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Ariane Web: Conseil d'État 472537, lecture du 24 juillet 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:472537.20240724

Décision n° 472537
24 juillet 2024
Conseil d'État

N° 472537
ECLI:FR:CECHR:2024:472537.20240724
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Sylvain Monteillet, rapporteur
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 24 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2213700 du 29 mars 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. B... A....

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 24 juin 2022, et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 juillet et 7 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération de l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en date du 20 octobre 2021, proposant de ne retenir aucun candidat en vue de pourvoir la chaire " politiques publiques territoriales " ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du CNAM rejetant son recours gracieux ;

3°) de condamner le CNAM à lui verser la somme de 55 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la délibération de l'assemblée des chaires du 20 octobre 2021 ;

4°) d'enjoindre au CNAM de reprendre le processus de recrutement de la chaire " politiques publiques territoriales " ;

5°) de mettre à la charge du CNAM le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 2019-1122 du 31 octobre 2019 ;
- le règlement intérieur du Conservatoire national des arts et métiers ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. A... et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conservatoire national des arts et métiers ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'un appel à candidature pour un poste de professeur des universités destiné à pourvoir la chaire " politiques publiques territoriales " du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) a été publié le 21 janvier 2021. M. B... A..., alors adjoint de l'administrateur général du CNAM, en charge de la stratégie et du développement, a présenté sa candidature sur ce poste. Par une délibération du 14 septembre 2021, le comité de sélection a classé sa candidature en première position sur la liste des trois candidats retenus. Par une délibération du 20 octobre 2021, l'assemblée des chaires a toutefois proposé de ne retenir aucun candidat. Par courrier du 17 décembre 2021, le directeur général des services du CNAM a informé M. A... que, compte tenu de la délibération de l'assemblée des chaires, le processus de recrutement relatif à la chaire " politiques publiques territoriales " était interrompu. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération de l'assemblée des chaires du 20 octobre 2021 ainsi que de la décision du CNAM rejetant implicitement le recours gracieux qu'il avait formé par courrier du 23 février 2022. Il demande également la condamnation du CNAM à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la délibération de l'assemblée des chaires.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article 9 du décret du 31 octobre 2019 portant statut particulier du corps des professeurs du Conservatoire national des arts et métiers : " Le comité de sélection examine les dossiers des candidats au recrutement par voie de concours, d'intégration directe ou de détachement (...) / Après avoir procédé aux auditions, le comité de sélection délibère sur les candidatures et arrête la liste, classée par ordre de préférence, de ceux qu'il retient (...). / L'avis du comité de sélection est transmis à l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers. / Au vu de l'avis motivé émis par le comité de sélection, l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers, siégeant en formation restreinte aux professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, aux professeurs des universités et personnels assimilés et aux personnalités extérieures, propose le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. Elle ne peut proposer que les candidats retenus par le comité de sélection. En aucun cas, elle ne peut modifier l'ordre de la liste de classement. Elle peut écarter tout ou partie des candidats classés par le comité de sélection par un avis défavorable motivé. / Le conseil d'administration, siégeant dans la formation mentionnée à l'article 8, prend connaissance du nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, de la liste de candidats proposée par l'assemblée des chaires. / Sauf dans le cas où le conseil d'administration émet un avis défavorable motivé, l'administrateur général du conservatoire communique au ministre chargé de l'enseignement supérieur le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence. En aucun cas, il ne peut modifier l'ordre de la liste de classement ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'assemblée des chaires, siégeant dans une formation restreinte aux professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, aux professeurs des universités et personnels assimilés et aux personnalités extérieures, au vu de la délibération du comité de sélection, de prendre une délibération propre par laquelle elle apprécie l'adéquation des candidatures au profil du poste et à la stratégie de l'établissement, sous le contrôle du juge et sans remettre en cause l'appréciation des mérites scientifiques des candidats retenus par le comité de sélection, lequel a la qualité de jury.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la délibération du 20 octobre 2021 de l'assemblée des chaires du CNAM repose sur le motif suivant : " L'Assemblée considère que les conditions de déroulement depuis 2019 du processus de recrutement sur cette chaire - au sens du chapitre II du décret d'octobre 2019 - ne permettent pas d'envisager l'insertion sereine d'un nouveau professeur au sein du Cnam, quelles que puissent être les qualités des candidats retenus par le comité de sélection ". Cet organe doit ainsi être regardé comme s'étant fondé sur un motif tiré de l'intérêt du service pour proposer de ne retenir aucun candidat. Or un tel motif ne se rapporte pas à l'adéquation des candidatures au profil du poste et à la stratégie de l'établissement, qu'il revient, ainsi qu'il a été dit au point précédent, à l'assemblée des chaires du CNAM d'apprécier au vu de la liste des candidats établie par le comité de sélection.

5. En outre, si aucune disposition n'interdit à l'assemblée des chaires de décider de ne pas donner suite à une procédure de recrutement d'un professeur au CNAM dans le cas où elle relève l'existence d'une irrégularité de nature à entacher la délibération par laquelle le comité de sélection arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient, la plaçant ainsi dans l'impossibilité de proposer le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence, le motif sur lequel est fondée en l'espèce la délibération attaquée ne se rapporte pas à la régularité de la procédure suivie.

6. Il résulte de tout ce qui précède qu'en se fondant sur un motif tiré de l'intérêt du service pour interrompre le processus de recrutement l'assemblée des chaires a entaché sa délibération d'illégalité. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération de l'assemblée des chaires du 20 octobre 2021 ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. En premier lieu, si M. A... soutient, au titre d'un préjudice patrimonial et professionnel, que la délibération entachée d'illégalité de l'assemblée des chaires l'a privé d'une chance sérieuse d'être nommé sur le poste auquel il s'était porté candidat, il ne résulte pas de l'instruction que, dans les circonstances particulières de l'espèce et compte tenu des étapes du processus de recrutement prévues postérieurement à la délibération de l'assemblée des chaires, M. A... puisse être regardée comme ayant effectivement été privé d'une telle chance d'être nommé.

8. En second lieu, si M. A... invoque un préjudice moral à raison d'un dénigrement dont il aurait fait l'objet au sein du CNAM, auquel deux articles de presse auraient notamment fait écho, ainsi que de la nécessité qu'il aurait eue de quitter ses fonctions dans ce contexte, il ne résulte pas de l'instruction, à supposer qu'un tel dénigrement puisse être établi, que la délibération annulée en serait la cause.

9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. A... au titre de la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. L'exécution de la présente décision implique, si le recrutement est maintenu, de reprendre la procédure de recrutement sur le poste de professeur des universités pour pourvoir la chaire " politiques publiques territoriales " au stade de l'examen, par l'assemblée des chaires, de la liste de candidats établie le 14 septembre 2021 par le comité de sélection. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au CNAM de reprendre la procédure à ce stade dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNAM le versement de la somme de 3 000 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La délibération de l'assemblée des chaires du Conservatoire national des arts et métiers du 20 octobre 2021 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par M. A... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au Conservatoire national des arts et métiers, si le recrutement est maintenu, de reprendre la procédure de recrutement sur le poste de professeur des universités pour pourvoir la chaire " politiques publiques territoriales " au stade de l'examen, par l'assemblée des chaires, de la liste de candidats établie le 14 septembre 2021 par le comité de sélection, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : Le Conservatoire national des arts et métiers versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du Conservatoire national des arts et métiers présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au Conservatoire national des arts et métiers et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Camille Belloc, auditrice et M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 juillet 2024.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Sylvain Monteillet
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba


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