La démocratie environnementale aujourd'hui

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé lors du premier colloque du nouveau cycle de conférences du Conseil d’État : La démocratie environnementale.

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Les conférences du Conseil d’Etat

Cycle 2011-2012 : La démocratie environnementale aujourd’hui

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Conférence inaugurale du cycle

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Mercredi 17 novembre 2010

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Intervention de Jean-Marc Sauvé [1]

vice-président du Conseil d’Etat

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En bâtissant les fondements d’une démocratie économique et sociale, le Constituant de 1946 s’est donné pour mission de « prolonger l’œuvre des grands Républicains de la Révolution française » [2]. Il a ainsi contribué à traduire dans le droit une certaine vision de la démocratie : celle d’un système de gouvernement dans lequel la participation de chacun procède non seulement d’un geste politique, le suffrage, mais aussi d’une « philosophie de la vie » [3], qui soit à même de s’exprimer concrètement et de manière continue dans tous les domaines de l’action publique [4].

Bien que plus tardive, la notion de démocratie environnementale procède de cette même philosophie : celle d’une démocratie dans laquelle des formes participatives de gouvernement complètent l’expression éminente, essentielle, durable, mais aussi ponctuelle et générale du suffrage politique. Sa construction s’inscrit ainsi dans une évolution plus globale d’approfondissement de la démocratie dite « administrative », qui complète et enrichit la pratique démocratique dans son ensemble.

Partant, l’organisation, par le Conseil d’Etat, d’un nouveau cycle de conférences consacré à la démocratie environnementale s’explique d’elle-même. La juridiction administrative, comme juge de l’administration, et le Conseil d’Etat, comme conseiller juridique du Gouvernement et du Parlement, jouent un rôle essentiel à la fois dans le processus de création du droit de l’environnement et dans l’application de ce droit, mais aussi dans la réflexion sur l’évolution de la gouvernance publique.

Dans cette réflexion, le développement de la transparence et celui de la participation du public à l’élaboration des décisions administratives occupent une place essentielle. Je puis d’ailleurs l’annoncer : les considérations générales du rapport public du Conseil d’Etat de 2011 qui auront pour titre « consulter autrement, participer effectivement », seront consacrées à ces thèmes.

Le cycle de conférences sur la démocratie environnementale accompagne directement la préparation de cette étude. Dans un domaine de l’action publique, celui de la protection de l’environnement, où les formes de consultation et de participation du public sont particulièrement développées, ce cycle permettra d’approfondir les principales questions posées par la construction de la démocratie administrative, en en débattant avec l’ensemble des partenaires de la juridiction administrative –administrations, universités, barreaux- mais aussi avec des personnalités du monde scientifique et des représentants de la société civile.

La notion de démocratie environnementale est en effet une composante importante du développement de la démocratie administrative et, partant, une source de renouvellement du pacte social.

Elle traduit l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté, dont l’objet –non sans un certain paradoxe- n’est pas tant le gouvernement de la cité que la participation de chacun à la détermination de la chose publique (I).

Mais pour que cette nouvelle forme de citoyenneté contribue pleinement à enrichir la démocratie, sa pratique doit encore être développée à l’aune des modalités concrètes et des principes qui guident la démocratie politique (II).

 

I. La notion de démocratie environnementale traduit l’émergence d’une citoyenneté de la chose publique.

A.- La démocratie environnementale repose essentiellement sur l’affirmation de deux droits nouveaux : le droit d’information et celui de participation, qui figurent tous deux à l’article 7 de la Charte de l’environnement [5]. Ces droits sont des « droits de citoyenneté » [6], selon la formule du professeur Gilles Dumont, en ce sens que leur exercice, à l’instar de la citoyenneté que l’on pourrait qualifier de « politique », relève d’une démarche de légitimation de l’action publique.

1.- Tel est le cas des procédures administratives au travers desquelles le public participe à la formation de la décision administrative et donc d’une expression de l’intérêt général.

Ces procédures sont particulièrement développées, lorsqu’il s’agit de préparer et de mettre en œuvre des projets particuliers. L’enquête publique, par exemple, s’impose aujourd’hui préalablement à tous les projets ayant une incidence sur l’environnement [7]. Son objet est de permettre au public de se prononcer sur « l’opportunité d’un projet » [8]. Il en va de même de la procédure de concertation, originellement liée au droit de l’urbanisme [9], mais qui trouve aujourd’hui des prolongements dans le domaine du droit de l’environnement, soit lorsqu’aucune autre procédure participative n’est prévue [10], soit par exemple dans le cadre de l’élaboration des études d’impact [11]. La formulation même de l’article L. 123-16 du code de l’environnement, qui concerne les études d’impact, exprime de manière éclairante l’objet de cette procédure, qui est d’associer le public à l’élaboration du projet – c’est-à-dire à la détermination de l’intérêt public qui s’attache à sa réalisation. Le débat public, enfin, organisé à l’occasion de la préparation des projets publics ou privés qui ont des « impacts significatifs sur l'environnement » [12], a pour objet même « la participation du public […] pendant toute la phase d'élaboration » [13] de ces projets. Cette notion de « participation », comme l’idée même de « débat », attestent la relation évidente entre la procédure de débat public et la pratique démocratique. Comme l’écrivait Victor Hugo [14], « Placez une tribune au centre du monde, et avant peu, aux quatre coins de la terre, la République se lèvera ».

Tout autant que lors de la mise en œuvre de projets particuliers, l’application du principe de participation à la procédure d’élaboration des actes réglementaires illustre la dynamique de la démocratie environnementale, qui conduit à associer le public à la détermination de l’intérêt général. Lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement –dit « Grenelle 1 »-, l’assemblée générale du Conseil d’Etat a en effet adopté, conformément à la lettre et à l’esprit de la Charte de l’environnement, une interprétation à la fois large et pragmatique de la notion de « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » qui figure à l’article 7 de cette Charte. Elle a estimé que cette notion recouvrait effectivement les actes de nature réglementaire, y compris, le cas échéant, les ordonnances [15], mais que l’exigence que la décision ait un « effet sur l’environnement » excluait de cette catégorie de décisions les textes à vocation uniquement procédurale [16]. La loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 a consacré cette pratique, en introduisant dans le code de l’environnement un article L. 120-1 qui prévoit désormais que « les décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement » [17].

2.- Le second « droit de citoyenneté » sur lequel se fonde la démocratie environnementale, le droit d’information dont bénéficie le public, contribue lui aussi, de manière parallèle, à la légitimation de l’action publique.

Ce droit d’information est en effet particulièrement large dans le domaine de l’environnement. L’atteste la définition étendue de la notion d’« informations relatives à l’environnement » auxquelles le public dispose d’un droit d’accès [18], mais aussi l’inapplicabilité, en matière d’environnement, de la notion de document préparatoire. Attestent également ce caractère large du droit d’accès les obligations d’information renforcées qui pèsent sur les collectivités publiques en ce domaine, en particulier du fait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme issue de son arrêt du 19 février 1998, Guerra c/ Italie [19].

La conséquence en est un renforcement du contrôle susceptible d’être exercé par le public sur l’action de l’administration. Ce droit d’accès s’apparente en effet à un véritable « droit de regard » des citoyens sur la mise en œuvre de l’intérêt général par l’administration. Il est ainsi une traduction concrète du principe –démocratique- de responsabilité de l’administration formulé par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce droit d’accès élargi permet également de renforcer le pouvoir de contrôle des citoyens-administrés sur la mise en œuvre de l’intérêt général : de fait, il rend plus aisé l’exercice, contre les décisions administratives, du recours pour excès de pouvoir, dont la définition comme « recours d’utilité publique » prend alors tout son sens.

B.- Sous l’effet de ces nouveaux droits de citoyenneté, la démocratie environnementale conduit à l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté.

