affaires en instance. Ainsi le délai prévisible moyen de jugement des tribunaux administratifs s’élève désormais à moins de 1 an, s’établissant plus précisément, au 31 décembre 2009, à 11 mois et 25 jours.
En appel, le nombre d’affaires jugées progresse également, de plus de 3,5%. Les cours administratives d’appel renouent ainsi avec l’équilibre, en dépit d’une poursuite de la croissance du nombre d’affaires portées devant elles, et elles stabilisent leurs stocks. Leur délai prévisible moyen de jugement s’améliore aussi, ramené désormais à 1 an et 8 jours.
Enfin, ce même délai, au Conseil d’Etat, s’établit à 9 mois et 15 jours.
Ainsi, globalement, l’objectif majeur assigné à la juridiction administrative par la représentation nationale, qui était de ramener à 1 an le délai prévisible moyen de jugement, est atteint ou en passe de l’être à tous les niveaux.
Il faut bien mesurer le chemin parcours depuis moins de 10 ans : au début des années 2000, ce même délai était de près de 2 ans en première instance, et de plus de 3 ans en appel. Pendant ces mêmes dix années, le contentieux a progressé de 47% en première instance, et de 75% en appel. La réduction spectaculaire des délais de jugement a donc été obtenue au prix d’un effort non moins spectaculaire des magistrats et agents des juridictions administratives, qui s’est traduit par une progression du nombre d’affaires jugées, depuis 2000, de 67% en première instance et de 147% en appel.
Ces résultats tiennent, bien sûr, au renforcement des moyens alloués à la juridiction administrative. Mais ce renforcement n’explique que pour une – petite – moitié les résultats obtenus, l’autre moitié devant à l’engagement remarquable des magistrats et agents de greffe de la juridiction administrative, qui ne s’est pas démenti en 2009, bien au contraire. Je tiens à leur rendre ici un hommage appuyé. Cet hommage va aussi, et j’y insiste particulièrement aujourd’hui, à l’action des présidents de juridiction présents devant vous, dont le talent est essentiel pour assurer la mobilisation des juridictions, aussi bien dans l’urgence, qui marque de plus en plus l’action de nos tribunaux, que dans la durée, essentielle au redressement de fond qui est à l’œuvre.
2. Ce redressement demeure néanmoins fragile, et cela nous invite donc à poursuivre résolument dans la voie des réformes.
2.1. Il est fragile, d’une part, car non encore complètement réalisé dans un certain nombre de juridictions, auxquelles naturellement nous consacrons l’essentiel des moyens nouveaux alloués à la juridiction administrative.
Ces moyens ont permis, ces dernières années, la création de juridictions nouvelles, comme le tribunal administratif de Montreuil que vous nous avez fait l’honneur d’inaugurer le 4 décembre dernier.
Ils permettent aussi, et permettront encore, le renforcement des juridictions les plus sollicitées. Tel est notamment le cas de la Cour nationale du droit d’asile, qui a été confrontée en 2009 à une progression massive du nombre de requêtes (+ 16%). Ces renforts, conjugués à la réorganisation permise par la nomination, en septembre 2009, de dix présidents de formation de jugement exerçant à la Cour à titre permanent, devraient lui permettre, dès 2010, d’améliorer significativement ses résultats.
De manière générale, et c’est la seconde nuance qu’il convient d’apporter au constat global de redressement que je dressais pour commencer, la demande adressée à la juridiction administrative ne devrait pas se relâcher, bien au contraire.
Elle est alimentée par des contentieux nouveaux. Le droit au logement opposable a généré 4800 affaires en 2009 (pour l’essentiel, près de 87%, en Ile-de-France), et pourrait, au vu des tendances observées, atteindre 7000 à 10 000 affaires par an dans les années à venir. Les effets du contentieux du revenu de solidarité active, dans un contexte de démarrage du dispositif un peu plus lent que prévu, sont encore difficiles à prédire, mais pourraient être du même ordre.
La sollicitation du juge est également accrue à raison de procédures nouvelles, telles que, notamment, celle qui permet au justiciable, depuis le 1er mars dernier, de poser une question prioritaire de constitutionnalité. Soyez assurée, à cet égard, de la détermination de la juridiction administrative, à tous les niveaux, pour donner toute sa portée, sans restriction aucune, à cette garantie nouvelle et bienvenue offerte à nos concitoyens.
Le juge administratif, enfin, devrait être davantage encore mis à contribution dans le cadre nouveau que définit le projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration et la nationalité adopté en Conseil des ministres la semaine dernière. Devenant le premier juge que pourra saisir le requérant, saisi de décisions plus complexes encore, son office risque d’être substantiellement alourdi par rapport à celui, déjà riche, qui est le sien à l’heure actuelle.
Confronté à cette demande croissante, le juge administratif ne saurait naturellement sacrifier à l’impératif de célérité, aisément mesurable, l’impératif tout aussi catégorique, et également déterminant pour la qualité de la justice rendue, de sécurité juridique. Nous avons d’ailleurs consacré une partie substantielle de nos échanges, cette année, à une discussion sur le thème de la qualité de la justice administrative, et des manières de l’évaluer. La mesure que nous en avons pour l’instant, qu’il s’agisse du taux d’appel ou des taux d’annulation en appel ou en cassation, même si elle est perfectible, ne révèle pas d’évolution inquiétante. Cependant nous devons certainement progresser dans la formalisation de nos évaluations, pour que chacun, citoyen ou acteur de la justice administrative, puisse s’assurer en toutes circonstances que le service rendu aux justiciables, préoccupation majeure de nos magistrats et agents, est aussi irréprochable qu’ils sont en droit de l’exiger.
2.2. Cet impératif, plus que jamais, doit encourager à poursuivre dans la voie des réformes.
A cet égard, je sais que je n’ai pas besoin de vous convaincre de l’intérêt majeur des recours administratifs préalables obligatoires. Permettant de régler « à l’amiable » certains litiges, ou de traiter sans passer par le juge des questions qui, de fait, pour l’essentiel ne relèvent pas de son office, les « RAPO », partout où ils sont correctement mis en œuvre, profitent aussi bien aux demandeurs qu’à l’administration et au juge. Je vous remercie du soutien que vous apportez à leur extension, et relaie ici fortement le souhait de la juridiction administrative unanime pour que toutes les possibilités, y compris celles qui pourraient être ouvertes à titre expérimental, en soient explorées.
Cet effort de prévention ne permettra pas néanmoins, je le crains, de tarir la progression du contentieux, compte tenu des éléments que j’ai rappelés tout à l’heure. Je me dois donc d’insister sur la nécessité de continuer à allouer aux juridictions les moyens nécessaires à la consolidation du redressement entrepris, en tenant compte des charges nouvelles qui lui sont confiées. Je soulignais l’an dernier les vertus de la programmation triennale 2009-2011, qui a permis d’inscrire la démarche de rénovation de la juridiction administrative dans la durée : la programmation 2011-2013 doit nous permettre de parachever cette rénovation, indispensable à l’efficacité de l’action publique.
Les juridictions prendront naturellement toute leur part de l’effort, comme les résultats dont j’ai dressé tout à l’heure le bilan en attestent. Elles ont su, et sauront encore, faire évoluer leurs méthodes et leur organisation.
Notre volonté, à cet égard, ne fait pas de doute. L’ensemble des réformes réglementaires issues de la réflexion menée, en associant l’ensemble des magistrats et agents de la juridiction administrative, en 2007 et 2008, a désormais été adopté. Le décret du 6 mars 2008 a rénové en profondeur les conditions d’exercice des fonctions consultatives du Conseil d’Etat, et consacré en droit la séparation de fait de ses fonctions consultatives et de ses attributions juridictionnelles. Le décret du 7 janvier 2009, qui a rebaptisé « rapporteur public » l’ancien commissaire du gouvernement, dissipant l’ambiguïté de cette appellation, a aussi formalisé en droit la coutume consistant à informer les parties, avant l’audience, du sens des conclusions du rapporteur public, et ouvert la possibilité pour les parties de reprendre la parole après les conclusions. Enfin, le décret du 22 février 2010 comporte de nombreuses mesures de nature à améliorer le travail du juge et à favoriser le bon déroulement du procès administratif. Outre une répartition plus orthodoxe des compétences de première instance, mentionnons rapidement le renforcement des pouvoirs du juge rapporteur, la refonte de la procédure de l’expertise, la possibilité pour le juge de s’ouvrir à l’avis d’un amicus curiae et la simplification du recours aux formations de jugement élargies, ou encore les dispositions permettant au juge de demander aux parties un mémoire récapitulatif et, surtout, de clore l’instruction avec effet immédiat, dès lors que les parties ont été préalablement avisées de cette possibilité.
A ces évolutions réglementaires s’ajoute celle des pratiques. Ainsi, la clôture d’instruction à effet immédiat vient à l’appui de la démarche plus générale engagée pour favoriser la visibilité et la prévisibilité de l’instruction : à cet égard, les applications informatiques destinées à faciliter l’élaboration de calendriers prévisionnels d’instruction ont été déployées, ces dernières semaines, dans une dizaine de juridictions expérimentatrices.
De façon plus générale, nous devons mettre pleinement à profit les possibilités ouvertes par les nouvelles technologies. L’application « Sagace » permet déjà aux requérants et à leurs avocats de suivre en ligne l’avancement de leurs dossiers. Les « téléprocédures », quant à elles, permettent aux parties d’échanger avec les juridictions sous format électronique : expérimentées avec succès, en matière fiscale, dans les juridictions d’Ile-de-France, elles devraient pouvoir être généralisées à l’ensemble du territoire et des contentieux à partir de l’année prochaine. Nous avons consacré toute la matinée de ce mercredi au thème de la dématérialisation du travail juridictionnel : le juge administratif, fidèle à son engagement déjà ancien dans ce domaine, entend bien se maintenir aux avant-postes de la réflexion et de la pratique en matière d’utilisation des nouvelles technologies.
Prévention du contentieux évitant d’inutiles saisines du juge, et réformes lui permettant d’agir plus efficacement, de faciliter l’accès et de réduire l’attente des justiciables, de rendre la procédure plus visible et plus prévisible : l’ensemble de ces évolutions vise un but et un seul, préserver la qualité de la justice que nous rendons, essentielle à la légitimité de la juridiction administrative comme à son bon fonctionnement.
Cet objectif est aussi au cœur des réformes législatives que nous appelons de nos vœux.
Certaines, d’ordre procédural, sont destinées à permettre au juge de mieux proportionner son effort aux enjeux des affaires qui lui sont soumises. Tel est le cas de la mesure dispensant le rapporteur public, dans certaines matières très balisées par la jurisprudence, de prononcer systématiquement des conclusions. Tel serait aussi le cas de l’introduction en contentieux administratif d’une procédure d’action collective, qui simplifierait grandement le traitement d’affaires dites de « série », qui présentent toutes à juger la même question de droit.
Les réformes législatives en préparation doivent aussi consolider le statut des juges administratifs en consacrant de façon explicite leur qualité de magistrat et en confortant les principes gouvernant leur recrutement, leur formation, leur affectation, leur évaluation et leur avancement. Elles permettront également de renforcer l’unité de la juridiction administrative, notamment en accroissant le nombre de magistrats administratifs nommés au Conseil d’Etat au tour extérieur ou en formalisant l’existence d’un collège de déontologie commun.
Je vous remercie, Madame le Garde des Sceaux, du soutien que vous apportez à ces réformes, tel que vous l’avez par exemple formulé le 4 décembre dernier à Montreuil. Leur adoption rapide est essentielle pour conforter à la fois l’efficacité de la justice administrative dans son action quotidienne et sa place dans la Cité.
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Cette place est fondamentale. La mission du juge administratif, qui est tout à la fois de veiller à la qualité de la gouvernance publique, de garantir les droits et les libertés des citoyens et, plus largement, des justiciables, et enfin d’exprimer et de faire respecter l’intérêt général, est en effet essentielle dans une société démocratique.
Je suis fier de pouvoir affirmer ici que le juge administratif français remplit cette mission dans les meilleures conditions. J’en parle à la lumière des échanges approfondis que nous développons avec nos homologues, aussi bien au niveau de l’Union européenne, où nous sommes les uns et les autres gardiens d’un ordre juridique commun, qu’au niveau international, où nous confrontons nos pratiques avec l’ensemble des juges qui assurent le contrôle de l’action de l’administration, y compris en régime de « common law ». Accès au juge, célérité de son intervention, sécurité juridique de ses décisions : la justice administrative française n’a pas à rougir de la comparaison, bien au contraire, et ces échanges, démentant par l’exemple certains préjugés, contribuent aussi à la défense de notre modèle juridique.
Ce modèle, c’est un ensemble de principes, une indépendance, une jurisprudence dont nous sommes les héritiers et les gardiens, mais qu’il nous faut aussi, avec un mélange de prudence et d’audace, adapter aux exigences de notre temps.
Nous y sommes résolus, et je puis, en tout état de cause, vous assurer de l’entier dévouement des chefs de juridiction ici rassemblés au service public de la justice administrative qui leur est confié.