Discours de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, à l'occasion de la seconde conférence du cycle dédié aux 80 ans de la Sécurité sociale

Par Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat [1]
Discours
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80ème anniversaire de la Sécurité sociale

Discours prononcé par Didier-Roland Tabuteau à l'occasion des Entretiens du droit social qui se sont déroulés le 21 mai 2025 sur le thème "Financement de la Sécurité sociale : comment garantir la solidarité ?".

Mesdames et Messieurs les présidents,

Mesdames et Messieurs les représentants des partenaires sociaux et de l’administration,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Chers amis,

Je suis très heureux d’ouvrir ce deuxième temps des entretiens du droit social que nous consacrons cette année aux 80 ans de la Sécurité sociale.

Après avoir étudié fin mars dernier les liens qu’entretient la sécurité sociale avec les partenaires sociaux d’une part, et le Conseil d’État d’autre part, et avant de nous intéresser en octobre prochain à la question de la sécurité sociale et du juge, nous nous retrouvons ce soir pour échanger sur la question du financement de la sécurité sociale.

C'est évidemment une question fondamentale lorsque les prévisions de dépense des administrations de sécurité sociale s'établissent en 2024 à 26,8 % du PIB selon l'article liminaire de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025[2].

Mais au-delà de son poids économique, le financement de la Sécurité sociale traduit des choix fondamentaux tant dans l'étendue des protections qu'elle offre que dans les logiques qu'elle met en œuvre pour assurer cette protection.

La Sécurité sociale, depuis sa création, a connu des transformations de grande ampleur qui se sont accompagnées d’une complexification de ses modalités de financement.

S’interroger sur le financement de la Sécurité sociale, c’est poser la question de ses recettes mais aussi de son solde. Plus souvent son déficit que son excédent : le fameux « trou de la Sécurité sociale ».  En oubliant souvent que l’agrégat significatif, c’est le solde de l’ensemble État et Sécurité sociale tant les relations financières entre les deux sont enchevêtrées.

Souvenons-nous aussi que cette problématique du déficit était déjà présente lors de la création de la Sécurité sociale. En 1950, le déficit du régime général était ainsi de 33 milliards d’anciens francs pour 492 milliards d’anciens francs de recettes, soit 7%[3], alors qu’il en représente moins de 3% aujourd’hui[4]. Mais ce déficit s’expliquait largement par la dynamique d’un système en construction.

Les dépenses croissaient logiquement avec le nombre des pensionnés ou l’évolution de l’offre de soin. Si le niveau de déficit est moins élevé en pourcentage par rapport aux recettes, le contexte lui donne une acuité particulière, avec un croissance économique modérée, la persistance d'une dette sociale élevée et une dynamique démographique particulièrement retenue.

 Mais je ne veux pas préempter le débat d’aujourd’hui.  Je voudrais plutôt en guise d’introduction partager avec vous cinq constats ou réflexions afin de resituer ce débat dans une perspective plus large.

I – D’abord souligner la croissance exceptionnelle de la part de la richesse nationale consacrée à la Sécurité sociale

Il faut bien sûr revenir à la part de ses prélèvements dans la richesse nationale, plus d’un cinquième alors qu'elle était de l’ordre de 5 à 6 % au début des années 1950[5]…  S'agissant de la seule assurance maladie, la part de remboursement des soins qu’elle représente est passée de 1,25% du PIB[6] à 7 % en 2023[7] soit une multiplication par 5.

Ce pourcentage et son évolution témoignent d’une volonté collective exceptionnelle de construire un système de protection contre les risques de la vie. Plusieurs générations ont ainsi fait le choix de cotiser pour des régimes qui, à leur origine, ne leur apportaient qu'une protection très limitée.

