Conseil d'État
N° 472257
ECLI:FR:CECHR:2024:472257.20241009
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Vincent Mahé, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du mercredi 9 octobre 2024
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Hôtellerie Paris Eiffel Suffren a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 2011097 du 17 septembre 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA05850 du 20 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars 2023, 21 juin 2023 et 7 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren, l'administration fiscale a estimé que les sommes que cette société, qui exerce une activité d'hôtellerie, prélevait sur le compte bancaire de ses clients ne se présentant pas à la date convenue sans avoir annulé dans les délais leur réservation (sommes qualifiées de " no shows ") devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, et a, en conséquence, mis à sa charge des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que les majorations correspondantes. Par un jugement du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 266 du même code : " La base d'imposition est constituée : (...) Pour (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ".
3. Il résulte du c du 1 de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dont les dispositions précitées du code général des impôts assurent la transposition, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses décisions du 18 juillet 2007 Société thermale d'Eugénie-les-Bains (aff. C-277/05), du 23 décembre 2015 Air France-KLM et Hop ! - Brit Air SAS (aff. C-250/14 et C-289/14) et du 22 novembre 2018 Société MEO - Serviços de Comunicaçoes e Multmedia SA c/ Autoridade Tributaria e Aduaneira (aff. C-295/17), qu'une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux et, par suite, assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, que s'il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant la contrepartie effective d'un service rendu individualisable fourni dans le cadre d'un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées. Un tel lien direct est reconnu quand la contre-valeur du prix versé lors de la signature d'un contrat relatif à la prestation d'un service est constituée par le droit qu'en tire le client de bénéficier de l'exécution des obligations découlant du contrat, indépendamment du fait que le client mette en oeuvre ce droit ou non. Ainsi, le prestataire de services réalise cette prestation dès lors qu'il met le client en mesure de bénéficier de celle-ci, de sorte que l'existence du lien direct susmentionné n'est pas affectée par le fait que le client ne fait pas usage dudit droit. Il en va différemment, en revanche, si les sommes versées dans le cadre d'un contrat de prestation de service et conservées par le prestataire lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte doivent être regardées comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'aux termes de l'article 17.4 des " conditions générales de vente " appliquées par la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren : " En cas de no show (réservation non annulée - client non présent) d'une réservation garantie par carte bancaire, l'hôtel débitera le client, à titre d'indemnité forfaitaire, du montant de la première nuit sur la carte bancaire qui a été donnée en garantie de réservation et les éventuelles nuits supplémentaires de la réservation seront annulées sans frais...". La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les sommes prélevées par l'hôtelier en application de ces stipulations constituaient la contre-valeur de la prestation d'hébergement que le client s'était engagé à régler de manière ferme à la signature du contrat, qu'il en fasse usage ou non, à hauteur d'un engagement minimal d'une nuitée. En en déduisant que ces sommes représentaient la contrepartie d'une prestation de service individualisable et devaient donc être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.
5. La société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren n'est donc pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société par actions simplifiée Hôtellerie Paris Eiffel Suffren est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Hôtellerie Paris Eiffel Suffren, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 472257
ECLI:FR:CECHR:2024:472257.20241009
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Vincent Mahé, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
Lecture du mercredi 9 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) Hôtellerie Paris Eiffel Suffren a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 2011097 du 17 septembre 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA05850 du 20 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 mars 2023, 21 juin 2023 et 7 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren, l'administration fiscale a estimé que les sommes que cette société, qui exerce une activité d'hôtellerie, prélevait sur le compte bancaire de ses clients ne se présentant pas à la date convenue sans avoir annulé dans les délais leur réservation (sommes qualifiées de " no shows ") devaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, et a, en conséquence, mis à sa charge des rappels de taxe au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que les majorations correspondantes. Par un jugement du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (...) les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 266 du même code : " La base d'imposition est constituée : (...) Pour (...) les prestations de services (...), par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ".
3. Il résulte du c du 1 de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dont les dispositions précitées du code général des impôts assurent la transposition, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses décisions du 18 juillet 2007 Société thermale d'Eugénie-les-Bains (aff. C-277/05), du 23 décembre 2015 Air France-KLM et Hop ! - Brit Air SAS (aff. C-250/14 et C-289/14) et du 22 novembre 2018 Société MEO - Serviços de Comunicaçoes e Multmedia SA c/ Autoridade Tributaria e Aduaneira (aff. C-295/17), qu'une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux et, par suite, assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, que s'il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue, les sommes versées constituant la contrepartie effective d'un service rendu individualisable fourni dans le cadre d'un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées. Un tel lien direct est reconnu quand la contre-valeur du prix versé lors de la signature d'un contrat relatif à la prestation d'un service est constituée par le droit qu'en tire le client de bénéficier de l'exécution des obligations découlant du contrat, indépendamment du fait que le client mette en oeuvre ce droit ou non. Ainsi, le prestataire de services réalise cette prestation dès lors qu'il met le client en mesure de bénéficier de celle-ci, de sorte que l'existence du lien direct susmentionné n'est pas affectée par le fait que le client ne fait pas usage dudit droit. Il en va différemment, en revanche, si les sommes versées dans le cadre d'un contrat de prestation de service et conservées par le prestataire lorsque le client fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte doivent être regardées comme des indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'aux termes de l'article 17.4 des " conditions générales de vente " appliquées par la société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren : " En cas de no show (réservation non annulée - client non présent) d'une réservation garantie par carte bancaire, l'hôtel débitera le client, à titre d'indemnité forfaitaire, du montant de la première nuit sur la carte bancaire qui a été donnée en garantie de réservation et les éventuelles nuits supplémentaires de la réservation seront annulées sans frais...". La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les sommes prélevées par l'hôtelier en application de ces stipulations constituaient la contre-valeur de la prestation d'hébergement que le client s'était engagé à régler de manière ferme à la signature du contrat, qu'il en fasse usage ou non, à hauteur d'un engagement minimal d'une nuitée. En en déduisant que ces sommes représentaient la contrepartie d'une prestation de service individualisable et devaient donc être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique.
5. La société Hôtellerie Paris Eiffel Suffren n'est donc pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société par actions simplifiée Hôtellerie Paris Eiffel Suffren est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Hôtellerie Paris Eiffel Suffren, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 9 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle