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Ariane Web: Conseil d'État 467520, lecture du 11 octobre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:467520.20241011

Décision n° 467520
11 octobre 2024
Conseil d'État

N° 467520
ECLI:FR:CECHR:2024:467520.20241011
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Coralie Albumazard, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SCP RICHARD, avocats


Lecture du vendredi 11 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Groupama Paris-Val de Loire a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner, d'une part, la commune de Villebon-sur-Yvette (Essonne), et, d'autre part, l'Etat, à lui verser les sommes de 1 158 660,40 euros et 336 721,40 euros correspondant aux indemnités d'assurance qu'elle a versées à la société Icade au titre des préjudices subis à l'occasion de l'occupation illégale de ses terrains par des gens du voyage respectivement en décembre 2014 et de septembre 2016 à janvier 2017.

Par un jugement n°s 1807865 et 1807866 en date du 30 octobre 2020, le tribunal administratif a, d'une part, rejeté les conclusions dirigées contre la commune de Villebon-sur-Yvette et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à la société Groupama Paris-Val de Loire la somme de 1 308 660,40 euros en réparation des préjudices subis.

Par un arrêt n° 20VE03429 du 8 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement en tant qu'il porte sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat et le condamne à verser à la société Groupama Paris-Val de Loire la somme de 1 158 660,40 euros.

Par un pourvoi, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par la société Groupama Paris-Val de Loire devant le tribunal administratif en tant qu'elle tend à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 158 660,40 euros au titre des préjudices subis par la société Icade à l'occasion de l'occupation illégale de ses terrains par des gens du voyage au mois de décembre 2014.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de la société Groupama paris Val de Loire.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la Société de location pour l'industrie et le commerce, qui a fait l'objet d'une fusion-absorption avec la société ICADE le 14 avril 2014, est propriétaire d'un ensemble immobilier à Villebon-sur-Yvette (Essonne) qui a été occupé à plusieurs reprises, entre 2014 et 2017, par des gens du voyage et a subi d'importantes dégradations. La société ICADE a été indemnisée des préjudices subis par son assureur, la société Groupama Paris-Val de Loire, qui, subrogée dans les droits du propriétaire, en a demandé réparation à l'Etat et à la commune. Par un jugement du 30 octobre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté les conclusions dirigées contre la commune, au titre de l'usage fait par le maire de ses pouvoirs de police, et condamné l'Etat à verser à la société requérante une indemnité de 1 308 660,40 euros, au titre du retard mis à procéder à l'évacuation forcée des occupants sans titre. Le ministre de l'intérieur a relevé appel en tant seulement que l'Etat a été condamné à verser une indemnité de 1 158 660,40 euros au titre des préjudices causés par l'occupation irrégulière de l'immeuble en décembre 2014. Statuant sur ce recours, la cour administrative d'appel de Versailles a confirmé le jugement de première instance par l'arrêt du 8 juillet 2022 contre lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation.

2. D'une part, aux termes du I de l'article 2 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dans sa version applicable au litige : " Les communes figurant au schéma départemental en application des dispositions des II et III de l'article 1er sont tenues, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en oeuvre. Elles le font en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d'accueil, aménagées et entretenues. Elles peuvent également transférer cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale chargé de mettre en oeuvre les dispositions du schéma départemental ou contribuer financièrement à l'aménagement et à l'entretien de ces aires d'accueil dans le cadre de conventions intercommunales. ". Aux termes du III de ce même article : " Le délai de deux ans prévu au I est prorogé de deux ans, à compter de sa date d'expiration, lorsque la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale a manifesté, dans ce délai, la volonté de se conformer à ses obligations : / - soit par la transmission au représentant de l'Etat dans le département d'une délibération ou d'une lettre d'intention comportant la localisation de l'opération de réalisation ou de réhabilitation d'une aire d'accueil des gens du voyage ; / - soit par l'acquisition des terrains ou le lancement d'une procédure d'acquisition des terrains sur lesquels les aménagements sont prévus ; /- soit par la réalisation d'une étude préalable. [...] " En outre, le I de l'article 9 de cette même loi dispose que : " Dès lors qu'une commune remplit les obligations qui lui incombent en application de l'article 2, son maire ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles mentionnées à l'article 1er. Ces dispositions sont également applicables aux communes non inscrites au schéma départemental mais dotées d'une aire d'accueil, ainsi qu'à celles qui décident, sans y être tenues, de contribuer au financement d'une telle aire ou qui appartiennent à un groupement de communes qui s'est doté de compétences pour la mise en oeuvre du schéma départemental. / Les mêmes dispositions sont applicables aux communes qui bénéficient du délai supplémentaire prévu au III de l'article 2 jusqu'à la date d'expiration de ce délai ainsi qu'aux communes disposant d'un emplacement provisoire faisant l'objet d'un agrément par le préfet, dans un délai fixé par le préfet et ne pouvant excéder six mois à compter de la date de cet agrément. [...] ". Enfin, aux termes du II de ce même article : " En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté prévu au I, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. / La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. [...] Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours dans les conditions fixées au II bis, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure. [...] ".

3. D'autre part, l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que : " Par dérogation à l'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, les maires des communes membres de celui-ci transfèrent au président de cet établissement leurs attributions dans ce domaine de compétences. ".

4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus que, dès lors qu'une commune a satisfait, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel elle a transféré sa compétence en la matière, aux obligations qui lui incombent en application du schéma départemental d'accueil des gens du voyage, d'une part, son maire peut interdire, sur l'ensemble de son territoire, le stationnement des résidences mobiles appartenant à des gens du voyage en dehors des aires d'accueil aménagées à cet effet et, d'autre part, en cas de méconnaissance d'une telle interdiction, et dans la mesure où il est porté atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, le préfet du département peut mettre en demeure les personnes concernées de quitter les lieux et faire procéder en tant que de besoin à leur évacuation forcée. Ces dispositions, une fois rendues applicables à une commune qui a satisfait à ses obligations, demeurent applicables pendant le délai de deux ans, éventuellement prorogé, mentionné aux I et III de l'article 2 de la loi du 5 juillet 2000 alors même que la commune ne se serait pas encore acquittée d'obligations supplémentaires qui viendraient à être mises à sa charge à l'occasion d'une révision ultérieure du schéma départemental d'accueil des gens du voyage.

5. Il résulte des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que la commune de Villebon-sur-Yvette a rempli les obligations qui lui incombaient en application du schéma départemental d'accueil des gens du voyage de l'Essonne applicable à compter de 2003 en réalisant une aire d'accueil de 14 places et que, par un arrêté du 18 octobre 2011, le maire de la commune a interdit le stationnement des gens du voyage sur l'ensemble du territoire communal en dehors de cette aire d'accueil. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'alors même que l'aire de grand passage destinée à l'accueil de 150 à 200 caravanes sur le territoire de la commune, mise à la charge du syndicat intercommunal d'accueil des gens du voyage de Villebon par le schéma départemental d'accueil des gens du voyage de l'Essonne publié le 24 octobre 2013, n'avait pas encore été réalisée, le maire pouvait légalement demander au préfet de mettre en oeuvre la procédure prévue par les dispositions citées ci-dessus du II de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 dès lors que, à la date de l'intervention demandée, d'une part, la commune remplissait ses obligations légales, et, d'autre part, le délai de deux ans imparti au syndicat intercommunal pour réaliser cette aire n'était pas expiré. Dans ces conditions, la cour a pu en déduire que le sous-préfet de Palaiseau n'avait pu légalement se fonder sur le motif tiré de ce que l'aire de grand passage prévue par le schéma publié le 24 octobre 2013 n'avait pas été réalisée pour refuser d'exécuter l'arrêté de mise en demeure qu'il avait pris le 16 septembre 2014 et refuser, le 25 novembre 2014, de prendre un nouvel arrêté de mise en demeure à la demande du maire. Il suit de là que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Son pourvoi doit dès lors être rejeté.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Groupama Paris-Val de Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la société Groupama Paris-Val de Loire la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à la société Groupama Paris-Val de Loire.
Copie en sera adressée à la commune de Villebon-sur-Yvette.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 septembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, conseillers d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 11 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


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