Conseil d'État
N° 489947
ECLI:FR:CECHR:2024:489947.20241009
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Vincent Mahé, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du mercredi 9 octobre 2024
Vu la procédure suivante :
La société Accorinvest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des sommes qui lui ont été réclamées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux frais de repas servis gratuitement à son personnel ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison des réservations non suivies de présentation du client au cours des années 2014 et 2015 et de prononcer la restitution de 172 488 euros de taxe sur la valeur ajoutée reversés à tort au cours de l'année 2015 au titre de frais de repas servis gratuitement au personnel. Par un jugement n° 1913399 du 14 janvier 2021, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les droits de taxe sur la valeur ajoutée concernant les frais de repas servis gratuitement au personnel et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 21PA01355 du 6 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Accorinvest contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 décembre 2023 et 6 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Accorinvest demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Accorinvest ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société d'hôtellerie Accorinvest, l'administration fiscale a estimé que certaines des sommes que cette société, qui exerce une activité d'hôtellerie, prélevait sur le compte bancaire de ceux de ses clients ne se présentant pas à la date convenue sans avoir annulé leur réservation dans les délais (sommes qualifiées de " no shows ") devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et a, en conséquence, mis à sa charge des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, assortis d'intérêts de retard. Par un jugement du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Accorinvest tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 266 du même code : " La base d'imposition est constituée : (...) Pour (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ".
3. Il résulte du c du 1 de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dont les dispositions précitées du code général des impôts assurent la transposition, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses décisions du 18 juillet 2007 Société thermale d'Eugénie-les-Bains (aff. C-277/05), du 23 décembre 2015 Air France-KLM et Hop ! - Brit Air SAS (aff. C-250/14 et C-289/14) et du 22 novembre 2018 Société MEO - Serviços de Comunicaçoes e Multmedia SA c/ Autoridade Tributaria e Aduaneira (aff. 295/17), qu'une prestation de services est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée s'il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant une contrepartie effective d'un service rendu individualisable fourni dans le cadre d'un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées. Un tel lien direct est reconnu quand la contre-valeur du prix versé lors de la signature d'un contrat relatif à la prestation d'un service est constituée par le droit qu'en tire le client de bénéficier de l'exécution des obligations découlant du contrat, indépendamment du fait que le client mette en oeuvre ce droit ou non. Ainsi, le prestataire de services réalise cette prestation dès lors qu'il met le client en mesure de bénéficier de celle-ci, de sorte que l'existence du lien direct susmentionné n'est pas affectée par le fait que le client ne fait pas usage dudit droit. Il en va différemment si les sommes versées dans le cadre d'un contrat de prestation de service et conservées par le prestataire lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte doivent être regardées comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lorsqu'un particulier n'honorait pas sa réservation, l'hôtel était contractuellement en droit de débiter sur la carte bancaire que celui-ci avait donnée en garantie le montant dû pour la première nuit, la réservation étant annulée pour les éventuelles nuits supplémentaires, et que, lorsque la réservation avait été faite par une entreprise, il était contractuellement prévu que l'hôtel prélèverait le montant total des services réservés. La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les sommes prélevées par l'hôtelier en application de ces stipulations constituaient la contre-valeur de la prestation d'hébergement que le client s'était engagé à régler de manière ferme à la signature du contrat, qu'il en fasse usage ou non, à savoir la totalité du séjour réservé dans le cas des entreprises, ou un engagement minimal d'une nuitée pour les particuliers. En en déduisant que ces sommes représentaient la contrepartie d'une prestation de service individualisable et devaient donc être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.
