Conseil d'État
N° 470716
ECLI:FR:CECHR:2024:470716.20241118
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Coralie Albumazard, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du lundi 18 novembre 2024
Vu la procédure suivante :
La société L'Immobilière Groupe Casino, la société Uranie et deux autres sociétés ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 18 octobre 2018 par laquelle le conseil municipal de Lorient a approuvé la modification n° 3 du plan local d'urbanisme de la commune, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux. Par un jugement n° 1806165, 1901853 du 4 juin 2021, le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21NT02277 du 22 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société L'Immobilière Groupe Casino et par la société Uranie contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 janvier et 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société L'Immobilière Groupe Casino et la société Uranie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lorient la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Société L'immobilière Groupe Casino et de la Société Uranie et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la commune de Lorient ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 18 octobre 2018, le conseil municipal de Lorient a approuvé la modification n° 3 du plan local d'urbanisme de la commune relative à la modification du zonage et à l'ouverture à l'urbanisation d'un terrain d'une superficie d'environ 10 hectares, classé antérieurement en zone 2 AUi, pour le développement du pôle commercial de Kérulvé. Les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et Uranie se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel contre le jugement du 4 juin 2021 du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette délibération.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 151-17 du code de l'urbanisme : " Le règlement délimite, sur le ou les documents graphiques, les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles, les zones naturelles et forestières ". L'article R. 151-20 du même code dispose que : " Les zones à urbaniser sont dites " zones AU ". Peuvent être classés en zone à urbaniser les secteurs destinés à être ouverts à l'urbanisation. / Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone et que des orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement en ont défini les conditions d'aménagement et d'équipement, les constructions y sont autorisées soit lors de la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, soit au fur et à mesure de la réalisation des équipements internes à la zone prévus par les orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement. / Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation est subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme comportant notamment les orientations d'aménagement et de programmation de la zone ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 153-36 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Sous réserve des cas où une révision s'impose en application de l'article L. 153-31, le plan local d'urbanisme est modifié lorsque l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune décide de modifier le règlement, les orientations d'aménagement et de programmation ou le programme d'orientations et d'actions ". Aux termes de l'article L. 153-38 du même code : " Lorsque le projet de modification porte sur l'ouverture à l'urbanisation d'une zone, une délibération motivée de l'organe délibérant de l'établissement public compétent ou du conseil municipal justifie l'utilité de cette ouverture au regard des capacités d'urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d'un projet dans ces zones ". Enfin, par dérogation, l'article L. 153-31 prévoit que : " Le plan local d'urbanisme est révisé lorsque l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune décide : / [...] 4° Soit d'ouvrir à l'urbanisation une zone à urbaniser qui, dans les neuf ans suivant sa création, n'a pas été ouverte à l'urbanisation ou n'a pas fait l'objet d'acquisitions foncières significatives de la part de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, directement ou par l'intermédiaire d'un opérateur foncier ".
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune peut, par une délibération motivée justifiant l'utilité de l'opération au regard des capacités d'urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d'un projet dans ces zones, recourir à la procédure de modification du plan local d'urbanisme pour ouvrir à l'urbanisation un secteur préalablement classé comme zone à urbaniser depuis moins de neuf ans. Au-delà de ce délai, l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune ne peut ouvrir à l'urbanisation la zone en cause qu'en ayant recours à la procédure de révision. Par ces dispositions, le législateur a entendu prévenir la constitution de réserves foncières dépourvues de projet d'aménagement et inciter les établissements publics de coopération intercommunale et les communes à définir et mettre en oeuvre dans le délai de neuf ans les orientations d'aménagement et de programmation pour les zones identifiées par le plan local d'urbanisme comme étant à urbaniser, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui a introduit les dispositions précitées de l'article L. 153-31 dans le code de l'urbanisme. Il en résulte que le délai de neuf ans qu'elles prévoient court, soit à compter du classement initial comme zone à urbaniser du secteur en cause, soit, le cas échéant, à compter d'une révision ultérieure du plan local d'urbanisme portant, notamment par l'adoption d'un nouveau projet d'aménagement et de développement durables, sur un projet d'aménagement pour ce secteur.
5. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a relevé que, par une délibération du 19 décembre 2013, la commune de Lorient avait approuvé, après concertation et enquête publique, la révision générale de son plan local d'urbanisme, emportant notamment l'élaboration d'un nouveau projet d'aménagement et de développement durables et de nouveaux règlements écrit et graphique, pour en déduire que, eu égard à l'ampleur des modifications du parti d'aménagement induites par cette révision générale, qui a concerné l'ensemble du territoire communal, ainsi qu'à la refondation des différents documents composant le plan local d'urbanisme qu'elle a emportée, c'était à la date de l'approbation de cette révision générale qu'il convenait de fixer le point de départ du délai de neuf années prévu par les dispositions précitées du 4° de l'article L. 153-31 du code de l'urbanisme. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, d'une part, le I de l'article R. 122-20 du code de l'environnement dispose que : " L'évaluation environnementale est proportionnée à l'importance du plan, schéma, programme et autre document de planification, aux effets de sa mise en oeuvre ainsi qu'aux enjeux environnementaux de la zone considérée ". Le II de cet article détaille les informations que doit comprendre le rapport environnemental, qui rend compte de la démarche d'évaluation environnementale, parmi lesquelles figure l'exposé des effets notables de la mise en oeuvre du plan sur l'environnement, et notamment, s'il y a lieu, sur la santé humaine, la population, la diversité biologique, la faune, la flore, les sols, les eaux, l'air, le bruit, le climat, le patrimoine culturel architectural et archéologique et les paysages.
7. D'autre part, les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
8. Par l'arrêt attaqué, la cour a écarté le moyen tiré du caractère insuffisant de l'évaluation environnementale réalisée préalablement à la modification litigieuse du plan local d'urbanisme, après avoir jugé notamment que celle-ci analysait suffisamment les effets de la modification projetée sur la circulation et la qualité de l'air, dès lors notamment que l'étude de circulation réalisée en 2016 concluait à l'absence d'augmentation notable, du fait du projet, de la circulation routière sur la rue de Kérulvé. En statuant ainsi, nonobstant l'absence d'analyse ultérieure de l'incidence de la modification litigieuse sur les flux de circulation et les nuisances susceptibles d'en résulter, la cour administrative d'appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 151-5 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Le projet d'aménagement et de développement durables définit : / 1° Les orientations générales des politiques d'aménagement, d'équipement, d'urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ; / 2° Les orientations générales concernant l'habitat, les transports et les déplacements, les réseaux d'énergie, le développement des communications numériques, l'équipement commercial, le développement économique et les loisirs, retenues pour l'ensemble de l'établissement public de coopération intercommunale ou de la commune. [...] ". Aux termes de l'article L. 151-8 du même code : " Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 ". Pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d'urbanisme entre le règlement et le projet d'aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire couvert par le document d'urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d'aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l'inadéquation d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d'aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet.
10. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a écarté le moyen tiré de ce que l'ouverture à l'urbanisation de la zone litigieuse ne s'inscrivait pas dans un rapport de cohérence avec les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables relatifs au renouvellement urbain et à la gestion économe des espaces après avoir relevé, d'une part, que la modification du plan local d'urbanisme en litige était cohérente avec deux autres orientations du projet d'aménagement et de développement durables de la commune, et, d'autre part, que la commune prévoyait de réserver 7 000 m2 pour la préservation d'espaces de pleine terre. En déduisant de ces constatations que le classement contesté n'apparaissait pas de nature à compromettre les objectifs fixés par le projet d'aménagement et de développement durables, la cour administrative d'appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
11. En dernier lieu, l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Dans le respect des objectifs du développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants : / 1° L'équilibre entre : / a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ; / b) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ; / c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ; / d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ; / e) Les besoins en matière de mobilité (...) ". Ces dispositions imposent seulement aux auteurs des documents d'urbanisme d'y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu'elles énoncent. En conséquence, le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l'article L. 101-2 du code l'urbanisme.
12. Pour écarter le moyen tiré de ce que la modification litigieuse méconnaîtrait les objectifs fixés notamment aux b) et c) de l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme précité, la cour administrative d'appel a relevé, d'une part, que la zone litigieuse, d'une superficie de 10 hectares, qui fait l'objet d'un classement en zone à urbaniser depuis 2005, ne représentait que 0,57 % du territoire communal et, d'autre part, que les sociétés requérantes n'établissaient ni qu'il existerait d'autres surfaces disponibles pour accueillir les activités économiques permettant l'installation de nouvelles entreprises, ni que l'extension de la zone commerciale ne répondrait pas à un besoin de la population communale ou que l'équilibre entre le renouvellement urbain et l'utilisation économe des espaces naturels serait rompu. En statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment répondu au moyen dont elle était saisie, s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et autre ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel qu'elles attaquent. Leur pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société L'Immobilière Groupe Casino et de la société Uranie la somme de 1 500 euros chacune à verser à la commune de Lorient au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1 : Le pourvoi de la société L'Immobilière Groupe Casino et autre est rejeté.
Article 2 : Les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et Uranie verseront chacune à la commune de Lorient la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société L'Immobilière Groupe Casino, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Lorient.
Copie en sera adressée à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras
N° 470716
ECLI:FR:CECHR:2024:470716.20241118
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Coralie Albumazard, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du lundi 18 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société L'Immobilière Groupe Casino, la société Uranie et deux autres sociétés ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 18 octobre 2018 par laquelle le conseil municipal de Lorient a approuvé la modification n° 3 du plan local d'urbanisme de la commune, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux. Par un jugement n° 1806165, 1901853 du 4 juin 2021, le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21NT02277 du 22 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société L'Immobilière Groupe Casino et par la société Uranie contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 janvier et 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société L'Immobilière Groupe Casino et la société Uranie demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Lorient la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Société L'immobilière Groupe Casino et de la Société Uranie et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la commune de Lorient ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 18 octobre 2018, le conseil municipal de Lorient a approuvé la modification n° 3 du plan local d'urbanisme de la commune relative à la modification du zonage et à l'ouverture à l'urbanisation d'un terrain d'une superficie d'environ 10 hectares, classé antérieurement en zone 2 AUi, pour le développement du pôle commercial de Kérulvé. Les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et Uranie se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté leur appel contre le jugement du 4 juin 2021 du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette délibération.
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 151-17 du code de l'urbanisme : " Le règlement délimite, sur le ou les documents graphiques, les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles, les zones naturelles et forestières ". L'article R. 151-20 du même code dispose que : " Les zones à urbaniser sont dites " zones AU ". Peuvent être classés en zone à urbaniser les secteurs destinés à être ouverts à l'urbanisation. / Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone et que des orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement en ont défini les conditions d'aménagement et d'équipement, les constructions y sont autorisées soit lors de la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, soit au fur et à mesure de la réalisation des équipements internes à la zone prévus par les orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement. / Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation est subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme comportant notamment les orientations d'aménagement et de programmation de la zone ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 153-36 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Sous réserve des cas où une révision s'impose en application de l'article L. 153-31, le plan local d'urbanisme est modifié lorsque l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune décide de modifier le règlement, les orientations d'aménagement et de programmation ou le programme d'orientations et d'actions ". Aux termes de l'article L. 153-38 du même code : " Lorsque le projet de modification porte sur l'ouverture à l'urbanisation d'une zone, une délibération motivée de l'organe délibérant de l'établissement public compétent ou du conseil municipal justifie l'utilité de cette ouverture au regard des capacités d'urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d'un projet dans ces zones ". Enfin, par dérogation, l'article L. 153-31 prévoit que : " Le plan local d'urbanisme est révisé lorsque l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune décide : / [...] 4° Soit d'ouvrir à l'urbanisation une zone à urbaniser qui, dans les neuf ans suivant sa création, n'a pas été ouverte à l'urbanisation ou n'a pas fait l'objet d'acquisitions foncières significatives de la part de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, directement ou par l'intermédiaire d'un opérateur foncier ".
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune peut, par une délibération motivée justifiant l'utilité de l'opération au regard des capacités d'urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d'un projet dans ces zones, recourir à la procédure de modification du plan local d'urbanisme pour ouvrir à l'urbanisation un secteur préalablement classé comme zone à urbaniser depuis moins de neuf ans. Au-delà de ce délai, l'établissement public de coopération intercommunale ou la commune ne peut ouvrir à l'urbanisation la zone en cause qu'en ayant recours à la procédure de révision. Par ces dispositions, le législateur a entendu prévenir la constitution de réserves foncières dépourvues de projet d'aménagement et inciter les établissements publics de coopération intercommunale et les communes à définir et mettre en oeuvre dans le délai de neuf ans les orientations d'aménagement et de programmation pour les zones identifiées par le plan local d'urbanisme comme étant à urbaniser, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui a introduit les dispositions précitées de l'article L. 153-31 dans le code de l'urbanisme. Il en résulte que le délai de neuf ans qu'elles prévoient court, soit à compter du classement initial comme zone à urbaniser du secteur en cause, soit, le cas échéant, à compter d'une révision ultérieure du plan local d'urbanisme portant, notamment par l'adoption d'un nouveau projet d'aménagement et de développement durables, sur un projet d'aménagement pour ce secteur.
5. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a relevé que, par une délibération du 19 décembre 2013, la commune de Lorient avait approuvé, après concertation et enquête publique, la révision générale de son plan local d'urbanisme, emportant notamment l'élaboration d'un nouveau projet d'aménagement et de développement durables et de nouveaux règlements écrit et graphique, pour en déduire que, eu égard à l'ampleur des modifications du parti d'aménagement induites par cette révision générale, qui a concerné l'ensemble du territoire communal, ainsi qu'à la refondation des différents documents composant le plan local d'urbanisme qu'elle a emportée, c'était à la date de l'approbation de cette révision générale qu'il convenait de fixer le point de départ du délai de neuf années prévu par les dispositions précitées du 4° de l'article L. 153-31 du code de l'urbanisme. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en statuant ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, d'une part, le I de l'article R. 122-20 du code de l'environnement dispose que : " L'évaluation environnementale est proportionnée à l'importance du plan, schéma, programme et autre document de planification, aux effets de sa mise en oeuvre ainsi qu'aux enjeux environnementaux de la zone considérée ". Le II de cet article détaille les informations que doit comprendre le rapport environnemental, qui rend compte de la démarche d'évaluation environnementale, parmi lesquelles figure l'exposé des effets notables de la mise en oeuvre du plan sur l'environnement, et notamment, s'il y a lieu, sur la santé humaine, la population, la diversité biologique, la faune, la flore, les sols, les eaux, l'air, le bruit, le climat, le patrimoine culturel architectural et archéologique et les paysages.
7. D'autre part, les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
8. Par l'arrêt attaqué, la cour a écarté le moyen tiré du caractère insuffisant de l'évaluation environnementale réalisée préalablement à la modification litigieuse du plan local d'urbanisme, après avoir jugé notamment que celle-ci analysait suffisamment les effets de la modification projetée sur la circulation et la qualité de l'air, dès lors notamment que l'étude de circulation réalisée en 2016 concluait à l'absence d'augmentation notable, du fait du projet, de la circulation routière sur la rue de Kérulvé. En statuant ainsi, nonobstant l'absence d'analyse ultérieure de l'incidence de la modification litigieuse sur les flux de circulation et les nuisances susceptibles d'en résulter, la cour administrative d'appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 151-5 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Le projet d'aménagement et de développement durables définit : / 1° Les orientations générales des politiques d'aménagement, d'équipement, d'urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ; / 2° Les orientations générales concernant l'habitat, les transports et les déplacements, les réseaux d'énergie, le développement des communications numériques, l'équipement commercial, le développement économique et les loisirs, retenues pour l'ensemble de l'établissement public de coopération intercommunale ou de la commune. [...] ". Aux termes de l'article L. 151-8 du même code : " Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d'aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d'utilisation des sols permettant d'atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 ". Pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d'urbanisme entre le règlement et le projet d'aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d'une analyse globale le conduisant à se placer à l'échelle du territoire couvert par le document d'urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d'aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l'inadéquation d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d'aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l'existence d'autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet.
10. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a écarté le moyen tiré de ce que l'ouverture à l'urbanisation de la zone litigieuse ne s'inscrivait pas dans un rapport de cohérence avec les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables relatifs au renouvellement urbain et à la gestion économe des espaces après avoir relevé, d'une part, que la modification du plan local d'urbanisme en litige était cohérente avec deux autres orientations du projet d'aménagement et de développement durables de la commune, et, d'autre part, que la commune prévoyait de réserver 7 000 m2 pour la préservation d'espaces de pleine terre. En déduisant de ces constatations que le classement contesté n'apparaissait pas de nature à compromettre les objectifs fixés par le projet d'aménagement et de développement durables, la cour administrative d'appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.
11. En dernier lieu, l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige, dispose que : " Dans le respect des objectifs du développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants : / 1° L'équilibre entre : / a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ; / b) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ; / c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ; / d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ; / e) Les besoins en matière de mobilité (...) ". Ces dispositions imposent seulement aux auteurs des documents d'urbanisme d'y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu'elles énoncent. En conséquence, le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l'article L. 101-2 du code l'urbanisme.
12. Pour écarter le moyen tiré de ce que la modification litigieuse méconnaîtrait les objectifs fixés notamment aux b) et c) de l'article L. 101-2 du code de l'urbanisme précité, la cour administrative d'appel a relevé, d'une part, que la zone litigieuse, d'une superficie de 10 hectares, qui fait l'objet d'un classement en zone à urbaniser depuis 2005, ne représentait que 0,57 % du territoire communal et, d'autre part, que les sociétés requérantes n'établissaient ni qu'il existerait d'autres surfaces disponibles pour accueillir les activités économiques permettant l'installation de nouvelles entreprises, ni que l'extension de la zone commerciale ne répondrait pas à un besoin de la population communale ou que l'équilibre entre le renouvellement urbain et l'utilisation économe des espaces naturels serait rompu. En statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment répondu au moyen dont elle était saisie, s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et autre ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel qu'elles attaquent. Leur pourvoi doit, par suite, être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société L'Immobilière Groupe Casino et de la société Uranie la somme de 1 500 euros chacune à verser à la commune de Lorient au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1 : Le pourvoi de la société L'Immobilière Groupe Casino et autre est rejeté.
Article 2 : Les sociétés L'Immobilière Groupe Casino et Uranie verseront chacune à la commune de Lorient la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société L'Immobilière Groupe Casino, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Lorient.
Copie en sera adressée à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras