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Ariane Web: Conseil d'État 489258, lecture du 13 mars 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:489258.20250313

Décision n° 489258
13 mars 2025
Conseil d'État

N° 489258
ECLI:FR:CECHS:2025:489258.20250313
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
M. Nicolas Boulouis, président
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteure
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du jeudi 13 mars 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé à la Cour nationale d'asile d'annuler la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 27 avril 2022 rejetant sa demande de réexamen et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, et à titre subsidiaire, d'annuler cette décision et de renvoyer l'examen de sa demande devant l'OFPRA.

Par une décision n° 22027251 du 9 mai 2023, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 novembre 2023 et 7 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi et Texier, son avocat, au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 ;
- la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, la qualité de réfugié est reconnue à " toute personne qui (...), craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ". Aux termes de l'article 10, paragraphe 1 d) de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts : " Un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier : / - ses membres partagent (...) une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l'identité ou la conscience qu'il ne devrait pas être exigé d'une personne qu'elle y renonce, et / - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu'il est perçu comme étant différent par la société environnante. / En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d'origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle ".

2. Un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient dès lors, dans l'hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d'apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d'assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d'être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe.

3. Il résulte de ce qui précède que l'octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l'appartenance à un groupe social fondé sur des orientations sexuelles communes ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié dès lors que le groupe social, au sens des dispositions précitées, n'est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l'existence objective de caractéristiques qu'on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. La circonstance que l'appartenance au groupe social ne fasse l'objet d'aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l'appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l'absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles. Il appartient cependant à une personne qui sollicite l'admission au statut de réfugié en se prévalant de son appartenance à un groupe social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, relatifs aux risques qu'elle encourt personnellement de manière à permettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, au juge de l'asile d'apprécier le bien-fondé de sa demande.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour solliciter son réexamen au bénéfice de l'asile, M. A..., de nationalité égyptienne, soutient qu'il craint d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son orientation sexuelle. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que, pour refuser de reconnaître la qualité de réfugié à M. A..., la Cour nationale du droit d'asile s'est fondée sur la circonstance que la loi pénale égyptienne ne criminalise pas les relations sexuelles entre personnes de même sexe. En statuant ainsi, après avoir relevé que les déclarations de l'intéressé permettaient de tenir pour établies son orientation sexuelle, sans apprécier la réalité des persécutions auxquelles il soutenait être exposé au regard de la situation des personnes homosexuelles en Egypte, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.

6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinea de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que la SCP Zribi et Texier, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'OFPRA, la somme de 3 000 euros à verser à cette société.



D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 9 mai 2023 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. B... A..., la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinea de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.