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Ariane Web: Conseil d'État 472842, lecture du 18 octobre 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:472842.20241018

Décision n° 472842
18 octobre 2024
Conseil d'État

N° 472842
ECLI:FR:CECHS:2024:472842.20241018
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Cyril Roger-Lacan, président
Mme Stéphanie Vera, rapporteure
M. Frédéric Puigserver, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du vendredi 18 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Parc éolien du Mont Hellet a demandé à la cour administrative d'appel de Douai, d'une part, d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur un parc éolien composé de quatre éoliennes et un poste de livraison, situé sur le territoire des communes de Baillolet et Lucy et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par un arrêt n° 21DA01303 du 25 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale déposée par la société Parc éolien du Mont Hellet portant sur les éoliennes E1, E2 et E3, enjoint au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation en tant qu'elle porte sur les éoliennes E1, E2 et E3, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt et rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté en tant qu'il rejette la demande d'autorisation déposée pour l'éolienne E4.

1°) Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 avril et 6 juillet 2023 et 6 septembre 2024, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 25 janvier 2023 en tant qu'il annule l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale déposée par la société Parc éolien du Mont Hellet portant sur les éoliennes E1, E2 et E3 et enjoint au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation pour ces éoliennes.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Parc éolien du Mont Hellet ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Parc éolien Nordex 86 a présenté, le 3 septembre 2019, une demande d'autorisation environnementale afin d'exploiter un parc éolien composé de quatre éoliennes et un poste de livraison, sur le territoire des communes de Baillolet et de Lucy. Par un arrêté du 14 avril 2021, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, dans le dernier état de ses conclusions, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 25 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale portant sur les éoliennes E1, E2 et E3, et enjoint au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation en tant qu'elle porte sur les éoliennes E1, E2 et E3, dans un délai de quatre mois à compter de sa notification. Par la voie du pourvoi incident, la société pétitionnaire, désormais dénommée société Parc éolien du Mont Hellet, demande l'annulation de cet arrêt en tant seulement qu'il rejette ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation déposée pour l'éolienne E4.

Sur le pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) / II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation (...) ". Aux titre des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, figurent " la protection de la nature, de l'environnement ". L'article R. 181-34 du même code dispose que : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / 1° Lorsque, malgré la ou les demandes de régularisation qui ont été adressées au pétitionnaire, le dossier est demeuré incomplet ou irrégulier ; / (...) 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables ".

3. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, qui transposent l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " Habitats ", que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, comme le prévoient les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

4. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

5. Il ressort des pièces du dossier que dans son avis du 31 octobre 2019, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie (DREAL), après avoir relevé que le projet éolien se situait dans un secteur hébergeant une riche biodiversité non propice à l'implantation de parcs éoliens et plus particulièrement au sein d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type II mais également au sein d'un corridor migratoire, a considéré que l'état initial et les impacts sur l'avifaune n'avaient pas été suffisamment évalués. Elle relevait également que la définition des enjeux ornithologiques sous-estimait les sensibilités des espèces patrimoniales, telles que le Busard Saint-Martin, le Goéland argenté, le Verdier d'Europe, les Pics, les rapaces et les passereaux. En dépit des éléments complémentaires apportées par la société, la DREAL a rendu, le 5 octobre 2020, un avis défavorable sur le projet en relevant notamment que la richesse aviaire spécifique, le nombre d'espèces nicheuses sur le site et la détection d'un axe migratoire secondaire au droit du site avaient permis de déterminer des enjeux modérés à forts pour les oiseaux en milieu forestier, au niveau des lisières et des haies et que le projet impacterait 52 espèces d'oiseaux parmi lesquelles 11 espèces patrimoniales, dont 3 inscrites à l'annexe I de la Directive Oiseaux, le Pic mar, le Pic noir et le Busard Saint-Martin, nécessitant une dérogation espèces protégées, dès lors que la démarche " évaluer, réduire, compenser " (ERC) demeurait insuffisante. Dans son avis du 20 novembre 2020, la mission régionale d'autorité environnementale de Normandie a estimé, s'agissant de la biodiversité, que l'étude d'impact faisait état de niveaux de sensibilité et d'impact parfois contestables et non totalement justifiés. Elle relevait que les mesures de compensation envisagées pour la faune volante en raison de l'insuffisance des mesures d'évitement et de réduction en amont des impacts, étaient notoirement insuffisantes et a conclu que l'étude d'impact ne permettait pas de démontrer l'absence d'impact notable du projet sur l'environnement.

6. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger que le préfet n'était pas fondé à refuser l'autorisation sollicitée au motif que le pétitionnaire n'avait pas déposé de demande de dérogation à la destruction d'espèces protégées, la cour, s'appuyant sur l'étude écologique et les conclusions de l'étude d'impact et après avoir rappelé que onze Pics-noirs, cinq Busards Saint-Martin et six Faucons crécerelle avaient été recensés sur le site, s'est fondée sur le niveau modéré de l'impact lié à l'activité humaine et aux travaux pendant la période de reproduction sur ces trois espèces en relevant, pour ce qui concerne le Busard Saint-Martin et le Faucon crécerelle, l'absence d'identification d'un territoire de nidification. Elle s'est également fondée, s'agissant de ces deux dernières espèces, sur une sensibilité à l'éolien jugée respectivement modérée et forte et relevé, pour ce qui concerne le Pic noir, sa présence probable dans les boisements ceinturant la zone du projet. En statuant de la sorte, sans prendre en considération les insuffisances relevées par les différentes instances consultées sur l'état initial et les mesures ERC envisagées, alors que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relevait devant elle que le diagnostic de l'état initial pour ce qui concerne l'avifaune présentait des lacunes importantes depuis l'origine, que l'étude d'impact ne présentait aucune étude de fonctionnalité et de déplacement des oiseaux dans la clairière et que les impacts résiduels après application de la séquence ERC demeuraient notables, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

7. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il annule l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale déposée par la société Parc éolien du Mont Hellet portant sur les éoliennes E1, E2 et E3 et enjoint au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation pour ces éoliennes.

Sur le pourvoi incident présenté par la société Parc éolien du Mont Hellet :

8. En se fondant sur la distance existant entre l'éolienne E4 et la canopée et en relevant qu'il ne résultait pas de l'instruction, eu égard à l'importance des impacts du projet tels qu'ils ont été évalués avant l'intervention des mesures de réduction, que des mesures de bridage seraient de nature à prévenir de manière suffisamment efficace les risques pour les chiroptères afférents à l'implantation et au fonctionnement de l'éolienne E4, pour juger que le refus d'autorisation était justifié pour l'éolienne E4, la cour n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit ni de dénaturation des pièces du dossier. Par suite, la société Parc éolien du Mont Hellet n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 4 de l'arrêt attaqué rejetant ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation déposée pour l'éolienne E4.

9. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident présenté par la société Parc éolien du Mont Hellet doit donc être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé en tant qu'il annule l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 14 avril 2021 en tant qu'il rejette la demande d'autorisation environnementale déposée par la société Parc éolien du Mont Hellet portant sur les éoliennes E1, E2 et E3 et enjoint au préfet de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation pour ces éoliennes.
Article 2 : Le pourvoi incident présenté par la société Parc éolien du Mont Hellet est rejeté.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la société Parc éolien du Mont Hellet.
Copie en sera adressée à la commune de Lucy.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 octobre 2024.



Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo



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