L’idée de citoyenneté, sur laquelle repose la démocratie dite « politique », est à l’origine le corollaire, y compris au sens étymologique, de l’exercice de la souveraineté, c’est-à-dire de la participation au gouvernement de la cité. En ce sens, la citoyenneté, telle qu’elle s’est construite dans un cadre étatique, est intrinsèquement liée à la détention de droits civils et politiques, dont la jouissance est indissociable de l’appartenance à une nation [20].

La nouvelle forme de citoyenneté qui s’exprime dans la démocratie environnementale diffère de cette citoyenneté politique.

1.- Elle en diffère, en premier lieu, en ce qu’elle n’est pas liée, du moins pas directement, à l’exercice de la souveraineté nationale, même si l’Etat en est, bien évidemment, le lieu principal d’expression. Les droits de participation et de transparence, qui sont au cœur de la démocratie environnementale, procèdent en effet directement de la notion même d’environnement : ils sont la contrepartie, ou plutôt le prolongement, du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » affirmé par l’article 1er de la Charte de l’environnement, mais aussi du « devoir » de toute personne « de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », exprimé à l’article 2 de la Charte. La citoyenneté environnementale n’est donc pas liée à l’exercice de la souveraineté, mais à la seule existence d’un bien public, d’un « patrimoine commun des êtres humains ». En ce sens, elle est une citoyenneté de la chose publique.

2.- Par nature, cette nouvelle forme de citoyenneté est dissociée de la citoyenneté « politique », dans la mesure où les droits qui en sont l’expression ne sont pas, à la différence des droits politiques, des droits liés à la constitution de la société politique dans le cadre de l’Etat et ne sont donc pas des droits conférés par l’Etat ou inhérents à lui. Ils sont en effet des droits fondamentaux, dont chaque être humain dispose et qu’il peut opposer à la puissance publique. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’Etat en reconnaissant la valeur constitutionnelle de l’article 7 de la Charte de l‘environnement [21]. Le caractère de droits fondamentaux des principes de participation et de transparence procède en outre de leur reconnaissance par des conventions internationales relatives à l’environnement, comme celle signée à Aarhus le 25 juin 1998 [22], dont les paragraphes 2, 3 et 7 de l’article 6 sont d’application directe [23]. Ces derniers imposent aux autorités publiques, notamment, d’informer le public comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, lorsqu’un processus décisionnel touchant l’environnement est engagé.

En tant que droits fondamentaux, ces nouveaux droits de citoyenneté sont donc attribués à « toute personne », indépendamment de sa nationalité, à la différence de la citoyenneté « politique ». L’atteste la notion de « public » auquel s’adressent les mesures d’information et de participation. Cette notion se définit uniquement par référence à l’ intérêt des personnes concernées par les procédures décisionnelles en matière d’environnement. Cela ressort, notamment, de la décision du Conseil d’Etat du 6 juin 2007, Association Le réseau sortir du nucléaire [24]. Cela ressort également de l’article 1er de la directive du 27 juin 1985 [25].

 

II. La pratique de la nouvelle forme de citoyenneté qui fonde la démocratie environnementale doit encore être développée, à l’aune des modalités concrètes et des principes qui guident la démocratie politique.

Cette nouvelle forme de citoyenneté qui fonde la démocratie environnementale ne remplace pas la citoyenneté politique. Sa vocation est au contraire de la compléter et de contribuer ainsi à un « enrichissement du pacte social » [26]. Pour cela, à l’aune des modalités concrètes d’organisation et des principes qui guident la démocratie politique, la pratique de cette nouvelle citoyenneté doit encore être enrichie, afin de la rendre plus effective et afin qu’elle mette pleinement en œuvre le principe d’égalité.

A.- Rendre plus effective la pratique de la démocratie environnementale, cela suppose notamment de réfléchir à deux aspects du dispositif normatif actuel dont la vocation est de traduire dans les faits le droit d’information et celui de participation du public.

1.- Le premier de ces aspects est celui de la nature exacte de la participation du public, en particulier à l’occasion des procédures que sont l’étude d’impact, la concertation et le débat public. La vocation de ces procédures, je l’ai évoqué, est bien d’associer le public à l’élaboration de la décision publique et donc à la détermination de l’intérêt général. Mais, dans une certaine mesure, la mise en œuvre de ces procédures ou, à tout le moins, de certaines d’entre elles ne s’apparente-t-elle pas plutôt à une simple consultation, c’est-à-dire à un « mode de communication à sens unique » [27] dont l’objet serait avant tout de permettre à l’administration de connaître les intérêts sectoriels, catégoriels, des personnes concernées ? La question se pose notamment en ce qui concerne la procédure d’enquête publique, parfois jugée « trop tardive » dans le processus d’élaboration de la décision, mais elle peut aussi se poser, à certains égards, en ce qui concerne les effets juridiques du débat public sur le processus décisionnel [28]. A cet égard, la question du moment auquel ces procédures d’association du public interviennent dans le processus de décision est une question essentielle [29]. Mais à l’inverse, est-ce que favoriser des pratiques de co-décision entre l’administration et le public ne risquerait pas de créer des difficultés en termes de sécurité juridique ? Cela ne risquerait-il pas également de ralentir de manière excessive, voire de bloquer le processus de décision, au détriment d’autres intérêts publics, voire de légitimes intérêts économiques [30]?

2.- Le second aspect qui détermine l’effectivité de la démocratie environnementale est celui de l’utilité de l’information auquel le public a de droit accès. Il pose la question, tout d’abord, de l’exercice concret du droit d’accès aux informations environnementales. Un certain nombre d’obligations particulières pèsent en la matière sur les collectivités publiques, comme celle tenant à ce que les informations soient « précises et tenues à jour », ou l’obligation d’établir un répertoire des informations relatives à l’environnement en leur possession [31]. En outre, le caractère effectif de l’accès aux informations environnementales est garanti par l’existence de plusieurs institutions et, parmi elles, notamment la Commission d’accès aux documents administratifs [32]. Pourtant l’effectivité du droit d’accès semble pouvoir être questionnée, du fait notamment de la « faiblesse » des données générales de nature environnementale et de leur « très grande dissémination dans de nombreux organismes », mais aussi d’une certaine « culture du secret ». Ces facteurs sont soulignés par le rapport de la mission conduite par Mme Corinne Lepage sur la gouvernance écologique, remis au ministre chargé de l’environnement le 7 janvier 2008 [33]. Conviendrait-il alors, comme le propose ce rapport, de « revoir » le régime de la communication des informations environnementales, en dotant par exemple la CADA d’un pouvoir de décision, sur le modèle de « l’information commissionner office » britannique ? Ces points méritent à tout le moins d’être débattus.

La question de l’utilité de l’information environnementale conduit également à s’interroger, eu égard à la complexité et à l’aspect souvent très technique de cette information, sur l’opportunité de renforcer les mises en œuvre concrètes du principe posé par l’article 8 de la Charte de l’environnement. Cet article dispose que « l'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». Si le droit de participation est un droit de citoyenneté, n’appartient-il pas à la collectivité publique de favoriser, par une « éducation civique », son exercice libre et éclairé par chacun des citoyens ?

B.- La question de l’éducation renvoie directement à un principe fondamental de toute expression de la démocratie, celui d’égalité. « Un peuple qui se gouverne lui-même est [en effet] un peuple où les citoyens sont égaux devant la loi et où les inégalités de fait ne rendent pas purement théorique cette égalité en droit » [34]. Or à cet égard, la démocratie environnementale peut apparaître encore en construction.