Il faut se souvenir que l'accès aux soins était particulièrement difficile dans la France de l'après-guerre : il y avait moins de 30 000 médecins en 1946[8] contre plus de 230 000 en 2023[9], la pharmacopée était très limitée et, en ce qui concerne les régimes de retraite, peu avaient cotisé pour en bénéficier. En 1950, la part des prestations familiales était ainsi presque aussi importante que celles cumulées de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse : 204 Mds d’anciens francs contre 228 Mds d’anciens francs[10]. Depuis lors, la montée en puissance des régimes de retraite et le développement du système de santé ont eu pour conséquence de réduire la part relative des allocations familiales qui ne représentaient plus que 9 % des dépenses de Sécurité sociale en 2024, soit 58 milliards d'euros sur les 643 milliards de dépenses prévues pour 2024 par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025[11].

II- Deuxième constat, ces décennies ont vu la translation d'une protection par les revenus vers une protection par les services

Les premiers régimes d'aide sociale, puis les assurances sociales ont répondu à la volonté d'établir une protection contre les risques de la vie par l’octroi d’aides ou de revenus. L'exposé des motifs de l'ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale la définit d'ailleurs ainsi : « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu'en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ».

C'est « l’élimination de l’incertitude du lendemain[12] » pour reprendre les mots de Pierre Laroque.

Dans la construction de 1945, cette protection repose pour l'essentiel sur l'attribution d'allocations pour faire face aux charges de famille et, pour les assurances sociales qui sont intégrées dans la Sécurité sociale, sur des revenus de remplacement en cas de maladie, d’invalidité ou de vieillesse.

On en retrouve la marque dans le troisième alinéa de l'article L. 111-1 du code de la Sécurité sociale en vertu duquel la Sécurité sociale « garantit les travailleurs contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus »

L'analyse des chiffres est à cet égard éclairante. Si l'on reprend les données publiées par l'association pour l'étude de l'Histoire de la Sécurité Sociale[13] et les chiffres du rapport au président de la République sur l'application de la législation de Sécurité sociale de 1952[14], les prestations en espèces, c'est-à-dire pour l'essentiel les indemnités journalières, les pensions de retraite et les allocations familiales représentaient environ 70 % des dépenses de la Sécurité sociale alors qu'aujourd'hui elles s'établissent à un peu plus de 50 %.

La Sécurité sociale est désormais une institution de solidarité fondée tant sur des revenus de remplacement que sur le financement d'un système sanitaire, médico-social et social offrant des prestations en nature.

Le principe du financement par des cotisations s'en trouve profondément affecté puisqu'il ne s'agit plus seulement de procurer des ressources aux bénéficiaires, il s'agit de contribuer au financement de biens et de services.

Apparaît ainsi dépassé le débat traditionnel sur la dichotomie entre les modèles bismarckiens et les régimes bévéridgiens, approfondie par le triptyque de Richard Titmuss distinguant, dans son ouvrage de référence Social Policy, an introduction[15], un modèle institutionnel composé d'un Industrial Achievement-performance Model et d’un Institutionnal Redistributive Model et un modèle résiduel, analyse qui a été reprise par Gosta Esping-Andersen à travers la figure des régimes libéraux, corporatistes et sociaux-démocrates[16].

Désormais, il semble plus pertinent et cohérent d'analyser séparément les régimes pour chacun des risques couverts. En France, l'assurance-maladie est clairement universaliste depuis la création de la couverture maladie universelle (CMU) par la loi de 1999[17] et l'institution de la protection universelle maladie (PUMA) par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016[18] alors que l'assurance vieillesse reste fortement marquée par son origine professionnelle malgré le rapprochement de nombreux régimes de retraite.

III – Troisième réflexion, il faut prendre la mesure des conséquences du défi de l’universalité pour la démocratie sociale

Dès le célèbre alinéa du programme du Conseil National de la Résistance (CNR), Les jours heureux, prévoyant « un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail[19] », la Sécurité sociale se voyait assigner un objectif majeur : celui de l'universalité.

En prévoyant une protection de « tous les citoyens », le projet remettait en cause implicitement la logique des assurances sociales. Destinées à protéger les travailleurs, ces dernières étaient logiquement financées par des cotisations, analysées comme un salaire différé que les intéressés percevaient lorsqu'ils étaient en arrêt maladie, en situation d'invalidité ou à la retraite.

Corrélativement, les gestionnaires naturels de la Sécurité sociale devaient être les partenaires sociaux c'est-à-dire les syndicats de salariés et les organisations patronales auxquels il revenait de négocier les salaires différés, et donc les cotisations les finançant, comme il leur appartenait de négocier les salaires directs.

Pourtant, dès 1944 le CNR avait prévu une gestion de la Sécurité sociale « appartenant aux représentants des intéressés et de l'État ». C’était reconnaître explicitement le rôle de l’État, en cohérence avec l’ambition d’universalité.

Depuis 1945, l'histoire de la Sécurité sociale a été marquée par un entrelacement de plus en plus complexe entre le rôle des partenaires sociaux et celui de l'État, au cours duquel la place des pouvoirs publics n'a cessé de se renforcer.  Il suffit de penser aux ordonnances Jeanneney de 1967[20], qui créent quatre caisses nationales dont la direction est confiée à des agents nommés par l’État.

Près de quarante ans plus tard, la création des lois de financement de la Sécurité sociale[21] a signé l’entrée solennelle du Parlement sur le champ de la Sécurité sociale après les échecs des tentatives d'instauration d'un budget social de la nation. Ce budget social avait en effet pu exister en tant qu’information du Parlement à partir de 1956[22] mais plusieurs projets visant à donner une place décisionnaire au Parlement ont échoué [23]. Le Conseil Constitutionnel a, en particulier, déclaré, par une décision du 7 janvier 1988, non conforme à la Constitution une loi organique prévoyant chaque année un projet de loi sur les finances sociales[24], une telle réforme relevant d'une révision constitutionnelle.

Ce mouvement d'accroissement des prérogatives de l'État s’est poursuivi de façon particulièrement marquée sur l'assurance-maladie avec notamment la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie[25] et le remplacement des conseils d'administration des caisses d'assurance-maladie par de simples conseils.

Les modalités de financement de la Sécurité sociale ont été le reflet direct de ces transformations. Elles en ont parfois même été le vecteur puissant.

La création de la contribution sociale généralisée (CSG) par la loi de finances pour 1991 reste le symbole d'une évolution substituant progressivement l'impôt aux cotisations sociales. D'abord pour les cotisations finançant la branche famille en 1991 puis pour les cotisations salariales au point de les faire disparaître totalement pour la branche maladie. Enfin par son extension à la part qui finançait les indemnités journalières et, même dans le cadre de la LFSS 2019, les prestations d'indemnisation du chômage qui ne relèvent pas de la Sécurité sociale[26].

D’autres « impôts et taxes affectés à la Sécurité sociale » (ITAF) ont pris une part de plus en plus importante dans le financement de la Sécurité sociale au point de constituer un véritable patchwork financier.

Il suffit d'évoquer la contribution solidarité autonomie, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), une faction de la TVA, ou des taxes comportementales comme la contribution sur les boissons sucrées[27] ou droits d'accise sur le tabac[28] et les alcools[29]. Au nombre d’une cinquantaine, ces sources de financement soulignent le partage profondément transformé entre cotisations et impositions.

Les chiffres attestent de cette hybridation. Ainsi, aujourd’hui, les cotisations sociales ne représentent qu'à peine la moitié des recettes de la Sécurité sociale, puisqu’elles constituent 49% de l’ensemble des produits reçus par les régimes de base. La part de la CSG s’établit à 20% et celle des autres impôts, taxes et contributions sociales à 18 %[30], le reste provenant de produits financiers, de cotisations prises en charge par l’État et de transferts, ces deux derniers éléments pouvant également être le produit d’impositions.

L'objectif d'universalité de la Sécurité sociale a ainsi progressivement induit, au gré de la montée du besoin de financement, une introduction massive des impôts et taxes dans son financement et, dans le même mouvement, une intervention de plus en plus institutionnalisée des pouvoirs publics dans sa gestion

IV – Quatrième remarque, un régime juridique des prélèvements sociaux de plus en plus complexe et différencié

L’article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les règles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des « impositions de toutes natures » et qu’elle détermine seulement « les principes fondamentaux » de la Sécurité sociale. Et la conséquence directe de cette summa divisio est, on le sait, d’habiliter le pouvoir réglementaire à en fixer le taux des cotisations sociales alors que pour les impositions cela relève du législateur.

Pourtant le régime juridique des cotisations n'a cessé de se complexifier au fil du temps. Dans sa définition constante retenue par le Conseil d’État, rappelée notamment dans une décision du 6 octobre 1999, les cotisations sont « des versements à caractère obligatoire qui ouvrent vocation au bénéfice des prestations et avantages servis » par les régimes de Sécurité sociale[31].

Si le partage entre les cotisations salariales et patronales est au nombre des « principes fondamentaux de la Sécurité sociale », selon des décisions de 1960 et 1984[32] du Conseil constitutionnel, les secondes semblent être éloignées de la définition canonique.

En effet, les cotisations patronales, qui devraient en tant que cotisations ouvrir droit « aux prestations et avantages servis[33] » par les régimes de Sécurité sociale entretiennent en réalité un lien très ténu entre leur versement et l’ouverture de prestations ou d’avantages, et plus encore lorsqu’elles sont prélevées pour des régimes de type universel comme l’assurance maladie ou les allocations familiales. De surcroît, les politiques d'allégement des charges sociales sur les bas salaires ont eu pour conséquence, depuis la première réforme de 1993[34], d'exonérer ou de limiter drastiquement les cotisations patronales de millions d'emplois.

Ces cotisations sont aujourd’hui nulles au niveau du SMIC en ce qui concerne les branches famille, vieillesse et maladie du régime général – allègement qui décroit linéairement jusqu’à 1,6 SMIC[35]. Ainsi les droits sont ouverts sans les prélèvements sociaux correspondants ou avec des prélèvements minorés.

En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré en 2014 une disposition visant à instaurer une réduction dégressive des cotisations salariales en matière d'assurance-maladie et d'assurance vieillesse pour méconnaissance du principe d'égalité au motif qu’ : « ainsi, un même régime de Sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime[36] ».

Enfin le débat sur la proportionnalité des prélèvements sociaux reste ouvert.

Il faut se souvenir qu'avant 1945, un « plafond de respectabilité » dispensait les salariés ayant des revenus le dépassant de l'affiliation aux assurances sociales[37]. Il leur appartenait d'assurer par leurs propres moyens leur protection contre les risques de la vie. En 1945, l’ambition de couvrir l’ensemble de la population contre les facteurs d’insécurité est affirmée et ce plafond supprimé. Tout salarié doit cotiser, quel que soit son niveau de revenu.  Il reste néanmoins dans notre législation la trace de cette époque avec le bien connu « plafond de la Sécurité sociale », au-delà duquel aucune cotisation n'était due ce qui avait pour effet de rendre la cotisation dégressive en cas de revenu excédant le plafond. Ce plafond subsiste pour les cotisations d'assurance vieillesse mais il s’articule avec les prélèvements pour les régimes de retraite complémentaire obligatoires.

S’agissant de la CSG, une disposition visant à la rendre progressive a été censurée par le Conseil constitutionnel en raison de l’absence de prise en compte de l’ensemble des revenus du foyer[38]. Par ailleurs, les premiers points de CSG étaient non déductibles de l'impôt sur le revenu et garantissaient ainsi une stricte proportionnalité du prélèvement. Depuis lors, l'augmentation du taux de CSG s’est accompagnée d'une déductibilité de l'impôt sur le revenu[39] à l’instar des cotisations sociales, rendant concrètement dégressive la CSG lorsque l'on prend en compte, toutes choses égales par ailleurs, le paiement de l'impôt sur le revenu.

V- Dernière réflexion, garder à l’esprit les logiques canoniques de la Sécurité sociale pour analyser les transformations à l’œuvre

Trois grandes logiques peuvent expliquer à la fois le mode de financement et le mode de gestion de la Sécurité sociale, comme d’ailleurs de l’ensemble de la protection sociale[40]. Cette approche élargie peut se prévaloir du Préambule de la Constitution de 1946, qui, à travers quatre alinéas, prévoit une protection sociale plus étendue que celle définie en 1945[41].

Chacune de ces logiques canoniques peut expliquer, voire légitimer, les ressources qui sont affectées aux politiques publiques, la place respective de l’impôt et des cotisations sociales, et le rôle des partenaires sociaux, des associations et de l'État voire des collectivités territoriales.

La première logique est celle de la redistributivité. Elle s’inscrit dans le prolongement de la promesse de la Constitution de 1793 qui affirmait que la « société doit la subsistance aux citoyens malheureux[42] ». Elle vise à garantir des ressources minimales aux membres de la société les moins favorisés. Elle s’exprime aujourd’hui en particulier à travers à l’attribution de prestations sous condition de ressources ou en fonction des ressources. Elle justifie, de ce fait, un large recours à l’impôt.

La deuxième logique est celle de la commutativité.  Elle repose sur la mise en commun de ressources que chacun retrouve, lorsque le risque survient, sous une forme déterminée en fonction des prélèvements supportés.  Elle procède d’une protection obligatoire, mutualisée et garantie par la communauté professionnelle ou nationale. A fondement contributif, elle se distingue fondamentalement de l’assurance par son caractère obligatoire mais aussi par les mécanismes de solidarité qu’elle met en œuvre.

Elle inspire en France le dispositif des revenus de remplacement en cas de maladie, d’invalidité et de retraite, comme en cas de chômage si l’on raisonne dans le cadre de la protection sociale obligatoire et plus seulement dans celui de la Sécurité sociale. Elle a présidé historiquement à la mise en place d'un financement par les cotisations sociales et d’une gestion organisée sur les principes de la démocratie sociale.

 La troisième logique est celle de l'universalité. Elle s’incarne d’abord en France dans l'histoire de l'assurance maladie avec l’aboutissement de la CMU puis de la PUMA. Elle traduit une solidarité entre les bien portants et les malades, comme d’ailleurs, entre les plus fortunés et les moins favorisés.

Elle vise à garantir à tous, en fonction de leurs besoins, les mêmes services et prestations et s’appuie logiquement sur des financements universels. Mais elle recouvre également, si l’on s’inscrit dans le socle universel de la protection sociale que visait à définir le groupe consultatif présidé par Michelle Bachelet en 2011, mis en place par le bureau international du travail (BIT) en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et dont était membre Martin Hirsch, l'éducation nationale, dispositif à vocation universelle financé par les impositions et piloté par l'État.

J’ajoute que, dans un contexte de réflexion sur les formes de la solidarité nationale, les recommandations de la Cour des comptes, qui propose d’élargir le périmètre des lois de financement, invitent au-delà du financement à poser la question de la structuration de la protection sociale obligatoire[43].

C'est à l'ensemble de ces débats qu’ouvre la table ronde d'aujourd'hui.

Ils sont d'autant plus légitimes que les déséquilibres financiers de la Sécurité sociale sont aujourd’hui, chacun le sait, préoccupants.

Dans ce contexte, une meilleure lisibilité des modes de financement et des prestations, qu’il s’agisse de la Sécurité sociale ou des politiques sociales en général, constitue un enjeu citoyen de premier ordre.

Elle est essentielle pour que chacun puisse mesurer l’utilité, la nécessité et l’équité, et plus fondamentalement encore la légitimité de la protection sociale.

* Mesdames et Messieurs,

Autant de questions qui seront abordées, directement ou indirectement, par les intervenants qui nous font le plaisir et l’honneur d’être présent avec nous aujourd’hui :

- Rémi Pellet, professeur en droit public, droit de la santé et de la protection sociale à l’université de Paris Cité ;

- Pierre Pribile, directeur de la Sécurité sociale ;

- Pierre-Louis Bras, ancien président du conseil d’orientation des retraites, ancien directeur de la Sécurité sociale ;

- Et enfin Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes.

Permettez-moi enfin de remercier tous les membres et agents de la section sociale et de la section des études, de la prospective et de la coopération, et en particulier la présidente de celle-ci, Martin de Boisdeffre, qui assurera ce soir le rôle d’animatrice des débats.

Je vous remercie de votre attention.

 

[1] Texte écrit en collaboration avec Jean-Baptiste Desprez, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2] Loi de financement de la Sécurité sociale n° 2025 -199 du 28 février 2025

[3] La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, 1945-1981, sous la direction d'Alain Barjot, Association pour l'étude de l'Histoire de la Sécurité Sociale, 1997, p. 148

[4] Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la Sécurité sociale pour 2025 ; 18,2 Mds d’Euros de déficits (y compris fonds de solidarité vieillesse) pour 624,7 mds d’Euros de recettes.

[5] Rapport de Pierre Garet, ministre du travail et de la Sécurité sociale au Président de la République sur l'application de la législation de Sécurité sociale, JO du 13 aout 1952 ; La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, 1945-1981, sous la direction d'Alain Barjot, Association pour l'étude de l'Histoire de la Sécurité Sociale, 1997, p. 148 ; Hubert Bonin, Histoire économie de la IVème République, pp. 195 à 231

[6]DREES, Les dépenses de santé en 2022, Édition 2023, : en 1950, les dépenses de l’assurance maladie (CSBM) correspondaient à 2,5 % du PIB, avec un taux de prise en charge par la Sécurité sociale de 50,9%.

[7] DREES : Les dépenses de santé en 2023 - Résultats des comptes de la santé - Édition 2024 : la CSBM représente 8,8% du PIB, avec un taux de prise en charge par la Sécurité sociale de 80,1%.

[8] Martine Bungener, Une éternelle pléthore médicale ?, Sciences Sociales et Santé Année 1984 2-1 pp. 77-110 ; (https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_1984_num_2_1_959)

[9] DREES, Démographie des professionnels de santé au 1er janvier 2023, 29 août 2023

[10]La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, 1945-1981, sous la direction d'Alain Barjot, Association pour l'étude de l'Histoire de la Sécurité Sociale, 1997, p 138 et 147

[11] Loi n° 2025-199 du 28 février 2025 de financement de la Sécurité sociale pour 2025, chiffres pour 2024 : 623,7 Mds de recettes, 642,6 Mds de dépenses (solde de -19Mds). En comprenant le Fonds de solidarité vieillesse, les chiffres sont de 624,7 Mds (recettes) et 642,9 Mds (dépenses)

[12] Entretien avec Pierre Laroque, Initiateur de la Sécurité sociale, Revue d'économie financière Année 1992 23 pp. 345-348

[13] La Sécurité sociale, son histoire au travers des textes… prec. cité

[14] Rapport de Pierre Garet, ministre du travail et de la Sécurité sociale au Président de la République sur l'application de la législation de Sécurité sociale, JO du 13 aout 1952

[15] R. M. Titmuss, George Allen&Unwin LTD, 1974

[16] Gosta Esping-Andersen, The three worlds of welfare capitalism, traduction française « révisée » publiée en 1999 : Les trois mondes de l'État-providence, Essai sur le capitalisme moderne, coll. Le lien social, PUF, 1999

[17] Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle

[18] Loi n° 2015- 1702 du 21 décembre 2015 de financement de la Sécurité sociale pour 2016

[19] Les jours heureux, programme du Conseil National de la Résistance, 15 mars 1944

[20] Ordonnances : n° 67-706 du 21 août 1967 relative à l'organisation administrative et financière de la Sécurité sociale ; n° 67-707 du 21 août 1967 portant modification du livre v du code de la sante publique relatif a la pharmacie, de diverses dispositions du code de la Sécurité sociale relatives aux prestations et de la loi n° 66-419 du 18 juin 1966 relative à certains accidents du travail et maladies professionnelles ; n° 67-708 du 21 août 1967 relative aux prestations familiales ; n ° 67-709 du 21 août 1967 portant généralisation des assurances sociales volontaires pour la couverture du risque maladie et des charges de la maternité.

[21] Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la Sécurité sociale ; loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la Sécurité sociale

[22] Haut conseil du financement de la protection sociale, Les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), novembre 2019 : « Le budget social de la Nation est néanmoins souhaité en 1952 : si le projet initial du gouvernement d’Antoine Pinay était de proposer cette création dès 1953, l’article 10 de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952 de finances pour l'exercice 1952 se limite à disposer : « Le Gouvernement déposera, dans un délai de trois mois, un projet de réforme relatif à l'ensemble des questions intéressant le budget social de la nation. ». La production du « budget social » come annexe annuelle du projet de loi de finances n’interviendra finalement qu’en 1956. »

[23] Voir, pour la tentative au début des années 1980, Michel Morin, Pouvoirs n°29, avril 1984, pp. 147-154

[24] Décision n° 87-234 DC du 7 janvier 1988, Loi organique relative au contrôle du Parlement sur les finances des régimes obligatoires de Sécurité sociale

[25] Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie

[26] Article 26 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la Sécurité sociale pour 2019

[27] Article 1613 ter du code général des impôts

[28] Articles L.314-1 et suivants du code des impositions sur les biens et services.

[29] Articles L.313-1 et suivants du code des impositions sur les biens et services ; et article L. 245-7 du code de la Sécurité sociale

[30] Annexe 3 à la LFSS 2025, pourcentage donné pour 2023, « 1.2.1. Structure des recettes ».

[31] Conseil d'Etat, 1 / 4 SSR, du 6 octobre 1999, 200241, publié au recueil Lebon : « les cotisations versées aux régimes obligatoires de Sécurité sociale constituent des versements à caractère obligatoire qui ouvrent vocation au bénéfice des prestations et avantages servis par ces régimes »

[32] Conseil constitutionnel, décision n° 60-10 L du 20 décembre 1960 et décision n° 84-136 L du 28 février 1984

[33] CC, 13 août 1993, n°93-325 DC, cons. 119.

[34] Rapport Bozio-Wasmer, Les politiques d'exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire, 3 octobre 2024

[35] FIPECO, Les cotisations sociales, fiches de l’encyclopédie, mise à jour le 22 juin 2024.

[36] Conseil constitutionnel, 6 août 2014, n° 2014-698 DC

[37] L’article 1er de la loi du 5 avril 1928 prévoyait ainsi une obligation d’affiliation des salariés « dont la rémunération totale annuelle (…) ne dépasse pas 18 000 fr. ».

[38] Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001

[39] Article 154 quinquies du code général des impôts

[40] D. Tabuteau, « La nécessaire clarification des logiques de la protection sociale », in Travail et protection sociale : de nouvelles articulations ?, M. Borgetto, A.-S. Ginon, F. Guiomard, D. PIveteau (dir.), LGDJ, 2017

[41] La Nation doit ainsi assurer, à l’individu et à la famille « les conditions nécessaires à leur développement » (al.10), à tous « la protection de la santé, la Sécurité matérielle, le repos et les loisirs (al.11), « la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales » (al. 12) et « l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture » (al. 13).

[42] Article 21 de la Constitution du 24 juin 1793

[43] Rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, chapitre V : « Les lois de financement de la Sécurité sociale : une ambition à élargir », sept. 2014