5. En second lieu, si le pourvoi reproche à la cour de s'être référée à l'article 17 des conditions générales de services du groupe Accor alors que la version de ces conditions produite par le ministre devant elle ne contenait pas cet article, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que c'est la requérante elle-même qui, dans sa réclamation contentieuse du 20 février 2019 et dans son mémoire introductif de première instance, indiquait qu'elle avait prélevé les montants en litige en application de l'article 17.4 des conditions générales de services du groupe, qu'elle citait dans ses écritures. Le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en se référant à des stipulations contractuelles qui ne lui étaient pas applicables et, par suite, entaché son arrêt d'erreur de droit ne peut donc qu'être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Accorinvest n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Accorinvest SAS est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Accorinvest SAS, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 489947
ECLI:FR:CECHR:2024:489947.20241009
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Vincent Mahé, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du mercredi 9 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Accorinvest a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des sommes qui lui ont été réclamées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux frais de repas servis gratuitement à son personnel ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison des réservations non suivies de présentation du client au cours des années 2014 et 2015 et de prononcer la restitution de 172 488 euros de taxe sur la valeur ajoutée reversés à tort au cours de l'année 2015 au titre de frais de repas servis gratuitement au personnel. Par un jugement n° 1913399 du 14 janvier 2021, ce tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur les droits de taxe sur la valeur ajoutée concernant les frais de repas servis gratuitement au personnel et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un arrêt n° 21PA01355 du 6 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Accorinvest contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 décembre 2023 et 6 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Accorinvest demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Accorinvest ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société d'hôtellerie Accorinvest, l'administration fiscale a estimé que certaines des sommes que cette société, qui exerce une activité d'hôtellerie, prélevait sur le compte bancaire de ceux de ses clients ne se présentant pas à la date convenue sans avoir annulé leur réservation dans les délais (sommes qualifiées de " no shows ") devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et a, en conséquence, mis à sa charge des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, assortis d'intérêts de retard. Par un jugement du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Accorinvest tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Cette société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 266 du même code : " La base d'imposition est constituée : (...) Pour (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ".
3. Il résulte du c du 1 de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dont les dispositions précitées du code général des impôts assurent la transposition, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses décisions du 18 juillet 2007 Société thermale d'Eugénie-les-Bains (aff. C-277/05), du 23 décembre 2015 Air France-KLM et Hop ! - Brit Air SAS (aff. C-250/14 et C-289/14) et du 22 novembre 2018 Société MEO - Serviços de Comunicaçoes e Multmedia SA c/ Autoridade Tributaria e Aduaneira (aff. 295/17), qu'une prestation de services est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée s'il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant une contrepartie effective d'un service rendu individualisable fourni dans le cadre d'un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées. Un tel lien direct est reconnu quand la contre-valeur du prix versé lors de la signature d'un contrat relatif à la prestation d'un service est constituée par le droit qu'en tire le client de bénéficier de l'exécution des obligations découlant du contrat, indépendamment du fait que le client mette en oeuvre ce droit ou non. Ainsi, le prestataire de services réalise cette prestation dès lors qu'il met le client en mesure de bénéficier de celle-ci, de sorte que l'existence du lien direct susmentionné n'est pas affectée par le fait que le client ne fait pas usage dudit droit. Il en va différemment si les sommes versées dans le cadre d'un contrat de prestation de service et conservées par le prestataire lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte doivent être regardées comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lorsqu'un particulier n'honorait pas sa réservation, l'hôtel était contractuellement en droit de débiter sur la carte bancaire que celui-ci avait donnée en garantie le montant dû pour la première nuit, la réservation étant annulée pour les éventuelles nuits supplémentaires, et que, lorsque la réservation avait été faite par une entreprise, il était contractuellement prévu que l'hôtel prélèverait le montant total des services réservés. La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les sommes prélevées par l'hôtelier en application de ces stipulations constituaient la contre-valeur de la prestation d'hébergement que le client s'était engagé à régler de manière ferme à la signature du contrat, qu'il en fasse usage ou non, à savoir la totalité du séjour réservé dans le cas des entreprises, ou un engagement minimal d'une nuitée pour les particuliers. En en déduisant que ces sommes représentaient la contrepartie d'une prestation de service individualisable et devaient donc être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.
5. En second lieu, si le pourvoi reproche à la cour de s'être référée à l'article 17 des conditions générales de services du groupe Accor alors que la version de ces conditions produite par le ministre devant elle ne contenait pas cet article, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que c'est la requérante elle-même qui, dans sa réclamation contentieuse du 20 février 2019 et dans son mémoire introductif de première instance, indiquait qu'elle avait prélevé les montants en litige en application de l'article 17.4 des conditions générales de services du groupe, qu'elle citait dans ses écritures. Le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en se référant à des stipulations contractuelles qui ne lui étaient pas applicables et, par suite, entaché son arrêt d'erreur de droit ne peut donc qu'être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Accorinvest n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Accorinvest SAS est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Accorinvest SAS, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle