Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 468607, lecture du 8 juillet 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:468607.20240708

Décision n° 468607
8 juillet 2024
Conseil d'État

N° 468607
ECLI:FR:CECHR:2024:468607.20240708
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Antoine Berger, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats


Lecture du lundi 8 juillet 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 468607, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er novembre 2022, 1er février 2023 et 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis), pour la période 2022-2025 en tant que cet arrêté ne prévoit pas de quotas de prélèvement de grands cormorans en eaux libres ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de fixer ces quotas départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres à un niveau identique à celui de la campagne 2019-2022, dans un délai de 15 jours à compter de la date de notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 472238, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 mars et 23 novembre 2023 et le 29 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques (AAPPMA) " Les Deux Vallées ", l'AAPPMA " Pays de Clerval et environs ", l'AAPPMA " La Franco-Suisse et gorges du Doubs ", l'AAPPMA " des 4 communes ", l'AAPPMA " La Gaule Vuillafanaise ", l'AAPPMA " Doubs Cusancin ", l'AAPPMA " Truite pontissalienne Lac Saint-Point ", l'AAPPMA " Valentigney " et l'AAPPMA " Pont de Roide " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025, ainsi que la décision implicite de refus née du silence gardé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur leur recours gracieux formé le 18 novembre 2022 contre cet arrêté.

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

3° Sous le n° 474705, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin 2023 et 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet opposée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à sa demande du 1er février 2023 tendant à l'abrogation partielle et à la réformation de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025 ;

2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de prendre un arrêté complémentaire ou modificatif afin de rétablir les quotas ou plafonds départementaux de destruction des grands cormorans en eaux libres ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 8 décembre 1988 du ministre de l'agriculture et de la forêt, du ministre délégué auprès du ministre des transports et de la mer, chargé de la mer, et du secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'environnement, fixant la liste des espèces de poissons protégées sur l'ensemble du territoire national ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 26 novembre 2010 du ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de la Fédération nationale de la pèche en France et de la protection des milieux aquatiques ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2024, présentée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;


Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques et de l'AAPPMA " Les Deux Vallées " et autres sont dirigées contre le même arrêté. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la requête n°468607 :

2. Aux termes de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative : " En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. / Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l'ordonnance de rejet mentionne qu'à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d'un mois, le requérant est réputé s'être désisté ". Il résulte de ces dispositions que, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, sous réserve que cette notification l'informe de cette obligation et de ses conséquences et à moins qu'il n'exerce un pourvoi en cassation contre l'ordonnance du juge des référés. Il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté.

3. Par une ordonnance du 10 novembre 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de la Fédération nationale de la pêche en France tendant à la suspension de l'exécution des dispositions en litige, au motif qu'aucun moyen n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à leur légalité. Il ressort des pièces du dossier que l'ordonnance du 10 novembre 2022, accompagnée d'une lettre de notification mentionnant l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative, a été régulièrement notifiée à la requérante, qui en a accusé réception le 16 novembre 2022. Dès lors que la requérante n'a pas confirmé le maintien de sa requête à fin d'annulation dans le délai imparti, elle est réputée s'être désistée de cette dernière requête. Il s'ensuit qu'il doit être donné acte du désistement de la Fédération nationale de la pêche en France de la requête n° 468607.

Sur les requêtes n° 472238 et 474705 :

En ce qui concerne la recevabilité et la portée de la requête n°472238 :

4. Il ressort des pièces du dossier que l'association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques (AAPPMA) " Les Deux Vallées " et autres ont formé, auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, un recours gracieux tendant au retrait de l'arrêté du 19 septembre 2022 litigieux, publié au Journal officiel de la République française le 1er octobre 2022. Contrairement à ce que soutient le ministre, l'AAPPMA " Les Deux Vallées " et autres ont produit l'accusé de réception du courrier adressant ce recours, reçu le 21 novembre 2022, attestant qu'il a été formé dans le délai de recours contentieux. Par suite, leur requête, enregistrée le 17 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, n'est pas tardive. Eu égard à leur argumentation, l'AAPPMA " Les Deux Vallées " et autres doivent être regardées comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêté litigieux en tant qu'il ne prévoit pas de plafond départemental de destruction de grands cormorans en eaux libres dans le département du Doubs.

En ce qui concerne les interventions :

5. La Fédération de l'Ain pour la pêche et la protection du milieu aquatique et l'association nationale pour la protection des eaux et rivières - Truite Ombre Saumon justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué. Ainsi, leurs interventions au soutien des conclusions de la requête n°472238 sont recevables.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté contesté :

6. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété (...) ".

7. Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ". En vertu de l'article R. 411-6 de ce code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet ". Enfin, aux termes de l'article R. 411-13 du même code : " Les ministres chargés de la protection de la nature, de l'agriculture et le cas échéant des pêches maritimes fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : / (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".

8. En application de ces dispositions, les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture ont pris, le 29 octobre 2009, un arrêté fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire, ainsi que les modalités de leur protection. Parmi les oiseaux protégés par cet arrêté figure le grand cormoran. Par un arrêté du 26 novembre 2010, ces ministres ont fixé les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans afin de prévenir les dommages importants que ces oiseaux causent aux piscicultures ainsi que les risques que présente la prédation du grand cormoran pour les espèces de poissons protégées. Cet arrêté précise notamment les territoires dans lesquels des interventions peuvent être autorisées par les préfets de département ainsi que les périodes concernées, détermine les modalités d'exécution des opérations de destructions et prévoit, à son article 4, que, pour chaque campagne de prélèvements, le nombre de spécimens pouvant être détruits fait l'objet de quotas départementaux, fixés par arrêté ministériel.

9. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont pris, le 19 septembre 2022, pour l'application des dispositions citées au point précédent, l'arrêté fixant les plafonds départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025. Cet arrêté fixe de tels plafonds uniquement pour prévenir les dommages aux piscicultures mais pas, comme les arrêtés précédents le faisaient, pour prévenir les risques que présente la prédation du grand cormoran pour les espèces de poissons protégées en eaux libres.

10. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le grand cormoran est une espèce en bon état de conservation en France, dont les populations connaissent une croissance dynamique, et dont la présence est établie dans 55 départements, pour un effectif total de 11 136 couples nicheurs et un effectif moyen d'oiseaux hivernants de 98 000 individus. L'incidence de la prédation du grand cormoran sur les populations des espèces de poissons apparaît très variable et largement dépendante du contexte écologique et du milieu dans lequel elle s'inscrit. Plusieurs études montrent toutefois que cette incidence peut, dans certains cas, être importante et conduire à une diminution substantielle de la biomasse de certaines espèces.

11. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que plusieurs espèces de poissons protégées, susceptibles d'être consommées par le grand cormoran, sont en mauvais état de conservation. L'ombre commun et le brochet commun sont ainsi classés parmi les espèces " vulnérables " sur la liste rouge des poissons d'eau douce de France métropolitaine établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature en 2019, tandis que l'anguille européenne est classée " en danger critique d'extinction " sur cette même liste, et que le saumon atlantique apparaît " quasi-menacé ". Si le grand cormoran n'est pas le facteur principal expliquant ce mauvais état de conservation, la pression de prédation qu'il exerce apparaît susceptible, dans certains contextes particuliers, de contribuer à la dégradation de l'état de conservation de ces espèces.

12. Pour justifier la décision de ne plus prévoir de plafonds départementaux en ce qui concerne les cours et plans d'eau libres, le ministre fait valoir que des arrêtés préfectoraux autorisant, dans certains départements, la destruction de grands cormorans pour la période précédente 2019-2022 ont fait l'objet d'annulations contentieuses et qu'une étude scientifique relative au régime alimentaire du grand cormoran dans les lacs belges de l'Eau d'Heure ne ferait pas apparaître une prédation d'espèces de poissons protégées. Toutefois, les requérants ont produit des études et observations de terrain, non sérieusement contredites en défense, établissant, sur certaines portions de cours d'eau sur le territoire français, que des espèces protégées particulièrement vulnérables font l'objet d'une prédation significative émanant du grand cormoran.

13. Selon l'article 7 de l'arrêté du 26 novembre 2010 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans, il appartient aux préfets d'apprécier si la prédation du grand cormoran occasionne des risques pour des populations de poissons menacées, et d'accorder, le cas échéant, des dérogations dans la limite des plafonds départementaux fixés par arrêté ministériel, lesquels permettent d'assurer qu'elles ne nuisent pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de grand cormoran dans leur aire de répartition naturelle. En s'abstenant de fixer des plafonds départementaux en ce qui concerne les cours et plans d'eau libres, les ministres ont privé les préfets de la possibilité d'accorder des dérogations pour les eaux libres aux interdictions de destruction de grands cormorans s'ils constatent que la prédation de cet oiseau occasionne dans ces eaux des risques pour des espèces de poissons protégées ou dont l'état de conservation est défavorable, alors qu'aucune étude ne permet à ce jour d'exclure ce risque. La fédération et les associations requérantes sont dès lors fondées à soutenir que l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur d'appréciation en tant qu'il ne fixe pas de plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025.

14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que les requérantes sont fondées à demander l'annulation, d'une part, de l'arrêté litigieux en tant qu'il ne fixe pas de plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025 pour le département du Doubs, et d'autre part de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont refusé de modifier cet arrêté.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :

15. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "

16. L'annulation prononcée par la présente décision de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont refusé de modifier l'arrêté du 19 septembre 2022 implique nécessairement l'édiction d'un arrêté modificatif comprenant des plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025. Il y a lieu d'enjoindre aux ministres de procéder à l'édiction de cet arrêté dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

En ce qui concerne les frais des instances :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser d'une part à la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques et d'autre part à l'AAPPMA " Les Deux Vallées " et autres, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il est donné acte du désistement d'instance de la Fédération nationale de la pêche en France sur sa requête n° 468607.
Article 2 : Les interventions de la Fédération de l'Ain pour la pêche et la protection du milieu aquatique et de l'association nationale pour la protection des eaux et rivières - Truite Ombre Saumon au soutien de la requête n° 472238 sont admises.
Article 3 : L'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025 est annulé en tant qu'il ne fixe pas de plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025 pour le département du Doubs.
Article 4 : La décision implicite de rejet opposée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à la demande de la Fédération nationale de la pêche en France tendant à la modification de l'arrêté du 19 septembre 2022 est annulée.
Article 5 : Il est enjoint au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de prendre un arrêté modificatif fixant des plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 6 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques et une somme globale de 3 000 euros à l'AAPPMA " Les Deux Vallées " et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques, à l'AAPPMA " Les Deux Vallées ", première dénommée pour l'ensemble des requérantes sous le n° 472238, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à la Fédération de l'Ain pour la pêche et la protection du milieu aquatique et à l'association nationale pour la protection des eaux et rivières - Truite Ombre Saumon.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 8 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Voir aussi