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Ariane Web: Conseil d'État 494075, lecture du 12 février 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:494075.20250212

Décision n° 494075
12 février 2025
Conseil d'État

N° 494075
ECLI:FR:CECHR:2025:494075.20250212
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Céline Boniface, rapporteure
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS, avocats


Lecture du mercredi 12 février 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 juin 2021 par laquelle le président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a refusé de la titulariser dans le corps des chargés de recherche et a prononcé son licenciement, et d'enjoindre au CNRS de la réintégrer et de la titulariser. Par un jugement n° 2127061 du 28 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et rejeté le surplus des conclusions.

Par un arrêt nos 23PA03301, 23PA03308 du 6 mars 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le CNRS contre ce jugement, et a dit n'y avoir lieu à statuer sur ses conclusions à fin de sursis à exécution.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 mai et 7 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CNRS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 :
- le décret n° 84-1185 du 27 décembre 1984 ;
- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat du Centre national de la recherche scientifique et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de Mme B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a, par une décision du 29 juin 2021, refusé de titulariser Mme B... dans le corps des chargés de recherche et l'a licenciée à l'issue de son stage probatoire. Cette décision a été annulée par un jugement du 28 juin 2023 du tribunal administratif de Paris. Le CNRS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel.

2. Aux termes de l'article 24 du décret du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques, alors applicable : " Les chargés de recherche sont nommés en qualité de stagiaires par le directeur général de l'établissement. (...) / Les stagiaires sont titularisés, après avis de l'instance compétente d'évaluation, lorsqu'ils ont accompli un an d'exercice de leurs fonctions. / (...) Les stagiaires qui à l'issue de la période de stage ne sont pas titularisés, sont réintégrés dans leur corps d'origine ou licenciés. / (...) ".

3. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne.

4. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.

5. Il résulte de ce qui précède que, pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

6. La seule circonstance que les faits établissant l'insuffisance professionnelle de l'agent à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé soient antérieurs à la période du stage n'est pas de nature à faire obstacle à ce qu'ils justifient une décision de refus de titularisation.

7. Dès lors, en jugeant que les faits reprochés à Mme B..., consistant en de graves manquements aux obligations déontologiques de citations des sources de ses articles scientifiques, qui sont susceptibles de révéler une insuffisance professionnelle, ne pouvaient justifier légalement un refus de titularisation au seul motif qu'ils étaient antérieurs à la période de stage, pour en déduire que la décision contestée revêtait un caractère exclusivement disciplinaire et était illégale, la cour a commis une erreur de droit.

8. Si, dans son mémoire en défense, Mme B... soutient que la décision contestée du CNRS serait irrégulière car prise sans qu'elle ait été mise à même de faire valoir ses observations, ce motif comporte une appréciation des circonstances de fait qui fait obstacle à ce qu'il soit substitué, par le juge de cassation, à celui retenu par le juge du fond pour justifier le dispositif de l'arrêt attaqué.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le CNRS est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... le versement d'une somme au CNRS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du CNRS, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande Mme B... à ce titre.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 mars 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre national de la recherche scientifique et à Mme A... B....



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