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Ariane Web: Conseil d'État 472163, lecture du 24 juillet 2024, ECLI:FR:CECHS:2024:472163.20240724

Décision n° 472163
24 juillet 2024
Conseil d'État

N° 472163
ECLI:FR:CECHS:2024:472163.20240724
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Maud Vialettes, présidente
Mme Camille Belloc, rapporteure
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
ARVIS;SCP D AVOCATS SAIDJI ET MOREAU, avocats


Lecture du mercredi 24 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 472163, par une ordonnance nos 232666, 232917 du 15 mars 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par Mme B... A....

Par cette requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 14 juin et 19 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision révélée par un courriel du 9 janvier 2023 par laquelle la directrice générale de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis lui a interdit d'accéder aux locaux de cette université et de siéger au conseil de l'unité de formation et de recherche (UFR) psychologie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le numéro 488946, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 octobre et 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté lui ayant été notifié le 11 septembre 2023 par lequel la présidente de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis, d'une part, a retiré la décision dont l'annulation est demandée sous le numéro 472163, d'autre part, lui a interdit d'accéder aux locaux de l'université jusqu'à la décision définitive de la juridiction disciplinaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers que Mme A..., professeure des universités en psychologie clinique et psychopathologie, affectée à l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis, a exercé les fonctions de directrice de l'unité de formation et de recherche (UFR) psychologie de cette université de 2010 à 2015, et dirige, depuis 2017, le laboratoire de psychopathologie et processus de changement de cette UFR. Au vu d'un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche du mois de novembre 2022 portant sur des dysfonctionnements au sein de l'UFR psychologie de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis, la présidente de cette université a, par une décision du 6 janvier 2023, prise sur le fondement de l'article L. 951-4 du code de l'éducation, suspendu Mme A... de ses fonctions pour une durée de douze mois, sans privation de traitement. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté la requête de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision par une décision n° 472164 du 1er mars 2024. En outre, par un courriel du 9 janvier 2023, la directrice générale de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis a indiqué qu'en raison de la mesure de suspension prononcée à son encontre, Mme A... n'avait plus accès aux locaux de l'université, sauf convocation ou rendez-vous accordé par la direction de l'université, et que par ailleurs, elle ne pouvait plus siéger au conseil de l'UFR. Par un arrêté notifié le 11 septembre 2023, la présidente de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis a, d'une part, retiré la décision révélée par le courriel du 9 janvier 2023, d'autre part, interdit à Mme A... l'accès aux enceintes et locaux de l'université pendant la durée de la procédure disciplinaire dont elle fait l'objet. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par une seule décision, Mme A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision révélée par le courriel du 9 janvier 2023 de la directrice générale de l'université, et de l'arrêté notifié le 11 septembre 2023.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté notifié le 11 septembre 2023 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 712-2 du code de l'éducation : " Le président de l'université (...) / 7° (...) est responsable de la sécurité dans l'enceinte de son établissement (...) / ". Aux termes de l'article R. 712-1 du même code : " Le président d'université est responsable de l'ordre et de la sécurité dans les enceintes et locaux affectés à titre principal à l'établissement dont il a la charge (...) / ". Aux termes de l'article R. 712-8 de ce code : " En cas de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l'article R. 712-1, l'autorité responsable désignée à cet article en informe immédiatement le recteur chancelier. / Dans les cas mentionnés au premier alinéa : / 1° La même autorité peut interdire à toute personne et, notamment, à des membres du personnel et à des usagers de l'établissement ou des autres services ou organismes qui y sont installés l'accès de ces enceintes et locaux. / Cette interdiction ne peut être décidée pour une durée supérieure à trente jours. Toutefois, au cas où des poursuites disciplinaires ou judiciaires seraient engagées, elle peut être prolongée jusqu'à la décision définitive de la juridiction saisie ".

3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) / ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce code : " (...) / Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ".

4. Il résulte des dispositions précitées que l'arrêté litigieux, pris sur le fondement des dispositions de l'article R. 712-8 du code de l'éducation cité au point 2, est au nombre des actes qui doivent être motivés en application des dispositions du 1° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, cité au point 3. Il ressort des pièces du dossier n° 488946 qu'il mentionne avec précision les éléments de fait et de droit sur lesquels il repose. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'il est insuffisamment motivé.

5. En outre, dès lors, d'une part, que l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, cité au point 3, prévoit que les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et les agents publics, d'autre part, qu'une mesure de police prise en application de l'article R. 712-8 du code de l'éducation ne peut être regardée comme entrant dans le champ des mesures prises en considération de la personne visées à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'édiction de l'arrêté litigieux, qui interdit à Mme A..., professeure des universités, l'accès aux enceintes et locaux de l'université dans laquelle elle est affectée, n'avait pas à être précédée d'une procédure contradictoire préalable. Le moyen tiré de ce que l'arrêté a été pour ce motif irrégulièrement édicté est donc inopérant. Enfin, le moyen tiré de ce que Mme A... n'aurait pas eu accès aux éléments sur lesquels cet arrêté se fonde, en l'espèce, le rapport de la mission d'inspection mentionné au point 1, manque en fait.

6. En second lieu, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier n° 488946, notamment du rapport de la mission conduite par l'inspection générale de l'éducation, de la jeunesse et de la recherche, que de nombreux témoignages imputaient à Mme A... un comportement violent et imprévisible, responsable d'une dégradation profonde du climat de travail affectant depuis des années le fonctionnement de l'UFR " psychologie ", les activités universitaires, et la santé de ses personnels, voire, dans certains cas, celle des étudiants, la présidente de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 en estimant que la présence de Mme A... au sein de l'université, alors que la procédure disciplinaire diligentée contre cette dernière était encore en cours, était, à la date de l'édiction de l'arrêté litigieux, susceptible d'être à l'origine de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux de l'université et en décidant, par suite, de lui en interdire temporairement l'accès.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté lui ayant été notifié le 11 septembre 2023.

Sur les conclusions dirigées contre la décision révélée par le courriel du 9 janvier 2023 de la directrice générale de l'université :

8. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait pas lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du recours dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution.

9. Il ressort des pièces des dossiers que, par l'arrêté notifié le 11 septembre 2023, la présidente de l'université Paris VIII Vincennes - Saint Denis a retiré sa décision, révélée par le courriel du 9 janvier 2023 de la directrice générale de l'université. Or, ainsi qu'il a été dit au point 7, les conclusions de la requête n° 488946 formée par Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté notifié le 11 septembre 2023 sont rejetées par la présente décision, de sorte que l'arrêté du 11 septembre 2023 est désormais définitif, y compris en ce qu'il procède au retrait précité. Il s'ensuit qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de sa requête n° 472163 tendant à l'annulation de la décision de la présidente de l'université Paris VIII Vincennes - Saint Denis révélée par le courriel du 9 janvier 2023, dès lors que cette dernière décision a été définitivement retirée par l'arrêté du 11 septembre 2023.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge, d'une part, de l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante, d'autre part, de l'Etat, lequel, n'ayant été appelé à la cause que pour produire des observations, n'est pas partie aux présentes instances. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée au même titre par l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation présentées par Mme A... dans sa requête n° 472163.
Article 2 : La requête n° 488946 présentée par Mme A... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 472163 est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'université Paris VIII Vincennes - Saint-Denis.
Copie en sera adressée à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.

Rendu le 24 juillet 2024.

La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes

La rapporteure :
Signé : Mme Camille Belloc

Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune