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Ariane Web: Conseil d'État 489074, lecture du 15 octobre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:489074.20241015

Décision n° 489074
15 octobre 2024
Conseil d'État

N° 489074
ECLI:FR:CECHR:2024:489074.20241015
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Thalia Breton, rapporteure
M. Raphaël Chambon, rapporteur public


Lecture du mardi 15 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2212047 du 20 octobre 2023, enregistrée le 27 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l'Institut supérieur du droit.

Par cette requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 31 mai 2022 et 5 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif de Paris, l'Institut supérieur du droit demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 mars 2022 par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a rejeté sa demande tendant à l'inscription des diplômes délivrés par cet institut à l'article 1er de l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maitrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat ;

2°) d'enjoindre à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à l'inscription des diplômes qu'elle délivre à l'article 1er de l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. L'Institut supérieur du droit, établissement privé d'enseignement supérieur dispensant des formations juridiques, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 mars 2022 par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a rejeté sa demande du 19 novembre 2021 tendant à la modification de l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat afin d'y inclure les diplômes qu'elle délivre.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée a été signée par M. A..., chef du département des formations des cycles de master et doctorat à la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, lequel avait compétence pour signer la décision litigieuse par délégation de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en vertu de l'article 6 de la décision du 5 août 2019 portant délégation de signature au sein de cette direction. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée ne peut qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) / 2° Être titulaire, sous réserve des dispositions réglementaires prises pour l'application de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 (...), d'au moins une maîtrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des universités (...) ".

4. Si la compétence pour fixer la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat relève du ministre chargé de l'enseignement supérieur et du garde des sceaux, ministre de la justice, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation pouvait rejeter seule la demande présentée devant elle. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'incompétence faute d'être signée par le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, la décision attaquée comportant l'ensemble des éléments de droit et de fait sur lequel elle se fonde, l'Institut Supérieur du droit n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'elle est insuffisamment motivée.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

6. En premier lieu, c'est par un motif surabondant que la décision attaquée relève que la modification du diplôme requis pour l'inscription à l'examen d'accès aux centres régionaux de formation professionnelle d'avocats aura une incidence sur la liste des titres ou diplômes fixée par l'arrêté du 25 novembre 1998. Par suite, la requérante ne peut utilement soutenir que la décision attaquée révèlerait, par ce motif, un refus général et absolu.

7. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en refusant de modifier l'arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat afin d'y inclure les diplômes qu'il délivre, la ministre aurait méconnu le principe d'égalité de traitement entre l'Institut supérieur du droit et les autres établissements dont les titres ou diplômes sont inscrits à l'arrêté du 25 novembre 1998, l'Institut supérieur du droit, étant, notamment, eu égard à la composition de son équipe pédagogique, placée dans une situation différente de celle de la faculté libre autonome et cogérée d'économie et de droit de Paris (FACO) qui figure sur l'arrêté. Le moyen tiré de ce que l'égalité de traitement entre les étudiants de l'Institut supérieur du droit et les étudiants, placés dans un situation différente, ayant acquis une formation à l'étranger leur permettant d'accéder à une profession juridique réglementée dans l'Etat où ce titre a été délivré, et dont l'article 1er de l'arrêté du 25 novembre 1998 reconnaît que ce titre est reconnu comme équivalent à la maîtrise en droit pour l'exercice de la profession d'avocat, ne peut également qu'être écarté.

8. En troisième lieu, la décision attaquée ne saurait être regardée comme apportant en elle-même une restriction à l'activité d'un opérateur économique ou à la " liberté de l'enseignement supérieur ". Par suite, les moyens tirés de l'atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté de l'enseignement supérieur ne peuvent qu'être écartés.

9. En quatrième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que pour refuser d'inscrire la requérante sur la liste litigieuse, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a pris en considération le faible nombre d'universitaires parmi le corps enseignant de l'Institut supérieur du droit et a relevé que l'établissement n'apportait pas d'éléments sur l'insertion professionnelle de ses diplômés et que ses diplômes n'étaient pas inscrits au registre national des certifications professionnelles établi par l'établissement dénommé France compétences. Ce faisant, la ministre ne s'est pas fondée sur des considérations insusceptibles d'être prises en compte pour choisir d'inscrire ou non un diplôme dans l'arrêté du 25 novembre 1998 en application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 et elle n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre, que la requête présentée par l'Institut supérieur du droit doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Institut supérieur du droit est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Institut supérieur du droit et au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes-rapporteure.


Rendu le 15 octobre 2024.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Thalia Breton
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba


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