Base de jurisprudence


Décision n° C4335
7 avril 2025
Tribunal des conflits

N° C4335
Publié au recueil Lebon

M. MOLLARD , président
M. François Ancel, rapporteur
Mme Ciavaldini, rapporteure publique


Lecture du lundi 7 avril 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée à son secrétariat le 6 décembre 2024, l'expédition du jugement du 3 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Versailles, saisi par M. A... B... d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral n°2021-508 du 20 octobre 2021 a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence.

Vu l'arrêt rendu par la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bastia du 10 avril 2024 par lequel celle-ci se déclare incompétente pour statuer sur la demande d'annulation de l'arrêté précité portant liquidation de l'astreinte et sur la demande d'annulation du titre de perception consécutif.

Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire.

Vu le mémoire déposé le 28 janvier 2025 par le ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation qui conclut à la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de l'urbanisme ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Ancel, membre du Tribunal,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Aux termes de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme " Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir son injonction d'une astreinte de 500 ? au plus par jour de retard. L'exécution provisoire de l'injonction peut être ordonnée par le tribunal./ Au cas où le délai n'est pas observé, l'astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l'expiration dudit délai jusqu'au jour où l'ordre a été complètement exécuté. / Si l'exécution n'est pas intervenue dans l'année de l'expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l'astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus./ Le tribunal peut autoriser le reversement ou dispenser du paiement d'une partie des astreintes pour tenir compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. "

3. L'article 480-8 du même code dispose : " Les astreintes sont liquidées au moins une fois chaque année et recouvrées par l'État, pour le compte de la ou des communes aux caisses desquelles sont reversées les sommes perçues, après prélèvement de 4 % de celles-ci pour frais d'assiette et de recouvrement. "

4. Par jugement en date du 15 juin 2012, le tribunal correctionnel de Bastia a déclaré M. B... coupable notamment du chef d'exécution de travaux non autorisés par un permis de construire sur un bien immobilier situé sur le territoire de la commune de Poggio-Mezzana (Haute-Corse) entre le 29 janvier 2009 et le 23 juin 2010, condamné celui-ci au paiement d'une amende de 5 000 euros et ordonné " la mise en conformité " des lieux ou des ouvrages dans un délai de six mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par un arrêt en date du 19 décembre 2012, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bastia a confirmé ce jugement sauf en ce qu'il avait ordonné sous astreinte la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, et, statuant de nouveau, a ordonné " la remise en état des lieux " dans un délai de six mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation, par arrêt en date du 3 septembre 2013.

5. Par un arrêté n°2021-508 du 20 octobre 2021, le préfet de la Haute-Corse a procédé à la liquidation de cette astreinte en mettant à la charge de M. B... un montant de 86700 euros pour la période courant du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2021. Sur le fondement de cet arrêté, un titre de perception en date du 19 novembre 2021 a été notifié à M. B....

6. La créance ainsi liquidée par l'État pour le compte de la commune de Poggio Mezzana trouve son fondement dans la décision prononcée par la juridiction répressive contre M. B... en application de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme.

7. La liquidation de l'astreinte étant relative à l'exécution d'une décision judiciaire, le contentieux de son recouvrement relève de la juridiction judiciaire sans que la circonstance qu'il a été procédé à cette liquidation par décision du préfet, ainsi que le prévoit l'article L. 480-8 du même code, n'ait pu modifier ni la nature du litige ni la détermination de la compétence.



D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître des conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral n°2021-508 du 20 octobre 2021 ;
Article 2 : L'arrêt de la cour d'appel de Bastia du 10 avril 2024 est déclaré nul et non avenu en ce qu'il déclare les juridictions judiciaires incompétentes pour statuer sur les conclusions mentionnées au 1° ci-dessus ;
Article 3 : La cause et les parties sont, dans cette mesure, renvoyées devant la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bastia ;
Article 4 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Versailles, en tant qu'elle se rapporte aux conclusions mentionnées au 1° ci-dessus, est déclarée nulle et non avenue à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 3 décembre 2024.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la direction régionale des finances publiques de la Corse et du département de la Corse du Sud, au Préfet de la Haute-Corse, au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.