1.- Pour que celle-ci contribue pleinement à enrichir le pacte social, son expression doit s’inscrire, tout d’abord, dans des règles de représentativité qui garantissent la libre et égale expression de chacun. Ces règles doivent s’appliquer aux structures et organismes publics qui permettent au public de participer au débat. Ainsi, l’idée d’une meilleure représentativité du public n’a pas été étrangère à la réforme de la composition de la Commission nationale du débat public par la loi dite « Grenelle 2 » [35]. Celle-ci comprend désormais des représentants des cinq collèges constitutifs de chacun des groupes de travail du Grenelle de l’environnement. Mais la question de la représentativité se pose également à propos des associations qui interviennent dans les procédures de concertation du public. De fait, la loi leur accorde un rôle important dans les procédures de concertation, rôle qui peut à certains égards être rapproché de celui que l’article 4 de la Constitution attribue aux partis et groupements politiques, celui de concourir « à l'expression du suffrage ». Il importe donc, à la suite notamment du rapport du comité opérationnel du Grenelle de l’environnement sur ce thème, de définir précisément les critères de cette représentativité, dont le principe est désormais consacré à l’article L. 141-3 du code de l’environnement [36].

2.- Plus généralement, enfin, l’exercice effectif de cette nouvelle forme de citoyenneté dans le domaine de l’environnement doit être mesuré à l’aune des traductions concrètes du principe d’égalité dans le domaine de la démocratie politique. Au regard des modalités d’organisation d’un suffrage électoral, par exemple, les procédures qui prévoient la participation du public dans le domaine de l’environnement offrent-elles des garanties suffisantes pour permettre à chaque personne de faire valoir son droit à la participation et à l’information ? A cette question, les évolutions en cours qui conduisent à favoriser la diffusion de l’information et la pratique de la participation au moyen des nouvelles technologies offrent peut-être des perspectives de réponse qui doivent être explorées.

* * *

La démocratie environnementale s’inscrit dans un mouvement plus vaste d’approfondissement de la pratique démocratique dans son ensemble, voire même de la « démocratie providentielle », selon l’expression de Madame le professeur Dominique Schnapper. La nouvelle forme de citoyenneté dont elle permet l’expression, qui procède directement de l’existence même de la chose publique, complète de manière continue et concrète, sans lien avec l’idée de souveraineté, l’expression de la citoyenneté politique entre deux manifestations du suffrage.

Mais la démocratie environnementale n’est pas encore achevée. Sa mise en œuvre concrète suscite encore, à l’heure actuelle, de nombreuses interrogations, auxquelles ce cycle de conférences qui lui est consacré doit tenter d’apporter des réponses. Cette première conférence va ainsi permettre de présenter le cadre juridique et sociologique de la démocratie environnementale. Je remercie chaleureusement Madame le professeur Dominique Schnapper et Monsieur le doyen Gilles Dumont de leur participation. La prochaine conférence, qui se tiendra le 22 décembre prochain, aura pour thème « les sources de la démocratie environnementale ». Elle réunira le professeur Michel Prieur, Mme Karine Foucher et M. Benoît Jadot. D’autres conférences viendront ensuite, qui seront consacrées plus particulièrement à la portée de l’information environnementale, aux études d’impact, aux enquêtes publiques et au débat public. Je tiens à saluer et à remercier la section du rapport et des études, en particulier son président, Olivier Schrameck, qui a accepté d’être le modérateur de la conférence d’aujourd’hui, et le conseiller d’Etat Yann Aguila, pour le programme substantiel de conférences qu’ils nous proposent et pour l’énergie qu’ils ont déployée afin que le nouveau cycle consacré à la démocratie environnementale puisse voir le jour.

 

1. Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat.

2. P. Coste-Floret, rapporteur général du projet de la Commission de la Constitution, Séance du 20 août 1946, JOAN p. 3184, cité par G. Vedel, Démocratie politique, Démocratie économique, Démocratie sociale, in Droit social, Fascicule XXXI. -1947, p. 45.

3. Idem.

4. Le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, affirmé au point 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en est l’une des manifestations les plus évidentes.

5. Charte de l’environnement, article 7 : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».

6. G. Dumont, La citoyenneté administrative, thèse de doctorat, Université de Paris II Panthéon-Assas, 2002 , p. 213.

7. En application des articles L. 123-1 et suivants du code de l’environnement

8. L’utilité publique aujourd’hui. Etude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 25 novembre 1999. La documentation française, EDCE, Paris, 1999, p. 23

9. L’article L. 300-2 du code de l’urbanisme prévoit une concertation obligatoire pour la création des zones d’aménagement concerté, mais aussi pour l’élaboration ou la révision des schémas de cohérence territoriale, des plans d’occupation des sols et des plans locaux d’urbanisme.

10. Code de l’environnement, article L. 123-16 : « A défaut de dispositions plus précises prévues par le présent chapitre ou par les dispositions législatives particulières applicables au projet, la personne responsable d'un projet, plan ou programme ou décision mentionné à l'article L. 123-2 peut procéder, à la demande le cas échéant de l'autorité compétente pour prendre la décision, à une concertation préalable à l'enquête publique associant le public pendant la durée d'élaboration du projet, plan, programme ou décision ».

11. Code de l’environnement, article L. 122-1-2 (sur les études d’impact) : « A la demande du pétitionnaire ou maître d'ouvrage, l'autorité compétente pour prendre la décision organise une réunion de concertation avec les parties prenantes locales intéressées par ce projet afin que chacune puisse faire part de ses observations sur l'impact potentiel du projet envisagé ».

12. Article L. 121-1 du code de l’environnement.

13. Article L. 121-1 du code de l’environnement : « (…) La participation du public peut prendre la forme d'un débat public. Celui-ci porte sur l'opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales du projet. (…)/La participation du public est assurée pendant toute la phase d'élaboration d'un projet, depuis l'engagement des études préliminaires jusqu'à la clôture de l'enquête publique (…)./En outre, la Commission nationale du débat public veille au respect de bonnes conditions d'information du public durant la phase de réalisation des projets dont elle a été saisie jusqu'à la réception des équipements et travaux (…) ».

14. Victor Hugo, Napoléon le Petit, livre cinquième, le Parlementarisme, W. Jeffs, la librairie étrangère de la famille royale, Londres, 1862, p. 159.

15. La question des ordonnances a été réservée par l’Assemblée générale lors de l’examen du projet d’ordonnance relatif à la création d’un régime d’autorisation simplifiée applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement, dès lors « qu’en tout état de cause », compte tenu de l’ampleur des concertations mises en œuvre par le Gouvernement, dans le cadre de son élaboration, les exigences de l’article 7 n’avaient pas été méconnues. Cf Conseil d’Etat, rapport public 2010, p. 93.

16. N’est ainsi pas regardé comme une décision publique ayant une incidence sur l’environnement le décret pris pour l’application de l’article L. 123-1 du code de l’environnement, qui précise suffisamment les règles applicables à la définition des seuils et critères techniques servant à identifier les opérations devant être précédées d’une enquête publique, ni une ordonnance qui se borne à mettre en place des procédures coercitives et des sanctions pour assurer l’effectivité de dispositions substantielles préexistantes, résultant du règlement (CE) no 1013/2006 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets. En revanche, sont regardées comme des décisions pour lesquelles la consultation du public est nécessaire celles qui ont un impact direct sur l’environnement : l’Assemblée générale a ainsi admis que les arrêtés ministériels fixant les prescriptions générales applicables aux différentes catégories d’installations classées et les décrets de nomenclature, qui en fixent le champ, sont des décisions au sens de l’article 7. De même, les décisions du préfet délivrant l’enregistrement des ICPE, comme les décisions d’autorisation pour les installations qui y sont soumises, constituent des décisions relevant de l’article 7. (Voir sur ce point le rapport d’activité 2010 du Conseil d’Etat, p. 93 et sq.)

17. Article L. 120-1 du code de l’environnement : « Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement. Elles font l'objet soit d'une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, selon les modalités fixées par le II, soit d'une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, selon les modalités fixées par le III ».

18. Cf sur ce point l’article L. 124-2 du code de l’environnement.

19. CEDH, Guerra c/ Italie, 19 fev 1998 : La Cour a estimé que l’Etat défendeur, en ne procurant pas aux demandeurs des « informations essentielles » qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour eux du fait de continuer à résider dans une commune exposée à des risques d’accidents d’une installation classée, a « failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention »

20. C’est ce qu’exprime en France l’article 3 de la Constitution qui, après avoir rappelé que la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, précise que « sont électeurs […] tous les nationaux français majeurs […] jouissant de leurs droits civils et politiques ».

21. CE ass. 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, rec. p.

22. Voir également sur ce point la directive 85/337/CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement. Voir également le principe n°10 de la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement,: « La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré ».

23. CE Juge des référés, 9 mai 2006, Fédération transpyrénéenne des éleveurs de montagne, n° 292398, p. 236 et CE 6 juin 2007, Commune de Groslay et autres</INT>, n° 292942 293109 293158.

24. CE 6 juin 2007, Association Le réseau sortir du nucléaire</INT> , n° 292386, rec.

25. Article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985, dans sa rédaction issue de la directive 2003/35/CE du 26 mai 2003. Il définit la notion de « public concerné » indépendamment de toute référence à l’idée de nationalité, comme « le public qui est touché ou qui risque d'être touché par les procédures décisionnelles en matière d'environnement (…) ou qui a un intérêt à faire valoir dans ce cadre »

26. J.-M. Février, Les principes constitutionnels d’information et de participation. Environnement n° 4, avril 2005, comm. 35.

27. P. Idoux, Les eaux troubles de la participation du public, op. cit. idem.

28. Voir notamment B. Delaunay, Le débat public, AJDA 2006, p. 2322 et sq.

29. En témoignent les exigences qui figurent, par exemple, à l’article 8 de la Convention d’Aarhus, celles d’une participation « effective » du public durant la phase d’élaboration d’instruments juridiques contraignants, « à un stade approprié – et tant que les options sont encore ouvertes- ».

30. A propos de « l’alourdissement et de la lenteur des processus décisionnels » dont le débat public est la cause, voir par exemple P. Vialatte, Dix ans de débat public. Un bilan global positif. Environnement n°12, décembre 2007, étude 13.

31. Voir sur ces deux points l’article L. 124-7 du code de l’environnement.

32. Dont la saisine est un recours préalable obligatoire avant l’exercice d’un recours contentieux en cas de refus de communication. Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal, article 20.

33. Voir également L. Fonbaustier, Commentaire de la partie I du rapport Lepage : le droit à l’information environnementale, Environnement n°4, avril 2008, dossier 3.

34. G. Vedel, Démocratie politique, Démocratie économique, Démocratie sociale, op. cit. idem p. 46.

35. loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, article 246.

36. Code de l’environnement, article L. 141-3 : « Peuvent être désignés pour prendre part au débat sur l'environnement qui se déroule dans le cadre des instances consultatives ayant vocation à examiner les politiques d'environnement et de développement durable, sans préjudice des dispositions spécifiques au Conseil économique, social et environnemental :/- les associations œuvrant exclusivement pour la protection de l'environnement ; /- les associations regroupant les usagers de la nature ou les associations et organismes chargés par le législateur d'une mission de service public de gestion des ressources piscicoles, faunistiques, floristiques et de protection des milieux naturels ;/- les associations œuvrant pour l'éducation à l'environnement ;/- les fondations reconnues d'utilité publique ayant pour objet principal la protection de l'environnement ou l'éducation à l'environnement./ Ces associations, organismes et fondations doivent respecter des critères définis par décret en Conseil d'Etat eu égard à leur représentativité dans leur ressort géographique et le ressort administratif de l'instance consultative considérée, à leur expérience, à leurs règles de gouvernance et de transparence financière ».